11/01/2024
Un impitoyable réquisitoire
Arthur Schopenhauer, La ruine de la littérature, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, éditions Mille et une nuits, 2023
En 1851, Schopenhauer publiait Parerga et Paralipomena, dont les éditions Mille et une nuits ont opportunément extrait le chapitre intitulé « Écrivains et style ». Opportunément, parce que si l’on fait abstraction un tant soit peu du contexte géographique (l’Allemagne) et historique (le XIXe siècle), ce petit livre, un pamphlet plutôt qu’un traité, est resté d’une étrange actualité.
Fidèle à son humeur pessimiste, le philosophe s’en prend d’abord à ceux qui écrivent pour leur profit, distinguant les « écrivains de profession » des « écrivains de vocation », les vrais, plus rares que les premiers. Les journaux littéraires, qui devraient faire cette distinction, se fient plus aux « recommandations de compères » qu’à l’importance et à la qualité des livres. Schopenhauer, à ce propos, fustige violemment l’anonymat des critiques, ceux qui déchargent « anonymement et impunément [leur] bile. » Comment ne pas penser aux méfaits actuels des réseaux sociaux en lisant ces lignes : « Gredin, nomme-toi ! Car attaquer, déguisé et masqué, des gens qui vont à visage découvert, c’est ce que ne fait aucun honnête homme. Seuls les drôles et les coquins agissent ainsi. Donc, gredin, nomme-toi ! » ?
L’auteur a ses préférences, et les exprime avec une clarté sans concessions. C’est Goethe contre Schelling, Hegel et Schiller. C’est la logique française contre la « lourdeur » allemande ; c’est la précision de la grammaire grecque contre ces « grossiers apprentis allemands de la corporation des barbouilleurs ». La brutalité des jugements, auxquels le lecteur peut apporter ses propres nuances en faisant la part des choses, s’assortit de sentences intemporelles et vigoureusement assénées sur le style, du genre : « Le style est la physionomie de l’esprit. » ; « Imiter le style d’autrui, c’est porter un masque. » ; « Tout style écrit doit plutôt garder une certaine trace de parenté avec le style lapidaire, qui est l’ancêtre de tous. » ; « Le style doit être non subjectif, mais objectif. » J’appliquerai cette dernière qualité au commentaire, et garderai à l’esprit que La ruine de la littérature est, comme le dit la quatrième de couverture, une « plaidoirie implacable », exactement dans l’esprit de son auteur.
Jean-Pierre Longre
20:35 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, pamphlet, arthur schopenhauer, auguste dietrich, éditions mille et une nuits, fayard, jean-pierre longre, allemagne | Facebook | | Imprimer |