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12/11/2025

L’art du bref

Textes brefs, Jean-Jacques Nuel, Éditions du Petit Pavé, Jean-Pierre LongreJean-Jacques Nuel, Contresens, Éditions du Petit Pavé, 2025

Il y a plus de dix ans, j’écrivais ceci à propos des Courts métrages de Jean-Jacques Nuel : « Le texte bref, malgré les apparences, n’est pas un genre facile. Il n’est pas donné à tout le monde de réussir à dire (ou, le plus souvent, à suggérer) en quelques lignes ce que d’autres développent en plusieurs centaines de pages. Il faut pour cela non seulement le sens de la concision, la maîtrise du mot et de l’expression justes, l’art de la chute, mais aussi de l’imagination, beaucoup d’esprit et beaucoup de travail. »

Voilà qui se vérifie pleinement avec Contresens. Pleinement, et même au quintuple, puisque cet ouvrage reprend une bonne partie de cinq recueils précédemment publiés : Courts métrages, Lettres de cachet, Modèles réduits, Le mouton noir et Billets d’absence – le tout augmenté de quelques inédits et parsemé d’illustrations de Dominique Laronde donnant une belle touche théâtrale à la prose.

La brièveté textuelle favorise la diversité des tonalités et des sujets. Impossible de tout passer en revue, bien sûr. Si Jean-Jacques Nuel ne néglige pas, pour le plaisir de ses compatriotes, d’évoquer de-ci de-là la bonne ville de Lyon ou de faire quelques (vraies-fausses ?) confidences à caractère autobiographique et auto-ironique (sur son prénom par exemple), ses textes touchent à l’universalité de la vie et de la condition humaine. Il y  a l’humour souvent noir, voire désespéré, des dystopies que l’on peut surmonter grâce à des solutions radicales ou douces (parfois) ; il y a, bien sûr, l’absurde kafkaïen de certaines situations, et pas mal de nostalgie bercée par de jolis souvenirs et un sens pénétrant de la poésie, mais aussi le sentiment du temps qui passe et de la vieillesse annonçant la fin ; n’oublions pas la verve satirique d’un auteur qui, entre autres, ne ménage pas l’administration, les petits chefs et les mauvais littérateurs.

On aurait envie de composer un florilège, mais que choisir ? Simplement, pour donner un avant-goût, reprenons ce qu’affiche la quatrième de couverture :

PHOTOMATON
La photo d’identité en noir et blanc, de mauvaise qualité, s’était estompée avec le temps : on ne distinguait plus que l’ovale du visage aux cheveux ras se détachant sur le gris plus sombre du rideau, et des traces de la bouche, du nez, des yeux, des sourcils aussi indistinctes que les taches des reliefs à la surface de la pleine lune. L’homme sur la photo était devenu méconnaissable, et cependant, de tous mes portraits, c’était celui qui me ressemblait le plus.

FAUSSAIRES
J’avais été invité dans un festival de poésie qui se tenait en été dans le midi de la France ; mon nom figurait au programme, au milieu d’une liste de poètes de diverses nationalités. Mais, tout en étant heureux de cette occasion de monter sur une scène, j’éprouvais une certaine gêne : n’ayant plus écrit de poésie depuis plus de vingt ans, je n’avais aucun poème à lire. Je me résolus donc à livrer au public un choix de mes textes en prose. Ils rencontrèrent un vif succès, et les organisateurs tentèrent de me persuader qu’il s’agissait là d’une forme de poésie. Je les laissai dire, par politesse, mais au fond de moi je savais bien que non. Mes textes n’étaient pas de la poésie, pas davantage que tous les prétendus poèmes de tous les prétendus poètes qu’il me fallut subir, avant et après mon intervention.

Et pour varier les attentes de lecture, ajoutons :

LE BUREAU DES ADMISSIONS

Les candidats attendaient toute la nuit dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture, pour être certains d’obtenir dès l’ouverture du bureau ce précieux ticket, délivré en nombre limité, qui leur donnait le droit d’attendre, la nuit suivante, dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture.

VOL AVEC TRANSFERT

[…] Si la traversée de la moitié du globe n’avait présenté aucune difficulté, le passage du terminal 1 au terminal 2 de cet aéroport s’avérait une épreuve interminable et peut-être insurmontable.

ÉCHEC DE LA POLITIQUE DE PROHIBITION

À plusieurs reprises, le gouvernement de ce pays, animé des meilleures intentions du monde et d’un idéal progressiste, a voulu interdire la mort. Peine perdue. Les gens continuaient de mourir, en cachette, et dans de très mauvaises conditions sanitaires.

À chacun de poursuivre…

Jean-Pierre Longre

www.petitpave.fr  

https://jeanjacquesnuel.e-monsite.com

25/05/2023

Dans les archives de la mémoire

Poésie, francophone, Jean-Jacques Nuel, éditions du petit pavé, Jean-Pierre LongreJean-Jacques Nuel, Images d’archives, Éditions de Petit Pavé, Le Semainier, 2023

Faire de la poésie d’autoroute ? Pour Jean-Jacques Nuel, ce n’est pas comme faire du roman de gare ! Non, rien à voir. C’est saisir dans ce qu’il y a d’on ne peut plus prosaïque le petit rien, le petit mystère, la petite anomalie qui rend, justement, la vie matérielle poétique : ce poids qui reste sur le cœur alors qu’on voit s’éloigner un poids lourd dans le rétroviseur, ce même rétroviseur qui, une fraction de seconde, laisse entrevoir une apocalypse aussitôt disparue ; ou l’ange gardien apparu dans le sillage d’un véhicule de sécurité, ou encore, sur un gobelet en carton de station-service, cette trace de rouge à lèvres qui laisse rêveur…

Le quotidien, voilà le matériau du poète. Le quotidien du présent (les bûches à rentrer, la chaudière à réviser) et celui du passé, qui induit les souvenirs – celui d’un vieux pont sur la Saône remplacé, un peu plus loin, par un ouvrage moderne (tiens donc, allusion voilée à l’ancienne activité éditoriale de l’auteur ?), celui du parking des bas ports du Rhône devenu lieu de promenade, ceux de la vie estudiantine puis professionnelle, ceux de « voyages / lointains dans l’espace / et le temps », ceux des cafés et des salles de concerts oubliés… Souvenirs le plus souvent liés à Lyon, la ville de naissance (à l’Hôtel-Dieu) et des grands ancêtres de la Renaissance, Louise Labé, Maurice Scève, Pernette du Guillet…

Tout en suggestions, sans artifices, la poésie de Jean-Jacques Nuel s’écoule goutte à goutte de la masse du réel, suscitée par « nos propres souvenirs / incessibles », par les archives individuelles et collectives de la mémoire.

Jean-Pierre Longre

poésie,francophone,jean-jacques nuel,éditions du petit pavé,jean-pierre longreRéédition: Sous le titre Le colocataire, Jean-Jacques Nuel vient de rééditer son ouvrage Une saison avec Dieu publié au Pont du Change en 2019. 

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