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15/06/2024

Survivre, pardonner, changer les choses

Essai, autobiographie, anglophone (États-unis), Eva Mozes Kor, Lisa Rojany Buccieri, Peggy Tierney, Blandine Longre, Armand Colin, Jean-Pierre LongreEva Mozes Kor, avec Lisa Rojany Buccieri, Les jumelles de Mengele. Le témoignage unique d’une rescapée d’Auschwitz. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Blandine Longre, Armand Colin, 2023

On ne s’habituera jamais à l’horreur, et chaque témoignage sur les camps d’extermination apporte son lot de questions sur « l’espèce humaine », à la suite de celles que se pose Robert Antelme. En lisant Survivre un jour de plus, on se demande comment des hommes, des médecins devenus bourreaux, ont pu faire subir les atrocités infligées à leurs victimes sous prétexte d’expérimentations médicales, et comment les victimes – du moins certaines d’entre elles – ont pu résister aux souffrances. Cette résistance, Eva Mozes Kor l’explique par l’amour que sa jumelle Miriam et elle se portaient mutuellement, ce qui constituait un soutien inébranlable : « Nous nous raccrochions l’une à l’autre parce que nous étions des jumelles. Nous comptions l’une sur l’autre parce que nous étions des sœurs. Et parce que nous appartenions à la même famille, nous ne renoncions pas. ». Ajoutons à cela une force de caractère exceptionnelle : « Je ne suis pas morte, me répétais-je. Je refuse de mourir. Je vais me montrer plus futée que ces docteurs, prouver à Mengele qu’il a tort, et sortir d’ici vivante. ».

Âgées de dix ans, Eva et Miriam, Juives nées en Roumanie, ont été déportées à Auschwitz avec leur famille – leurs parents et leurs deux sœurs, qu’elles ne reverront pas. C’est leur long calvaire qu’avec l’étroite collaboration de Lisa Rojany Buccieri l’auteure relate ici : le départ forcé de leur village sous le regard muet d’une population rongée par l’antisémitisme, l’arrivée brutale au camp, les expériences inhumaines faites sur les jumeaux, et donc sur Eva et Miriam, par Mengele et ses sbires, les maladies, la faim, la peur incessante de la séparation et de la mort, mais le courage inaltérable. Enfin la déroute nazie, la libération par les Russes (qui ne manquent pas de mettre en scène le film de la sortie du camp), et la question de l’avenir qui se pose aux deux fillettes maintenant seules : « Nous avions survécu à Auschwitz. Nous avions onze ans. Nous n’avions désormais qu’une question en tête : comment allions-nous rentrer chez nous ? ». Après maints détours, c’est le retour au village de Porţ, le malaise qui les prend en réalisant que ce ne sera plus jamais comme avant, et la volonté de se construire « une nouvelle vie ». Pendant cinq ans elles vivront à Cluj chez leur tante, puis, avec les difficultés que l’on devine sous le régime roumain de l’époque, ce sera le départ pour Israël.

Devenue par la suite américaine, Eva Mozes Kor a fondé « une association de soutien aux jumeaux ayant survécu aux expérimentations de Josef Mengele, et a aidé à faire pression sur plusieurs gouvernements afin que soit retrouvé ce dernier. ». Après le décès de Miriam, elle a ouvert à sa mémoire le « Musée et centre éducatif de la Shoah », et est devenue une ambassadrice de la paix et du pardon – conformément à ce qu’elle espèrait transmettre aux jeunes générations et qui conclut l’ouvrage : ne jamais renoncer, et pardonner à ses ennemis. Ce livre poignant, illustré par d’émouvantes photos, est à la fois témoignage nécessaire, leçon de courage et « message de pardon ».

L'ouvrage a été publié pour la première fois en 2009 sous le titre Surviving the Angel of Death: The Story of a Mengele Twin in Auschwitz, puis en 2018 dans une traduction française de Blandine Longre sous le titre Survivre un jour de plus - Le récit d'une jumelle de Mengele à Auschwitz aux éditions Notes de Nuit. Après le décès d’Eva Mozes Kor en 2019, une nouvelle édition est parue en 2020 en anglais et en 2023 en français, augmentée d’une postface de l’éditrice Peggy Tierney, qui insiste sur certains traits de caractère d’Eva comme la ténacité et la détermination, le sens de l’humour et du pardon, et qui écrit : « Si une rescapée d’Auschwitz d’un mètre quarante-cinq, orpheline, réfugiée, immigrée, agente immobilière avec un accent roumain vivant à Terre Haute, dans l’Indiana, a été en mesure de trouver un public international pour propager son histoire et son message, alors chacun de nous est capable de changer les choses, qui que nous soyons et où que nous vivions. »

Jean-Pierre Longre

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