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27/01/2024

« Ne pas tomber »

Témoignage, autobiographie, francophone, Neige Sinno, P.O.L., Jean-Pierre LongreNeige Sinno, Triste tigre, P.O.L., 2023

Prix Femina 2023, Prix Goncourt des Lycéens 2023

Entre 7 et 14 ans, Neige a été violée par son beau-père d’une manière systématique, presque quotidiennement, sans que personne le sache. Jeune adulte, elle finit par porter plainte avec l’aide de sa mère à qui elle a tout raconté, et l’homme, qui reconnaît les faits, « comme s’il cherchait à se confesser », est condamné à neuf ans de prison – après quoi il se forgera une nouvelle vie, fondant une nouvelle famille. Neige, quant à elle, va faire des études, une thèse en littérature, et vivre au Mexique avec son compagnon et sa petite fille. Passé la quarantaine, elle publie Triste tigre.

Voilà pour l’affaire, succinctement résumée. Un énième livre autobiographique sur l’inceste et le viol, et sur leurs conséquences ? En quelque sorte, mais avec beaucoup plus que cela. Car il y a tout le reste, tout ce que l’autrice cherche au-delà des faits. Dans cette tâche, elle sollicite l’aide de références littéraires – Lolita de Nabokov, L’Œil le plus bleu de Toni Morrison, Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, Souvenirs de la Kolyma de Varlam Chalamov, bien d’autres encore, comme des supports sur lesquels s’appuyer, grâce auxquels se rassurer. Car comment vivre après cela ? « On ne peut pas se relever et se défaire de quelque chose qui nous constitue à ce point. Le monde entier est perçu à travers ce filtre. Pour celui qui n’a connu que cela, c’est depuis l’oppression que tout s’organise. Il n’existe pas un soi non-dominé, un équilibre auquel on pourrait retourner une fois la violence terminée. » Alors on cherche la « vérité » par la dénonciation, mais « Il faut être prêt à perdre beaucoup de choses quand on décide de parler. On perd sa famille, c’est évident, on perd son village aussi, on perd son enfance, ses souvenirs d’enfance, ses illusions d’enfance. »

La deuxième partie du livre, « Fantômes » (la première s’intitule « Portraits ») entame une série de réflexions « trente ans plus tard » sur les conséquences du crime, la honte, les amalgames, le normal et l’anormal, et aussi sur le « comment écrire » à ce sujet. Faire de la littérature, afin de « transcender » « la simple et vulgaire expérience » ? « Mais, d’un autre côté, faire de l’art avec mon histoire me dégoûte. » L’essentiel ? Témoigner pour tenter de dire l’indicible, et, selon les derniers mots du livre, pour « ne pas tomber. » En l’occurrence, le témoignage est à la fois prenant, sombre et éblouissant.

Jean-Pierre Longre

 

www.pol-editeur.com

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