26/02/2016
L’Histoire et le Roman
Milena Agus, Luciana Castellina, Prends garde, traduit de l’italien par Marianne Faurobert et Marguerite Pozzoli, Liana Levi, 2015, Liana Levi Piccolo, mars 2016.
Prix Méditerranée étranger 2015
L’histoire des Pouilles entre 1943 et 1946 est tourmentée, complexe, violente. Histoire politique (le sort de l’Italie après la chute de Mussolini et le débarquement des alliés), histoire sociale (la misère des ouvriers agricoles et leurs révoltes contre les propriétaires terriens). Le mérite de Luciana Castellina, écrivaine et journaliste engagée à gauche, est de retracer d’une manière vivante, détaillée, claire, ces épisodes d’un passé trop vite oublié. Cela à partir d’un événement survenu le 7 mars 1946 sur la place principale de la ville d’Andria, entre Foggia et Bari, où des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour écouter le discours du fameux syndicaliste Giuseppe Di Vittorio : un ou deux coups de feu furent tirés depuis la riche demeure des sœurs Porro, issues d’une grande famille locale. Les pages qui suivent décrivent donc le contexte historique, local et national, situant les faits.
Retournons le livre. Même illustration, mais cette fois le titre Prends garde est précédé d’un autre nom : Milena Agus. La romancière sarde, devenue célèbre avec son Mal de pierres (2007), est partie du même épisode, les coups de feu tirés sur la place d’Andria. Symétriquement à la relation fidèle de la réalité historique, la fiction romanesque nous fait pénétrer dans la demeure toujours fermée des sœurs Porro, vieilles héritières d’une tradition composée de piété, de charité, de gestes routiniers, de non-dits, de conservatisme. Celle qui nous y emmène et qui nous les fait connaître de l’intérieur est du même monde qu’elles, mais plus ouverte, révoltée, extravagante (du moins aux yeux de ses semblables) : « Gracieuses, raides et efflanquées, elles l’accueillaient, elle, pataude et replète, qui, assise sur le sofa avec les jambes trop écartées, faisait la révolution. Elles l’écoutaient, prenaient peur, et riaient en se cachant la bouche. ».
Les deux points de vue, historique et romanesque, prolétarien et possédant, renvoient l’un à l’autre, et font saisir la profondeur des choses et des gens. D’un côté le drame collectif de toute une région, voire d’un pays ; de l’autre « la tragédie des sœurs Porro », d’une famille riche en fin de parcours. D’un côté les foules et leurs luttes pour une société plus juste, de l’autre les individus et leur psychologie, leurs sentiments plus ou moins cachés, leurs combats intérieurs. L’imaginaire et le réel, loin de s’opposer, se complètent parfaitement pour faire saisir, en tout cas approcher la vérité humaine dans toute sa complexité.
Jean-Pierre Longre
12:04 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, histoire, italie, milena agus, luciana castellina, marianne faurobert et marguerite pozzoli, liana levi, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
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