14/07/2020
Périple tous azimuts
Pierre Jourde, Le voyage du canapé-lit, Gallimard, 2019, Folio, 2020
« On n’allait pas le laisser perdre », ce « canapé-lit » hérité de la grand-mère aussi pingre que méchante, mais dont la fille, dans un geste de « piété filiale », veut garder ce vétuste témoignage mobilier. La fille en question – la mère de l’auteur – charge donc ses deux fils de transporter l’encombrant objet de Créteil à Lussaud, « pays perdu » en pleine Auvergne, que les lecteurs de Pierre Jourde connaissent déjà (voir ici), et où le dernier étage de la maison familiale attend d’être meublé.
Pierre, Bernard et Martine, la femme de celui-ci, embarquent donc le canapé (plus deux fauteuils assortis) dans une camionnette, et alors commence un voyage de quelques heures, qui en réalité va s’étaler, par la magie des conversations, des souvenirs et même des anticipations, sur un grand nombre d’années. Aux paysages et localités traversés vont se superposer les espaces lointains, les aventures inattendues, les coups du sort désopilants, les péripéties inénarrables (et pourtant narrées) vécues par deux hommes qui, dans leur jeunesse, étaient plutôt incontrôlables et faisaient le désespoir (indulgent, disons-le) de leurs parents. Sous une autre plume, c’eût été un road-movie franchouillard doublé d’une autoanalyse égocentrée (le canapé aidant, bien sûr). Sous celle de Jourde, cela devient une épopée burlesque, un festival d’anecdotes tragicomiques et de considérations satiriques, placés sous les signes variés de Rabelais (pour la scatologie, par exemple), de Diderot et Sterne (pour la complicité entre l’auteur et le lecteur), de Jerome K Jerome (pour l’humour absurde), sans parler de la vigueur stylistique d’un écrivain qui ne recule pas devant les confidences personnelles et familiales, tout en gardant, à la différence de ses cibles favorites, assez de recul pour les mettre à une bonne distance littéraire et critique et pour cultiver l’autodérison raisonnable.
Les péripéties, aventures et anecdotes ne seront pas reprises ici, elles perdraient toute leur saveur. Voyons tout de même quelques titres de chapitres mystérieusement prometteurs : « La boule Quies qui tue, la sacoche piégée, la bouteille de Coca ravageuse, le bidon tentaculaire, la marinière équivoque… ». De quoi mettre en bonne condition le lecteur, qui se perdra avec délices dans « ce foutoir narratif ». Et qui, pour finir, s’apercevra que le périple du canapé, après maints détours, converge vers un beau chant d’amour pour la mère, « Mme Jourde ».
Jean-Pierre Longre
16:59 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, autobiographie, francophone, pierre jourde, gallimard, folio, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
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