06/09/2025
Une entrée en littérature
Philippe Vilain, Mauvais élève, Robert Lafont, 2025
« Mauvais élève », Philippe Vilain le fut toute son enfance, jusqu’à ce que, décidant d’échapper aux horizons limités offerts par le BEP, il découvre la littérature et la philosophie, passe le baccalauréat, puis entame des études de Lettres qui le mèneront jusqu’au doctorat.
Voilà qui est vite résumé, et qui ne ferait pas la matière d’un livre s’il n’y avait pas tout le reste, notamment la rencontre avec Annie Ernaux qui, après un échange de correspondance, s’éprit de lui et le fit entrer dans sa vie. C’est ainsi que, lui-même séduit, il fit avec elle de beaux voyages, côtoya l’aristocratie des Lettres, ne se privant pas d’observer d’un œil acéré ce monde tout nouveau pour lui : « Je savais, grâce à un discernement exercé, saisir la personnalité de chacun, identifier leur appartenance sociale, à leur diction, façon de s’exprimer, posture, manière de se coiffer, de se vêtir, de s’approprier certaines marques ; je pouvais rapidement distinguer les aristocrates, les nobles, les bourgeois, les petits-bourgeois, démasquer les imposteurs, remarquer ceux qui n’appartenaient pas à ces cercles, les opportunistes qui n’y avaient pas grandi mais qui y étaient tolérés, les parvenus qui l’avaient conquis par des relations, mais qu’une assurance surjouée trahissait, tous ceux-là jusqu’aux belles provinciales séductrices mais désargentées qui me souriaient. »
Si sa compagne, bien plus expérimentée que lui, lui fait découvrir ce nouveau monde, elle devient aussi sa maîtresse en écriture ; sous sa houlette, il découvre la « dimension stakhanoviste » d’une tâche « semblable à un travail musical de gammes ou de répétitions », et apprend que « l’écriture demande un investissement sans faille, un apprentissage de l’humilité, une obéissance à une méthode, offrant finalement peu de jubilation, peu de plaisir. » En filigrane, on devine une relation de dominante à dominé, d’aristocrate des Lettres à jeune « plouc » (le mot a été dit) qui, en y réfléchissant, s’aperçoit que celle qui se désigne comme une « transfuge de classe » l’est beaucoup moins que lui : « C’était une erreur de croire que nous avions vécu la même enfance, puisque, en réalité, et heureusement pour elle, elle n’avait pas subi directement la violence et la pauvreté des classes inférieures, des déshérités, elle n’avait pas affronté le licenciement économique de ses parents, les dettes et la saisie immobilière, l’alcoolisme d’un père, l’échec scolaire. »
L’objet principal de Mauvais élève n’est pas tant le récit d’une relation amoureuse initiatrice et hors normes que celui d’une accession à la littérature et à ses dimensions, en même temps qu’une réflexion sur l’écriture elle-même, en particulier sur l’écriture autobiographique, ses « stratégies », ses « distorsions », « la façon dont un écrivain peut transformer son histoire, l’infléchir dans un sens plutôt que dans un autre, instrumentaliser ses expériences par les ruses du genre. » Au-delà des aspects anecdotiques, l’important est là : l’exploration d’une entrée en littérature et la découverte de ses mystères.
Jean-Pierre Longre
21:56 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : autobiographie, francophone, philippe vilain, robert lafont, jean-pierre longre | Facebook | |
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