2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/03/2025

Face à la bestialité

Roman, francophone, Michaël Mention, Belfond, Jean-Pierre LongreMichaël Mention, Qu’un sang impur, Belfond, 2025

Dans un petit immeuble de banlieue, vivent en bons termes quelques personnes assez représentatives de la société actuelle : un couple genre bobo écolo avec un petit garçon de 4 ans ; une étudiante qu’on ne verra pas ; un écrivain célibataire plutôt de droite ; deux octogénaires, lui aux petits soins pour sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer ; un couple de musulmans avec leurs deux enfants de 5 à 7 ans ; une retraitée assidue à Internet, limite complotiste. Nous sommes visiblement dans un avenir proche, dans une société marquée par les caractéristiques que l’on connaît ou que l’on a connues (Covid, dérèglement climatique, attentats, guerres en Ukraine et ailleurs, injustices sociales…). Dès le début du récit nous suivons Matt sortant de la banque où il travaille et s’apprêtant à rejoindre sa femme et son fils dans le loft qu’ils occupent au troisième étage de l’immeuble, lorsqu’il est soudain témoin comme tout le monde d’une catastrophe inattendue provoquant la plus affolante des paniques.

C’est l’horreur qui survient, d’une violence inouïe : des individus normaux les secondes précédentes deviennent tout à coup des monstres inhumains aux forces décuplées s’attaquant à leurs semblables pour les déchiqueter et les dévorer. Un virus libérant « l’hormone de l’agressivité » ? Une réaction à l’hostilité du monde ? Les « communicants », comme d’habitude, vont de disputer et palabrer, les gouvernants faire des recommandations et tenter de rassurer, la police réprimer et se faire déborder, jusqu’à ce que l’on trouve la cause planétaire de cette fureur anthropophagique. En attendant, les occupants du petit immeuble, confinés, calfeutrés comme tout un chacun, tentent désespérément de faire face aux attaques de bandes cannibales, au manque de nourriture, à la canicule accentuée par l’enfermement, aux questions des enfants, aux variations d’humeur et aux rivalités entrainées par une cohabitation forcée, et n’échappent pas aux conséquences mortelles du fléau.

Dans un style tour à tour percutant et sensible, coloré de satire politico-sociale, avec un remarquable sens de la formule, Michaël Mention a l’art de passer, en résonance et en un instant, de la fresque aux larges dimensions à la description microcosmique. Par exemple : « Ce matin plus qu’hier, ça sent la fin. Endeuillée, terrifiée, sclérosée d’affrontements entre immunisés, la vieille Europe semble vivre ses derniers jours. De la BBC à la Rai en passant par BFM, les spécialistes sont formels : la guerre civile n’est pas loin, et la fin de la civilisation non plus. Survivalistes, néonazis, islamistes, anarchistes… les plus radicaux se tiennent prêts, le chaos dans les crocs. » Même page, quelques lignes plus loin : « Chantal, Yazid et Clem, mutiques dans la cuisine. Écœuré, l’ami du petit déjeuner. Tous nauséeux, à l’idée d’être confrontés les uns aux autres aujourd’hui encore, ils se renvoient en silence leur responsabilité respective dans la mort de Joël. Elle est loin la Fête des voisins. » L’art, aussi, de montrer comment se mêlent, dans la nature humaine, l’incroyable fureur et l’émotion bienveillante, l’égoïsme et l’altruisme, la peur et la lucidité, la lâcheté et le courage. Au-delà de la dimension romanesque, voilà le fond signifiant de la dystopie : une métaphore de la violence des rapports humains. « L’homme est un loup pour l’homme », affirmait Thomas Hobbes au XVIIe siècle. Le XXIe n’échappe pas à cette affirmation, et Michaël Mention en fait une haletante démonstration.

Jean-Pierre Longre

www.belfond.fr

Michaël Mention sera présent au festival « Quais du polar » du 4 au 6 avril 2025. Voir https://quaisdupolar.com/programme-2025/

24/02/2023

Se venger, désespérément

Roman, francophone, Michaël Mention, Belfond, Jean-Pierre LongreMichaël Mention, Les Gentils, Belfond, 2023

Franck, devenu disquaire après une période de tâtonnements mouvementés, a vécu quelques années de pur bonheur avec sa femme et leur fille. « Ta mère est entrée dans ma vie. L’amour. Ta mère et toi. L’émerveillement. Huit ans de bonheur. T’étais enjouée sans être chiante, et nous cool sans être laxistes. Notre harmonie était permanente, irradiant toute la famille. Avec mes parents, si on a commencé à se parler, c’est grâce à toi. Bref, chaque jour, c’était les vacances. Et la joie quotidienne de te voir grandir, de côtoyer ton intelligence, ton sourire. »

Tout à coup, l’événement le plus tragique qui puisse arriver à des parents, la mort soudaine de la fillette, tuée au cours du braquage minable d’une boulangerie. L’enquête policière n’aboutissant à rien, son couple défait par le drame, sa boutique bradée, Franck, « transpercé » par le deuil, part sur les traces du meurtrier, avec un portrait bien mince : « Homme blanc, la vingtaine, brun… et logo Anarchie tatoué sur l’épaule gauche ». Son départ à travers les bas-fonds parisiens, puis vers le sud de la France (Toulouse, Marseille) est le prélude d’une longue aventure en Guyane, dans la forêt amazonienne aux multiples dangers, un enfer qui contraste avec les quelques années paradisiaques soudainement révolues.

Avec en arrière-plan les circonstances politiques française de l’année 1978 (les discours de Giscard d’Estaing, le programme commun de la gauche) qui paraissent de plus en plus lointaines voire anachroniques, Franck, mû par une volonté obstinée de vengeance, arrive à se sortir de situations inextricables, de risques physiquement mortels et mentalement décourageants, laissant derrière lui les traces sanglantes de violences inouïes. Lorsqu’il n’est pas abandonné à lui-même dans une nature inhospitalière, confronté à des animaux peu rassurants, il croise toutes sortes de gens – indigènes pacifiques, ouvriers exploités par une multinationale, jeunes révolutionnaires utopistes – pour aboutir au milieu d’une communauté présentant toutes les apparences du bonheur, en réalité une secte qui a défrayé la chronique en novembre 1978…

Roman noir, roman d’aventures violentes, Les Gentils l’est, à coup sûr. C’est aussi le roman d’une quête pathétique de soi à travers le dialogue entre l’adulte et la fillette, à qui le récit s’adresse, comme si la mort était niée, ou en tout cas exorcisée, transcendée par l’écriture et la parole, et par un amour absolu.

Jean-Pierre Longre

www.lisez.com/belfond/5

www.lisez.com/belfond/collection-belfond-noir/58932

Michaël Mention sera présent au festival Quais du Polar, Lyon, du 31 mars eu 2 avril 2023. www.quaisdupolar.com