2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/01/2023

L’architecte, les promoteurs et les politiciens

Théâtre, Kosovo, Macédoine, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Shkëlzen Maliqi, Goran Stefanovski, Ivan Dodovski, Maria Béjanovska, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreJeton Neziraj, Les cinq saisons d’un ennemi du peuple. Traduit de l’albanais (Kosovo) par Anne-Marie Bucquet, préface de Shkëlzen Maliqi, éditions L’espace d’un instant, 2022

« Mais ces gens-là sont en train de détruire cette ville ! Ces entrepreneurs sont une poignée de bandits, une toute petite minorité, alors que ceux qui subissent les conséquences de leurs actes sont la majorité. Et la majorité est contre. » Ainsi s’indigne l’architecte, protagoniste de la pièce de Jeton Neziraj. Indignation justifiée par les manœuvres sournoises et les méthodes maffieuses des promoteurs immobiliers, ici incarnés par le personnage de Meti, propriétaire tout-puissant d’une entreprise de BTP. Mais indignation impuissante devant l’influence néfaste subie par les gouvernants et le peuple, avec l’assentiment de Pierre, administrateur des Nations unies, de Margarita, journaliste populaire de télévision, et même du secrétaire général du syndicat des ouvriers du bâtiment.

La pièce est tirée d’une histoire vraie : en 2000, Rexhep Luci, chef du service d’urbanisme de Prishtina, opposé aux constructions illégales de grands ensembles dans la capitale du Kosovo et promouvant une reconstruction harmonieuse de la ville, est assassiné. C’est le processus qui a abouti à cet assassinat que le dramaturge reconstitue ici, sous la forme de la fiction théâtrale, mettant en scène les relations de plus en plus ambiguës et conflictuelles entre l’architecte et les autres personnages, auxquels s’ajoutent un « dieu des constructions » et, selon un rapport bien différent, la fille de l’architecte, soucieuse de la vie de son père dans sa lucidité : « Tu es tout seul. Et tu ne peux pas les arrêter à toi tout seul. Papa, tu dois te protéger ! »

Les cinq saisons d’un ennemi du peuple est une pièce subtilement engagée, démontrant peu à peu les rouages pernicieux du fonctionnement politique dans le Kosovo d’après-guerre, un fonctionnement politique soumis comme dans beaucoup d’autres pays aux lois (aux non-lois) du capitalisme sauvage et sans scrupules. Ceux que l’on croyait du côté de l’architecte – la journaliste, le syndicaliste, le représentant des Nations unies, le peuple même – se révèlent peu à peu soumis à cette emprise. Tout cela se fait par étapes, par découvertes successives au fil des scènes, et c’est de cette manière que la satire est la plus prégnante, les mises en garde de l’architecte à sa fille les plus claires : « Je voulais te dire quelque chose. Fais attention à ces gens des Nations unies. Ils ont de l’argent, ils conduisent leurs grosses Jeep, ils mangent dans les meilleurs restaurants et ils pensent qu’ils peuvent tout acheter ici. » Quatre actes, quatre saisons. Et une cinquième, « intermédiaire », saisons de bourgeons nouveaux, que finalement semble espérer la jeune fille. Nous aussi.

Jean-Pierre Longre

Autre parution aux éditions L’espace d’un instant :

Théâtre, Kosovo, Macédoine, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Shkëlzen Maliqi, Goran Stefanovski, Ivan Dodovski, Maria Béjanovska, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreGoran Stefanovski, Éloge du contraire. Textes réunis et présentés par Ivan Dodovski, traduits du macédonien par Maria Béjanovska.

« Voici enfin réunis, et pour la première fois, les textes de Goran Stefanovski, essais et discours écrits à l’occasion de différentes manifestations culturelles internationales. Ses observations et ses réflexions, faites à partir d’une position d’« exil itinérant » et dans lesquelles on croise Kafka, Tintin ou Donald Duck, élaborent un hypertexte sur l’identité et engagent à une déconstruction audacieuse des clichés. L’auteur d’Hôtel Europa propose ainsi une critique des divisions internes de l’Europe, qui menacent de la transformer en un espace dystopique de méfiance et d’ignorance, particulièrement sous les assauts du capitalisme mondial. »

Il fut pourtant un temps où l’Est (du moins mon coin de l’Est) criait : “Nous sommes ici, ici !”, et où l’Occident répondait : “Nous ne pouvons pas vous voir. Vous n’êtes pas là où nous vous attendions. Déplacez-vous, que nous puissions vous voir.” »

Goran Stefanovski (1952-2018) est né en Macédoine. Auteur dramatique, universitaire, il a vécu et travaillé entre Skopje et Canterbury. Il a écrit de nombreuses pièces et scénarios, abordant notamment les frictions entre identité personnelle, histoire et politique. Un bon nombre de ses œuvres ont fait l’objet de productions internationales, représentées à travers l’Europe, du BITEF de Belgrade jusqu’au Festival d’Avignon.

Sommaire :
Histoires de l’Est sauvage
Sur notre histoire
Discours post-dînatoire
L’essence des choses
Le téléphone en panne
Les trans-artistes et les cis-artistes
L’auteur dramatique en tant qu’artisan des drames
Dispute avec Kafka
Éloge du contraire
Tintin dans les Balkans
L’étincelle qui jaillit
Supplément :
« Goran Stefanovski : “Fables du monde sauvage de l’Est.
Quand étions-nous sexy ?” », par Frosa Pejoska-Bouchereau

https://parlatges.org

10/11/2021

La parole brute du théâtre

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreEléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Une heure et dix-huit minutes ; Septembre.doc, traduit du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, éditions L’espace d’un instant, 2021  

Eléna Gremina et Mikhaïl Ougarov (tous deux nés en 1956 et morts en 2018) combattaient contre les abus et les violences du pouvoir russe. Un engagement concret, constant, pour lequel ils utilisaient « le moyen qui était le leur, la scène » – et ce d’une manière originale, rompant avec les traditions. Les deux pièces publiées ici manifestent cet engagement et cette originalité, puisqu’elles sont en prise directe avec l’histoire récente, exploitant documents et témoignages. Cécile Vaissié, dans sa préface, explique clairement comment est né le Théâtre.doc de Moscou, « l’un des très rares théâtres financièrement indépendants de Russie », et dit comment les deux pièces « illustrent l’approche artistique » de ce théâtre en s’appuyant « sur des matériaux bruts. »

Une heure et dix-huit minutes, qui utilise entre autres documents les carnets et les lettres de Sergueï Magnitski, relate comment celui-ci, en 2009, est mort en prison à la suite de tortures, de mauvais traitements et d’une agonie d’une heure et dix-huit minutes. La pièce se divise en « rubriques » mettant en scène les monologues de personnes réelles accusées initialement par la mère du défunt : juge d’instruction, procureur, directeur et médecins de la prison, tous responsables des souffrances et de la mort de Magnitski, et montrés dans toute leur lâcheté, leur iniquité, tentant de dégager leur responsabilité, à l’image du médecin qui ne se dit plus soumis au Serment d’Hippocrate, mais au « Serment du médecin russe », ou à celle de la juge Stachina, qui nie être un être humain, mais se dit « l’instrument de la volonté de l’État. »

Septembre.doc est un patchwork d’interventions collectées « sur divers forums internet tchétchènes, ossètes et russes » à la suite des événements sanglants survenus dans une école de Beslan (Ossétie du Nord) en septembre 2004 : plus de trois cents morts provoqués par l’intervention des forces armées russes contre des terroristes tchétchènes ayant pris en otages un millier d’enfants et leurs parents. Toutes les opinions, toutes les émotions, toutes les réactions s’expriment de la part d’un population très diverse, Russes, Ossètes, Tchétchènes, Ingouches, musulmans, orthodoxes, athées, progressistes, fascistes, et tous les types de langage, du plus pensé au plus épidermique, du plus respectueux au plus insultant, du plus correct au plus crû, sont reproduits tels quels. Au public de s’y retrouver, de se faire ses idées, de se construire sa propre vérité face à ce puzzle verbal.

Théâtre document, théâtre de paroles, théâtre témoignage ? Théâtre en tout cas percutant, dont le réalisme à l’état brut, poussé jusqu’au bout de l’odieux et de l’absurde, joue pleinement son rôle. L’œuvre d’art engage non seulement les auteurs et les acteurs, mais aussi les personnages et leurs mots fidèlement représentés, et bien sûr les spectateurs ainsi pleinement sollicités.

Jean-Pierre Longre

 

Autres parutions aux éditions L’espace d’un instant :

 

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreJeton Neziraj, Bordel Balkans, traduit de l’albanais (Kosovo) par Anne-Marie Bucquet

« Bordel Balkans est une réécriture de L'Orestie d'Eschyle, traitée de manière très contemporaine. Agamemnon, chef de guerre sanguinaire, est de retour des champs de bataille de l'ex-Yougoslavie. Il retrouve sa femme, Clytemnestre, qui s'est occupée de leur hôtel-bar « Balkan Express » pendant sa longue absence. Ainsi commence l'enchaînement fatal des causalités liées au destin des Atrides. Énergie kaléidoscopique de cette tragédie musicale où alternent imprécations et lamentations, chants populaires, interludes comiques et commentaires du chœur, en une sarabande effrénée dans laquelle tous les personnages sont entraînés jusqu'à l'incendie final purificateur. »

« Jeton Neziraj est né en 1977 au Kosovo. Dramaturge et scénariste, ses œuvres ont été présentées dans une quinzaine de langues en Europe et en Amérique du Nord, du théâtre national d’Istanbul à La MaMa à New York, en passant par le Vidy à Lausanne et le Piccolo à Milan. Il a été directeur du Théâtre national du Kosovo de 2008 à 2011 et dirige actuellement le Qendra Multimedia, principal pôle culturel indépendant de l’espace albanophone, qu’il a fondé en 2002. Censurée en Chine, son œuvre est très impliquée socialement et politiquement. »

 

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreTyrfingur Tyrfingsson, Quand Helgi s’est tu, traduit de l’islandais par Raka Ásgeirsdóttir et Séverine Deaucourt

« L'écriture de Tyrfingur Tyrfingsson détone, elle est immorale, vivifiante et drôle. Ses personnages ne suscitent pas l'empathie, ils sont des figures dévastées d'une société insensée et corrompue. [...] Dans Quand Helgi s'est tu, on joue sans cesse avec la mort, on ne la respecte pas, on s'en moque. À la morgue, chacun, chacune est face à sa condition humaine. Dans l'entreprise familiale de pompes funèbres, tout est fric et corruption, la mort est un marché comme un autre, et le père et le fils, thanatopracteurs, sont de petits escrocs infantiles. L'image courante de l'Islande, celle d'un pays évolué et solidaire, à la démocratie modèle, avec sa nature sauvage et sa magie mystérieuse, est totalement renversée. »

« Tyrfingur Tyrfingsson est né en Islande en 1987. Il a étudié à l'Académie des arts d'Islande et à la Goldsmiths University de Londres. Sa première pièce lui a immédiatement valu la première de ses cinq nominations aux Griman islandais. Depuis 2011, ses textes sont créés au Théâtre de la ville de Reykjavik et au Théâtre national d'Islande. En français, ses textes ont été présentés à partir de 2018 au Festival d'Avignon, au Théâtre 13 à Paris et à la Mousson d'été. Préface de Véronique Bellegarde. Avec le concours de la Maison Antoine-Vitez et du Centre national du livre. »

 

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/prese...

https://parlatges.org