03/07/2017
« Devenir autre, devenir moi »
Auđur Ava Ólafsdóttir, L’Embellie, traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson, Zulma, 2017
« Là, tout va par trois, dit-elle, trois hommes dans votre vie sur une distance de trois cents kilomètres, trois bêtes mortes, trois accidents mineurs ou plutôt trois incidents malencontreux et il n’est pas certain qu’ils vous affectent directement, des bêtes seront estropiées, hommes et femmes vivront. Il est tout de même clair que trois bêtes mourront avant que vous ne rencontriez l’homme de votre vie. ». La voyante a bizarrement tout anticipé ; sans qu’on s’en doute, sans qu’on y croie vraiment, le roman est contenu dès le début dans ces paroles. Le roman, non : les faits qui en constituent la trame narrative ; le reste (l’essentiel) réside dans l’art inimitable de la conteuse Auđur Ava Ólafsdóttir : son écriture, sa maîtrise de la structure romanesque, son attachement contagieux aux personnages.
Elle aurait de quoi pester ou avoir le cafard, la jeune femme de 33 ans, polyglotte, traductrice et correctrice de son état, qui raconte ici son histoire (son histoire actuelle, et des souvenirs qui lui viennent par bribes en fonction des événements) : elle quitte son amant juste avant que son mari la quitte, des animaux viennent se jeter sous les roues de sa voiture, son amie Auđur, enceinte de jumeaux, lui confie son fils Tumi, mal entendant, mal voyant, alors qu’elle ne s’est jamais occupée d’enfants… En revanche, le pur hasard lui sourit, puisqu’elle gagne coup sur coup un chalet « prêt-à-monter » et une fortune au loto. Tout cela entraîne pour elle un changement radical de vie, qu’elle entérine en décidant de partir vers l’est, en ce mois de novembre islandais particulièrement pluvieux, sur une route littorale pleine d’embûches, pour rejoindre le village de son enfance, en coupant tout lien avec son passé immédiat. « Me voilà en vadrouille dans le noir et la pluie avec un enfant qui ne m’est rien, trois animaux de compagnie dans un bocal, un petit tas de documents qui ne valent pas d’être mentionnés et, last but not least, une boîte à gants bourrée de billets de banque : tout baigne. ».
Situations cocasses, péripéties périlleuses, réactions inattendues, décisions de dernier moment, paroles (et plus) échangées sans hésitations avec des inconnus, communication intense et mystérieuse avec son petit protégé… L’héroïne mène son périple avec une obstination salutaire et une volonté sans faille ; elle y trouve son bonheur : « En réalité, je ne puis guère être plus heureuse, car je commence à savoir qui je suis, je commence à devenir autre, devenir moi. ». Roman de l’aventure extérieure et intérieure, de la transformation de soi, plein d’humour et de tendresse, L’Embellie se lit avec d’autant plus de délectation que sa dernière partie est entièrement consacrée à « quarante-sept recettes de plats ou de boissons ainsi qu’une recette de tricot qui interviennent au fil » du récit. À expérimenter, et à consommer à loisir.
Jean-Pierre Longre
23:55 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, islande, auđur ava Ólafsdóttir, catherine eyjólfsson, zulma, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
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