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03/08/2025

Les déchirements et les découvertes de l’exil

Roman, francophone, Roumanie, Auguste Dietrich, éditions Noir sur Blanc, Jean-Pierre LongreVintilă Horia, Dieu est né en exil, Les Éditions Noir sur Blanc, 2025

La vie de Vintilă Horia (1915-1992) incarne d’une manière significative l’exil imposé par les forces politiques. Après l’oppression subie par le fascisme de la garde de fer et le nazisme allemand, il refusa de se compromettre avec le régime communiste et vécut dans plusieurs pays dont il adopta tour à tour la langue et la culture : l’Italie, l’Argentine, l’Espagne, la France. C’est en français qu'il publia chez Fayard son roman le plus marquant, Dieu est né en exil. Il devait recevoir le Prix Goncourt, mais cette perspective se heurta à l’opposition de plusieurs intellectuels, accusant l’auteur d’être « réactionnaire » et « ennemi du peuple » dans son pays.

Le déchirement de l’exil y est incarné par le personnage d’Ovide, lui-même relégué aux confins du monde, à Tomis, future Constanţa. Nul doute que la thématique de l’ouvrage ne soit en lien direct avec l’expérience intime de l’auteur, qui combine, ici et ailleurs (par exemple dans Le chevalier de la résignation) la maîtrise de la langue française avec la roumanité et la réflexion sur les rapports avec l'étranger. Écrire en français sur un poète antique chassé de son environnement familier est un moyen, pour Vintilă Horia, d’exorciser la douleur inhérente à l’exil linguistique et géographique, et d’opérer une fusion entre deux cultures d’appartenance par la prise en compte personnelle du bilinguisme.

Peu à peu, perce à travers les vers d’Ovide une évolution de ses sentiments à l’égard du pays et de ses habitants. Il fait des excursions dans l’arrière-pays et le Delta du Danube, apprend à parler le Gète et le Sarmate, écrit des vers gétiques, et reconnaît chez les gens qui l’entourent des marques des sentiments amicaux. C’est peut-être ce qui a conduit l’écrivain roumain à montrer dans son roman un Ovide souvent malheureux, mais plein d’humanité. Dans ce journal imaginaire d’Ovide à Tomes, Horia, s’inspirant des œuvres du poète latin, imagine que celui-ci, dépassant sa solitude, s’initie peu à peu, à travers ses rencontres de sages et de prêtres gètes et grecs, à une spiritualité qui lui fera découvrir une religion à la dimension du christianisme à venir. Il s’agit bien sûr d’une œuvre de fiction, mais dont les personnages et le cadre sont particulièrement attachants.

Redécouvrir Ovide en son exil, c’est donc se replonger dans l’antiquité roumaine, qui se rattache, sous la plume de l’auteur, aux fondements historiques (par exemple les origines grecques de Tomes-Constanţa), géographiques (voir dans Les Pontiques la liste des fleuves qui se jettent dans la Mer Noire), mais aussi mythiques de l’Europe (le poète fait surgir dans ses vers, pour les mettre en relation avec sa terre d’exil, les légendes de la Toison d’Or, de Médée la magicienne, d’Iphigénie...). La terre roumaine représenta pour Ovide les confins du monde « civilisé », mais ses vers nous rappellent qu’elle est à tout point de vue l’un des berceaux de notre vieille Europe. Et Vintilă Horia contribue avec art et détermination à ce rappel.

Jean-Pierre Longre

www.leseditionsnoirsurblanc.fr

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