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26/12/2018

Depuis l’enfance

Récit, autobiographie, francophone, Hervé Bougel, Les Carnets du Dessert de Lune, Jean-Pierre LongreHervé Bougel, Au mois de mai 1968, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2018

C’est un tout petit livre qui dit beaucoup de choses ; dix pages dont chaque paragraphe commence par « Au mois de mai 1968 », sorte d’antérime d’un long poème qui décline, en tableaux successifs, les souvenirs de celui qui était alors un garçon de dix ans vivant dans une petite ville de province.

« Au mois de mai 1968 », donc, la vie ne changeait pas beaucoup de l’habitude, avec ce qui ne relève ni de la misère ni de l’exaltation. Il ne s'agit pas d'une histoire d'ancien combattant... Les images de la révolte ne passaient que par les lucarnes de la télévision à la maison et par la grève des maîtres à l’école. Et pourtant, pour des raisons annexes et complexes, « nos vies furent dévastées. ».

Avançant par touches apparemment simples (ce qui rappelle qu’en matière littéraire, la simplicité se travaille), entre réalisme et impressionnisme, ce récit place l’autobiographie du côté du poème en prose, et le passé du côté de l’immédiateté. À lire rapidement, et à relire lentement.

Jean-Pierre Longre

www.dessertdelune.be

23/12/2018

Suisse romande à la Une

revue, francophone, suisse, roumanie, Alain-Pierre Pillet, marius daniel popescu, jean-pierre longreLe Persil, automne 2018

Comme souvent, deux numéros du Persil reçus dans la même grande enveloppe. Merci Marius Daniel Popescu et tous les autres ! Et dans ces numéros, des lectures originales en abondance…

Automne 2018, numéros 157-158 : « Le rêve, quelle utilité ? ». Voilà la question posée par le psychiatre Nick Miller, « éternel pionnier de l’exploitation de l’énergie onirique », question à laquelle répondent divers auteurs de Suisse romande. Chacun à sa manière : poésie, narration, lettre (ouverte), essai… Question complémentaire et conclusive de Vincent Yersin : « et toi, où donc dors-tu, / mon ami ? ».

revue, francophone, suisse, roumanie, Alain-Pierre Pillet, marius daniel popescu, jean-pierre longreSeptembre 2018, numéros 159-160-161 : entièrement consacrées à Alain-Pierre Pillet, dit APP (1947-2009), ces 52 pages contiennent des textes déjà publiés ou inédits de celui que Jean-François Berger appelle « l’homme postal » (référence aux innombrables cartes postales qu’il envoya tous azimuts), des témoignages de ses amis et correspondants, une bibliographie et une promotion de l’ADADAPP (Association des Amis d’APP)… Plusieurs textes (outre lesdites cartes postales) sont manuscrits, traces d’une belle écriture développant avec une application scrupuleuse et une élégance souriante des scènes surprenantes, des pensées originales, des propos à caractère surréaliste. Lisez les poèmes, la lettre au Président (Mitterrand) ou à André Darrigade, les récits (par exemple une « Fenêtre aux trousses » bien cinématographique), les témoignages… Bref, lisez tout, et vous aurez une idée plus que précise de celui qui fut adepte de la « banalyse », qui jouait volontiers avec le réel, avec les mots et les concepts, qui maniait volontiers l’ironie et qui, selon Emmanuel Sanz, souvent « lâchait à voix basse » cette question : « Comment vivre ? ».

Jean-Pierre Longre

Le persil journal, Marius Daniel Popescu, avenue de Floréal 16, 1008 Prilly, Suisse.

Tél.  +41.21.626.18.79.

www.facebook.com/journallitterairelepersil

E-mail : mdpecrivain@yahoo.fr

Association des Amis du journal Le persil lepersil@hotmail.com

M.D. Popescuhttp://jplongre.hautetfort.com/apps/search/?s=%22Marius+D...

19/12/2018

Et la vie continue, malgré tout

Nouvelle, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, éditions Non Lieu, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Gare de l’Est. Nouvelles traduites du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions Non Lieu, 2018.

Les années 1970-1980, en Roumanie, ne furent pas des plus exaltantes, c’est le moins que l’on puisse dire. La pression sociale et psychologique, les pénuries, la méfiance mutuelle engendrée par l’espionnage politique, les libertés individuelles rigoureusement entravées – tout était le résultat d’une dictature particulièrement vicieuse qui s’insinuait dans l’esprit et le mode de vie des individus.

Dans Gare de l’Est, pas de dénonciations violentes, pas de cris de révolte ouverte, pas d’appels à l’insoumission radicale. Ce sont les vicissitudes matérielles, physiques et morales de la vie quotidienne, et aussi les quelques instants fugaces de plaisir, d’espoir et de satisfaction qui forment l’ossature narrative des sept nouvelles du volume. Gabriela Adameşteanu, l’une des grandes romancières roumaines d’aujourd’hui, maîtrise au plus haut point l’art du récit polyphonique, qui laisse filtrer la profondeur du malaise existentiel et la difficulté, voire l’impossibilité, de la communication entre les personnages. Malaise et difficulté exacerbés par l’atmosphère de suspicion mutuelle, par la surveillance constante exercée sur la vie privée. Malentendus, silences et incompréhensions dans le couple, séparations, vengeances, jalousies, sanctions et mesquineries professionnelles, tracas administratifs, rumeurs plus ou moins fondées, dégradation des relations entre membres d’une même famille ou entre amis, maltraitance féminine ou enfantine, indécision concernant l’avenir individuel et collectif… Tout est dit à travers les gestes et les paroles de personnages qui ne sont ni des héros ni des traitres, mais des êtres qui tentent de vivre dans un contexte oppressant. « On peut donc vivre ainsi, s’habituer à se percevoir comme un être-dénigré, comme un-homme-qui-a-un-mauvais-dossier, comme un-homme-d’un-autre-temps. Penser calmement apporte un apaisement extraordinaire, on écarte toutes les vaines ambitions, puisque l’on sait que les chances de succès sont désormais nulles. ». La vie continue, malgré tout.

Il n’y a pas que les humains. Les évocations des paysages (surtout urbains) subissent des variations et donnent une dimension à la fois significative et poétique au récit. « Une rue animée de gens et de voitures qui s’écoulaient dans le vrombissement d’un paisible soir d’été. Les fleuristes accroupies à côtés de leurs paniers multicolores, d’où jaillissaient des tulipes jaunes ou rouges, fermées, scintillantes d’eau. Le monde était plénitude et régularité, pulsation ordinaire, et lui le traversait, détendu, d’un point à un autre, heureux d’être arrivé jusqu’ici et d’y avoir trouvé ce qui devait s’y trouver. ». Et plus loin : « Les murs défraîchis, les chiens gris cendres écrasés de chaleur au pied des escaliers sales des immeubles aux façades maculées, les containers pleins à craquer, que la chaleur ambiante faisait suinter de leurs liquides fermentés, et cette sensation entêtante : qu’il n’avait pas réussi à quitter la périphérie de la bourgade maudite où il avait passé son enfance. ». Au-delà des conditions circonstancielles et des paysages mentaux, à travers les aléas de la vie quotidienne, c’est une thématique plus vaste qui se décline : la vie et la mort, l’espérance et l’angoisse, la souffrance et le plaisir, l’amour et la haine, l’amitié et la solitude… Sans effets oratoires, sans affectation ni artifice, Gabriela Adameşteanu suggère sans les imposer les grandes interrogations liées à la condition humaine.

Jean-Pierre Longre

www.editionsnonlieu.fr

13/12/2018

Bricoler dans l’essentiel

Autin-Grenier Radis Bleus.gifPierre Autin-Grenier, Les radis bleus, Gallimard, Folio, 2005. ​Réédition augmentée de 11 inédits et d'une illustration en couverture de Georges Rubel, Les Carnets du Dessert de Lune, 2018

 

Dans Heinrich von Ofterdingen, le héros de Novalis disait : « C’est la Fleur Bleue que je meurs d’envie de découvrir ». Deux cents ans plus tard, Pierre Autin-Grenier se démarquait de toutes les fleurs bleues de la littérature mais restait dans la note en chantant la quête des « radis bleus », à la fois bien enracinés et si chimériques…

 

En chantant, et aussi en déchantant. Les joies de la vie – disons les brefs instants de bonheur – se combinent automatiquement avec le malheur (« Il m’arrive parfois – Oh ! rarement ! – d’être heureux. Ce sont alors des instants atroces. »), mais avec un malheur qui « engage à l’énergie », qui « est la matière même de toute création ». Voilà le secret, et le leitmotiv : le poète ne peut être que malheureux ; ou seuls les malheureux peuvent être poètes. Mais si ce n’était que cela, il n’y aurait rien de vraiment nouveau sous le soleil. L’originalité des Radis bleus, ce sont l’écriture, la facture, la tonalité du recueil. Chaque texte, fragment d’un journal qui déroule une année d’intimité, est un poème dense, dont la prose explore et fouille des instants intérieurs et fugaces, minuscules et secrets, qui se surprennent parfois à éclater en tableaux oniriques, fulgurants et fantastiques, découvrant par exemple, comme aurait pu le faire le Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, « une armée de va-nu-pieds » qui « part pour la guerre ; cent culs-de-jatte qui s’entre-déchirent comme chiffonniers avec une bande de bossus ; des pendus grimaçant au clair de lune cependant que ripaille et rigole autour des gibets la foule des honnêtes gens ».

 

poésie,francophone,pierre autin-grenier,GeirgesRubel, Les Carnets du dessert de lune,gallimard,folioSur tout cela, monde intérieur et extérieur, moi et les autres, plane évidemment le faciès ricanant du temps. Le temps qui « s’étire à n’en plus finir telle une douleur au ventre » et qui « un jour, détachera les chiens », et avec lequel il faut bien se débrouiller : en perdant « efficacement tout notre temps à des riens », ou en triturant le calendrier de façon à retomber sur ses pattes du lundi 17 janvier au dimanche 16 janvier de l’année suivante, ou encore, dans un élan ironique, iconoclaste, filial ou plein d’espoir – c’est selon –, en assortissant la date de chaque jour du nom du saint correspondant… Qui parle du temps parle de la mort : « Tout ce qui est libre et qui chante, un jour tressaute, ricane et meurt ». Qui parle de la mort parle de la solitude : « Ce n’est pas la mort qui est insupportable ; mais plus précisément, de notre prime braiement à l’ultime râle, ces quelques années d’inutile solitude » (inutile comme l’éternité, d’ailleurs). On le voit, dans les moments de désespoir foncier, l’aphorisme se substitue volontiers au poème.

 

Serait-ce donc que tout est vain ? Même l’écriture ? On pourrait en effet se laisser persuader que « le poète travaille en pure perte », qu’il n’apporte aucun réconfort, et « qu’écrire de la poésie, à notre époque, ce n’est guère mieux que cracher un tout petit peu dans l’eau ». Et pourtant, le rire et le sourire sont là, frémissants et tapis, pas toujours sarcastiques (telle évocation des quais de Saône et de Louis Guilloux traversant la place Bellecour, tel appel aux cigales pour qu’elles se calment, tel groupe d’enfants jouant à chat perché, tels chants d’oiseaux, tels arbres, telles fleurs, et la couleur bleue qui domine), effaçant fugitivement le pessimisme ambiant, faisant en sorte que le lecteur participe lui-même au poème, car « la poésie – toujours – tient les portes de la vie larges ouvertes ». En « bricolant dans l’essentiel », Pierre Autin-Grenier nous rappelle les grandioses malheurs de la vie et les vrais bonheurs de la lecture, et finalement, il nous les donne bel et bien à goûter, ses fameux radis bleus.

 

P.A.G. nous a quittés le 12 avril 2014. Merci aux Carnets du Dessert de Lune de l'avoir déniché dans son éternité!

 

Jean-Pierre Longre

 

http://www.gallimard.fr

 

https://www.dessertdelune.be

 

09/12/2018

Exil et rêves à Belfort

Roman, francophone, Alain Gerber, Éditions Marivole, Jean-Pierre LongreAlain Gerber, Souvenirs d’une invisible, Éditions Marivole, 2018

Au commencement il y a Samuel Breldzerovsky, sergent dans l’armée impériale russe, obligé, parce que d’origine juive, de quitter son métier, puis son pays. Après diverses tribulations à travers l’Europe, il parvient avec sa femme Helena à Belfort, « ville de garnison au passé mouvementé », pour laquelle il éprouve un « coup de foudre », et où il décide de rester… Lorsqu’il devient veuf, c’est sa fille Sonia qui, du haut de ses cinq ans, se met à tenir le ménage de celui qui, après avoir essayé maints métiers, s’établit comme chiffonnier-brocanteur dans un quartier populaire. Pourtant, « l’extrême docilité de Sonia est trompeuse. Elle déteste, comme son intime ennemie, chacune des besognes qu’elle exécute sans broncher, sans une minute pour souffler dès qu’elle a quitté l’école de la rue des Bons-Enfants. Elle déteste les prodigalités et les débordements de Samuel, qui ne font que lui compliquer la tâche. ». Et lorsqu’elle pénètre dans la famille de son amie Mathilde, elle sait « dans quel cercle elle souhaite s’infiltrer, si on ne l’en empêche pas : celui des radieux et des puissants. ».

Dans cette perspective, elle va faire les choix qu’elle juge les meilleurs (« mauvais », nous dit la présentation… Vraiment ?), à commencer par celui d’un mari : des deux frères Lentz, elle prend comme époux Joseph, le moins séduisant, le plus « lymphatique », le plus « hésitant », le moins « compétent », le plus « gentil », bref celui qu’elle pourra modeler à sa façon, dominer et « inventer ». La naissance de Boris la comble, et elle va mettre en lui toutes ses espérances, beaucoup plus qu’en la petite Mathilde (prénom de sa meilleure amie), qui deviendra ensuite Hélène (prénom de sa mère), dont l’invisibilité laissera toute la place à l’éclat de Boris et à l’observation discrète de l’histoire familiale. À lui la carrière de brillant violoniste programmée, tracée, imposée par Sonia. À lui la gloire musicale qui fera la fierté de sa mère et de son grand-père – mais aussi à lui l’indépendance et l’orgueil du professionnel de la virtuosité. « Au violon, Boris est désormais l’incarnation d’une perfection glacée qui devrait intimider les agents, les directeurs de salle, les chefs d’orchestre et les critiques. Il a tout ce qu’il faut pour s’imposer comme l’interprète idéal aux yeux des avaleurs de parapluie qui, on fait seulement semblant de ne pas le savoir, forment l’essentiel de la clientèle des récitals. Sa mère est aux anges. ».

Il aurait été étonnant que la musique ne soit pas un motif essentiel du roman d’Alain Gerber. Essentiel, mais pas unique. Il y a Belfort, qu’il connaît par cœur, et la vie sociale, politique, laborieuse qui fut celle de la cité dans la première moitié du XXème siècle (n’oublions pas le « Faubourg des coups de trique », qui se glisse au coin d’une page), avec ses autochtones et ses immigrés. Dans son style particulier fait à la fois de détachement pudique, de saine ironie, de compréhension critique et de tendresse discrète, l’auteur nous présente des personnages qui, dans leur diversité, nous apparaissent comme vrais.

Jean-Pierre Longre

www.marivole.fr

04/12/2018

La guerre, l’amour, l’amitié

Roman, francophone, Brigitte Giraud, Flammarion, Jean-Pierre LongreBrigitte Giraud, Un loup pour l’homme, Flammarion, 2017, J'ai Lu, 2018

Ils ne sont pas si nombreux, les livres sur la guerre d’Algérie, ou qui la prennent pour cadre. Un loup pour l’homme répond aux deux critères, ou se situe entre les deux : la guerre en question n’est pas une simple toile de fond, puisqu’elle est au cœur du récit et des préoccupations des personnages qui la vivent à leur niveau, et elle n’est pas un simple sujet de reportage, puisque c’est des corps, des sentiments et des âmes qu’il s’agit ici.

Antoine et Lila s’aiment. Ils vont avoir un enfant, mais Antoine est appelé pour ce que les autorités appellent les opérations de « pacification » en Algérie – et le bébé à venir risque de compliquer les choses. Alors Lila, qui « n’a pas d’autre choix que de garder l’enfant » et qui « veut être l’égale d’Antoine », décide de rejoindre son mari à Sidi-Bel-Abbès, où il soigne les blessés. Refusant de porter une arme, il a été affecté comme infirmier à l’hôpital, où se révèlent à lui, sur les corps et dans les âmes de ses patients, tous les méfaits, toutes les atrocités de ce qui se révèle être une vraie guerre.

roman,francophone,brigitte giraud,flammarion,jean-pierre longreLa vie quotidienne d’Antoine prend un élan nouveau grâce à l’arrivée de Lila, puis à la naissance de Lucie, qu’il fête avec ses copains Martin et Jo, et avec laquelle il « prend comme une bouffée d’air, où il puise les forces dont il aura besoin par la suite. ». Une suite qui devient de plus en plus difficile, avec les attentats et les combats dont le nombre et la gravité s’intensifient, les crimes de l’OAS, les dangers qui se rapprochent. Et il y a Oscar, ce jeune soldat amputé de la jambe auquel Antoine s’attache, auquel il arrachera les mots que le blessé traumatisé n’arrive pas à prononcer, jusqu’à ce qu’il se fasse raconter l’histoire qui a valu à Oscar son amputation, et qui vaut au livre son titre à double entente.

Dans un style d’une apparente simplicité, sans fioritures, sans pathos excessif, l’auteure révèle les sentiments intimes, les doutes récurrents, les angoisses profondes de personnages qui tentent d’affronter un monde qu’ils n’ont pas voulu. Le loup n’est pas forcément celui qu’on croit, et Brigitte Giraud, qui est née comme Lucie et dans les mêmes conditions qu’elle à Sidi-Bel-Abbès, a l’art de mener, par la narration romanesque, ses personnages et ses lecteurs vers la réalité : Antoine « a compris l’absurdité des choses, soigner ou tenir un fusil, c’est la même frustration, la même aberration. Il a fini par comprendre le rôle que jouait l’armée française, le lourd tribut payé par la population algérienne, et il se sent trahi. Ses yeux se dessillent enfin. ». Heureusement, il y a Lila et Lucie, il y a eu Oscar et quelques autres… Un loup pour l’homme est un beau roman sans concessions, qui, malgré les événements qu’il relate, chante l’amour et l'amitié, et dont l’humanité, dans tous les sens du terme, sort grandie.

Jean-Pierre Longre

https://editions.flammarion.com

www.jailu.com

03/12/2018

Le « qui » et le « pourquoi »

Roman, anglophone, USA, Roumanie, E. O. Chirovici, Isabelle Maillet, Les Escales, Pocket, Jean-Pierre LongreE. O. Chirovici, Jeux de miroirs, traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, Les Escales, 2017, Pocket, 2018

« Quelqu’un a dit un jour qu’une histoire n’a en réalité ni début ni fin ; ce ne sont que des moments choisis subjectivement par le narrateur pour aider le lecteur à situer un événement dans le temps. ». Cette phrase, par laquelle débute un chapitre de Jeux de miroirs, est une bonne approche de la stratégie narrative de l’auteur, mais n’en dit pas toute la complexité. Car trois voix se relaient pour composer un récit qui tourne autour du même événement, l’assassinat de Joseph Wieder, professeur à Princeton, « dans la nuit du 21 au 22 décembre 1987. ». Assassinat jamais élucidé, mais qui aura fait couler beaucoup d’encre.

La première de ces trois voix est celle de Richard Flynn, alors étudiant à l’université en question, épris de sa colocataire, Laura Baines, elle-même très proche du professeur Wieder, une jeune femme troublante qui deviendra un personnage pivot. Longtemps après les événements, Richard décide d’écrire un livre relatant ceux-ci, mais meurt après n’avoir remis que la première partie de son manuscrit à un agent littéraire, la suite restant introuvable. L’agent confie donc l’enquête à un journaliste (la deuxième voix), qui va suivre des pistes biaisées et se heurter à des obstacles inattendus et à des contradictions nombreuses. « J’étais perdu dans une sorte de dédale sans fin. Je m’étais lancé sur la piste du manuscrit de Richard Flynn, et non seulement je ne l’avais pas trouvé, mais j’étais maintenant enseveli sous une montagne de détails à propos de personnes et de faits qui refusaient de s’assembler pour former une image cohérente. ». La troisième voix est celle du policier maintenant à la retraite qui, à l’époque des faits, n’a pu trouver le meurtrier et qui, pour différentes raisons, reprend l’enquête et fait apparaître d’autres protagonistes. Les trois points de vue, bien sûr, éclairent les événements sous des angles fort différents, suggérant des réponses dans lesquelles le lecteur devra trouver sa part de vérité.

Roman, anglophone, USA, Roumanie, E. O. Chirovici, Isabelle Maillet, Les Escales, Pocket, Jean-Pierre LongreOn sait par la « note de l’auteur finale » que celui-ci a publié avec succès plusieurs livres en roumain dans son pays d’origine, et que Jeux de miroirs est son premier roman écrit en anglais. L’adaptation à un nouveau contexte et à une nouvelle langue est réussie (pour autant qu’on puisse en juger sur une traduction). L’atmosphère des universités américaines dans les années 1980, par exemple, est rendue avec beaucoup de réalisme. Surtout, si ce roman est un bon thriller (avec sa dose de mystères et de péripéties), il n’est pas que cela : la psychologie des personnages, le jeu des vérités relatives, le travail de construction labyrinthique y sont primordiaux. Fions-nous aux intentions avouées par E. O. Chirovici lui-même : « Je dirais que mon livre s’attache moins au qui qu’au pourquoi. J’ai toujours pensé qu’au bout de trois cents pages les lecteurs méritaient d’en savoir plus que le seul nom de l’assassin, même obtenu après quantité de rebondissements inattendus. ».

Jean-Pierre Longre

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https://www.lisez.com/pocket/15