21/11/2021
Un lourd héritage
Jean-Paul Dubois, La succession, Éditions de l’Olivier, 2016, Points, 2017, rééd. 2021
En lisant ce roman de Jean-Paul Dubois, vous saurez tout sur la pelote basque et la vie des « pelotari » professionnels de Miami, leurs maigres salaires et la « grande grève » qu’ils menèrent en 1988. Vous saurez tout sur la Triumph Vitesse MK2, sur la Karmann Ghia, sur le dernier des quaggas, ces drôles de zèbres, sur le prétendu « complot des blouses blanches » fabriqué par Beria à la mort de Staline, sur la tentative d’assassinat de Roosevelt par le maçon Zangara, sur les hespérophanes et sur bien d’autres choses encore, dont l’art de se suicider.
À part le dernier point, ce n’est pas l’essentiel, loin s’en faut, mais cela fait partie du tout romanesque. L’auteur a l’art de raconter des histoires ébouriffées tournant autour d’un axe solide, généralement un personnage prénommé Paul, menant ce qui est pour lui une vie normale, pour d’autres une vie étrange. « Qu’est-ce qui cloche chez toi ? », comme le répète régulièrement son amie Soraya au protagoniste de La succession. Paul Katrakilis, médecin sans patients et surtout joueur de pelote basque, se souvient des quatre années où il fut « un homme profondément heureux, comblé en toutes choses », entre 1983 et 1987. Il exerçait alors le seul métier qui lui plaisait, vivait en parfaite harmonie avec un petit chien qu’il avait sauvé de la noyade, jouissait de la solide amitié d’Epifanio, pelotari comme lui, était tombé sous le charme d’une splendide norvégienne en pleine maturité, menait avec jubilation sa Karmann sur les routes de Floride et son vieux petit bateau le long des côtes…
Quatre années qui durent s’interrompre pour un retour à Toulouse, dans la grande maison pleine des fantômes familiaux. Un lourd héritage pèse sur Paul : les suicides de son grand-père, paraît-il ancien médecin de Staline, de sa mère et de son oncle qui ne pouvaient se passer l’un de l’autre, enfin de son père… Ce père médecin qui avait prévu que son fils prenne sa suite. C’est ce que Paul va se risquer à faire : rouvrir le cabinet Katrakilis, recevoir et visiter les malades, en une « succession » qui ira plus loin que ce qu’il avait pensé. « J’avais 44 ans, la vie sociale d’un guéridon, une vie amoureuse frappée du syndrome de Guillain-Barré et je pratiquais avec application et rigueur un métier estimable mais pour lequel je n’étais pas fait. ». Un métier qui le conduira jusqu'au partage des secrets de son père.
Jean-Paul Dubois sait réunir dans un même mouvement narratif l’humour et le désespoir, sait superposer le bonheur d’exister et le malheur de vivre, la chaleur humaine et la méchanceté des hommes. La succession le prouve brillamment.
Jean-Pierre Longre
19:03 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, francophone, jean-paul dubois, Éditions de l’olivier, points, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
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