2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/09/2024

Le train des inscriptions

aphorisme, francophone, paul lambda, cactus inébranlable éditions, jean-pierre longrePaul Lambda, La petite robe noire du néant, Cactus Inébranlable éditions, 2024

Comment écrire une chronique sur un livre qui, à l’instar de ceux qu’a publiés Paul Lambda auparavant, est découpé en de multiples « inscriptions » (comme le grand Scutenaire appelait ses petites phrases) ? Tout simplement en prenant le droit de reproduire quelques-uns des morceaux après avoir picoré çà et là ou, mieux, avoir tout lu à la suite, au risque, avouons-le, de se donner le tournis.

Prenons donc le train en marche, s’il veut bien se manifester (car « un passager sur un quai désert est une image de l’éternité, surtout si le train ne vient pas ») ; l’éternité, une idée de la mort en général, ou de morts particulières : « Finir à la fosse commune, cauchemar du misanthrope », mais « Mourir en riant est-il consolatoire ? « ; tentons donc de vivre en riant, même si le rire est coloré de noir : « Il pousse la délicatesse à faire en sorte que, lorsqu’il partira, personne ne le regrette. », ou : « Le ciel lui tomba sur la tête mais heureusement le sol se déroba sous ses pieds. » ; noir comme la « petite robe » et son élégance qui se passe de mots : « Le silence est la petite robe noire de la beauté humaine. »

Il y a les assertions, et il y a les dialogues, qui parfois poussent aux retranchements interrogatifs (« - L’amour sauvera le monde. / - Quand ? » ; « - Je veux la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. / - Quelle version ? »), ou à la tranquillité (« - Je suis venu avec mon ennui, j’espère que cela ne vous dérange pas. / - Pas du tout ! On le fera dîner en bout de table avec le mien. »). Parfois aussi, le questionnement philosophique s’impose : « Quelle est la pire, la culpabilité ou la bonne conscience ? » Parfois encore, passe comme un ange un léger haïku lesté d’un brin de poésie : « Soleil et vent / jouent à faire miroiter / les peupliers. » ; « Trois arbres jaunes / à l’angle de trois rues grises / éclairent mon chemin. » Et l’humour, toujours, qui donne à réfléchir : « C’est quand les gens m’écoutent que je n’ai plus rien à dire. » ; « Alors le temps, suspendant son vol, s’écrasa au sol. »

Si nous nous écoutions, nous n’en finirions pas de citer. Alors ne nous écoutons plus, finissons-en. Et rassurons l’auteur, qui tente lui-même de le faire : « Si l’on ne parle pas beaucoup de mes livres, c’est sûrement qu’on est trop occupé à les lire. »

Jean-Pierre Longre

http://www.paullambda.fr 

https://cactusinebranlableeditions.com  

22/12/2023

Sous la surface des mots

aphorisme, francophone, Paul Lambda, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongrePaul Lambda, Les icebergs de la mélancolie, Cactus Inébranlable éditions, 2023

Chacun sait qu’une bonne partie des icebergs reste mystérieusement cachée sous la surface de l’eau. De la même manière, une bonne partie de la mélancolie de Paul Lambda navigue sous la surface des mots qui, assemblés et concentrés avec virtuosité en micro-textes, forment ce nouvel ouvrage. Ce « gentleman-flâneur », toujours sur le qui-vive, a le don de saisir au vol tout aphorisme passant à sa portée, et n’a pas son pareil (sinon la petite troupe de ses semblables menée par Scutenaire et Chavée) pour le coucher sur le papier.

Jouant souvent avec l’épaisseur polysémique, voire homonymique des mots (« Celui que je suis a cessé de m’attendre. »), les textes fulgurants laissent entrevoir de vastes espaces poétiques (« La montagne, pour ne pas me voir partir, s’est couverte de brume. » ; « C’est moi qui ralentis ou les nuages qui se pressent ? » ; « Il pleut sur la rivière comme du temps sur le temps. »), et parfois Verlaine n’est pas loin (« Console-toi mon bel oiseau, depuis ta cage tu peux voir le ciel. »), et à propos d’oiseau, cas désespéré : « Si tu laisses la cage ouverte, il reviendra ».

Si l’on veut de l’humour, toutes les précautions sont prises : « Quand l’humour est trop grinçant, il faut ajouter de l’huile », et ce n’est pas ce qui manque, l’humour, du genre érotico-sentimental (« Nos ombres ses sont mêlées, c’était bon. ») ou philosophico-absurde (« - La vérité, c’est que la liberté n’existe pas. / - Oui, mais si la vérité n’existe pas ? »). Et parfois on touche à des abîmes sociologico-mondiaux (« Trop d’humains tue l’humain »), voire à un mysticisme tout personnel mais qui ferait bien d’être universel : « Quoi ? Ce ne serait pas Dieu qui aurait créé le rire ? ».

Sans cela, l’angoisse risque de nous étreindre (« Pour plus de sûreté, la ligne d’horizon fut électrifiée. » ; « Il ferma les yeux mais dut les rouvrir : à l’intérieur c’était pire. »), même quand elle se laisse aller à la susdite polysémie (« Je tue le temps, mais ce n’est que légitime défense. »). Car souvent, la vie n’est que désillusion (« Elle ne m’a pas vu, elle a juste regardé si je la regardais. » ; « -J’ai acheté votre livre. / – Ah oui ? IL vous a plu ? / - Je ne sais pas, je l’ai offert. »). Tout de même, laissons-nous aller à l’optimisme : « C’est fou ce qu’un sourire sincère produit de lumière. » Et en toute sincérité, on sourit, on rit même, en se laissant aller à la mélancolie lumineuse (bravons l’oxymore) des icebergs de Paul Lambda.

Jean-Pierre Longre

https://cactusinebranlableeditions.com

07/12/2021

« L’aphorisme, cette phrase solitaire »

Aphorisme, conte, humour, francophone, Paul Lambda, André Stas, Patrick Henin-Miris, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongrePaul Lambda, Le désespoir, avec modération, Cactus Inébranlable éditions, 2021

Le titre de l’ouvrage nous l’indique : il faut le consommer à doses raisonnables, comme l’alcool, comme les médicaments, et c’est ainsi que le désespoir peut se muer en plaisir. Et disons-le, la forme encourage ce type de consommation, l’aphorisme étant forcément isolé de ses congénères – ce qui fait que tout résumé de ce genre de livre est impossible.

Tout juste pouvons-nous déceler des retours thématiques ou formels, et les illustrer. La subtilité (« Ils n’ont rien fait de l’après-midi mais apparemment ce n’est pas le même rien. ») n’est pas éloignée de l’absurde (« Ce n’est pas vraiment de leur faute, tu sais : comment auraient-ils pu prévoir qu’en se rencontrant, ils se traverseraient ? »), et la poésie (« Un silence plein de cigales » ou « En attendant la fin du monde, la bruyère est en fleurs. ») voisine avec l’humour (« – Oh vous savez, je ne suis rien ni personne. – Prétentieux. » ou « Le temps fuit et ce plombier qui ne vient pas. ») ; il faut dire que « La poésie ne sert à rien mais elle y contribue. » Et lorsque le fantastique est trop affolant (« Catastrophe ! La montagne a fondu avec la neige. »), c’est la philosophie qui prend le pas (« Le suivant tel un caniche bien dressé, son destin. » ou « J’ai une mauvaise et une bonne nouvelle : j’ai trouvé le sens de la vie, il n’y en a aucun. »)

On surprend çà et là quelques mots qui résument l’enjeu du livre et l’ambition plus ou moins claire de l’auteur : « J’ai le monde au bout de la langue. » Et c’est vrai, mine de rien, le monde entier s’impose dès le début grâce aux mots, puisqu’on commence avec deux événements d’importance (des oiseaux qui s’envolent, d’autres qui se posent) arrivant en même temps à Paris et au Mexique ; il y en a d’autres, qui nous font « enjamber l’horizon », entre Budapest et Gdansk ou entre le Groenland et Berlin… Il paraît que Paul Lambda, qui est aussi l’auteur, entre autres, du Cabinet Lambda, 5014 citations à siroter, croquer, injecter ou infuser, n’est ni belge ni surréaliste. Osons dire que, pourtant, il mériterait de l’être.

 

Chez le même éditeur : André Stas, Tout est relatif (et tondu) ; Patrick Henin-Miris, Zadigacités

Aphorisme, conte, humour, francophone, Paul Lambda, André Stas, Patrick Henin-Miris, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreTout est relatif (et tondu) est un livre signé par un auteur qui, lui, est à la fois belge et surréaliste, pataphysicien et humoriste, digne disciple de Nougé, Scutenaire, Chavée ou Blavier… Lui nous l’avoue tout crûment, « Les recueils d’aphorismes sont des œuvres de cabinet. » (à comprendre comme on le sent), et relativise l’ambition de la création littéraire : « Les cons signent. Et on devrait les respecter… » C’est tout à sa gloire.

 

 

Aphorisme, conte, humour, francophone, Paul Lambda, André Stas, Patrick Henin-Miris, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreZadigacités vient aussi d’être publié par le prolifique Cactus Inébranlable. Pas d’aphorismes, cette fois, mais des sortes de contes très courts (une demi page au maximum). Pour terminer cette chronique, voici un encouragement à la lecture, intitulé « Voyage » : « Partout on repeignait les façades en vives couleurs. On plantait des arbres, et surtout des fruitiers pour l’été ou l’automne. On ouvrait des routes qui menaient à de vastes paysages de mer ou de montagne. De nombreux personnages lumineux et désirables se promenaient de tous côtés, comme sur une riche scène de théâtre. Il n’en revenait pas de toutes ces merveilles, la tête lui tournait, et il n’avait encore lu que trois pages. » Poursuivons avec lui.

Jean-Pierre Longre

https://cactusinebranlableeditions.com

24/11/2020

Une mine de bribes

Citations, compilation, francophone, Paul Lambda, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreLe cabinet Lambda, 5014 citations à siroter, croquer, injecter ou infuser, compilées par Paul Lambda, Cactus Inébranlable éditions, 2020

« Ça fait très longtemps que je ne lis pas de livre : je lis dans les livres. ». Cette citation d’Éloïse Lièvre résume l’attitude que nous avons face au Cabinet Lambda : on ne va pas s’amuser (s’astreindre ?) à lire le livre in extenso, de la page 7 à la page 700. Non. Pour explorer cette mine, pour en goûter les délices, nous pouvons en user de plusieurs manières, l’aborder sous différentes faces. Feuilleter l'ouvrage, et ainsi se fier au hasard des rencontres séduisantes; chercher un mot qui nous intéresse (ils sont déclinés dans l’ordre alphabétique), le trouver (il y a de grandes chances) et en épuiser le contenu ; utiliser l’ « index des auteurs et autres sources » afin de chercher un écrivain (ou autre) et se reporter aux numéros des citations qui le concernent (à considérer cet index, on devine les préférences de Paul Lambda).

Avec modestie, celui qui dit avoir « compilé » ces citations (« tirées de livres, de films et de deux trois passants, de beaucoup de morts et de quelques vivants ») écrit en avant-propos : « C’est mon meilleur livre car il n’est pas de moi. » Certes. Il y a tout de même un énorme travail, visant à « attiser la curiosité », à stimuler l’intellect, la mémoire, la lecture. Car le souvenir de telle œuvre lue jadis ou naguère n’empêche pas la relecture, et la méconnaissance de telle autre pousse à s’y plonger. Sans oublier le plaisir esthétique qu’il y a à superposer des phrases ou de brefs paragraphes, à les faire résonner ensemble, à les remâcher même.

L’inconvénient, avec ce genre d’ouvrage, c’est que le chroniqueur ne peut pas le résumer. S’il veut encourager le futur lecteur (et il le veut), il en est réduit à en citer quelques bribes. Alors, puisque « la législation sur le droit d’auteur » le tolère, en voici quelques-unes, qui pourraient faire naître quelques échos dans notre monde intérieur et extérieur. « Au réveil : malade ; oreilles bouchées, nez qui coule, mal de tête. Mort prochaine ? » (Francis Frog) ; « Je lave chaque matin je ne sais combien de paires de mains qui, toutes, m’appartiennent. » (Vincent La Soudière) ; « À vous votre religion, et à moi ma religion. » (Le Coran) ; « Le terrorisme n’est pas l’expression d’une rage. Le terrorisme, c’est une arme politique. Retirez à un gouvernement sa façade d’infaillibilité et vous retirez la confiance que le peuple peut lui porter. » (Dan Brown) ; « À force de silence, ils ont fini par s’entendre. » (Katherine Mansfield et son mari) ; « Quelle merveilleuse invention que l’homme ! Il peut souffler dans ses mains pour les réchauffer et souffler sur sa soupe pour la refroidir. » (Georges Perec). Pour finir, du côté des auteurs : « Je voudrais arriver un jour à tout faire comprendre en une simple ligne. » (Hugo Pratt) ; et des éditeurs : « Un écrivain est innocent, un éditeur coupable. […] Ne regardez pas seulement ce que je publie, regardez ce que je ne publie pas. ».

Jean-Pierre Longre

https://cactusinebranlableeditions.com

http://paullambda.fr