06/02/2017
Une traque mouvementée
Pierre Pouchairet, Mortels trafics, Fayard, 2016. Prix du Quai des Orfèvres 2017
Qu’attend-on de la lecture d’un roman policier ? Les plaisirs du mystère, du suspense, de l’action, mais aussi celui de faire fonctionner ses méninges et, pourquoi pas, d’acquérir des connaissances. Tous ces ingrédients sont réunis en une savante osmose dans Mortels trafics, qui a bien mérité son Prix du Quai des Orfèvres (décerné sur manuscrit inédit pour un montant de 777 euros et une publication chez Fayard).
Le mystère : le récit commence par le calvaire d’un honorable Marocain torturé à mort, et par le meurtre de deux enfants à l’hôpital Necker. Pour quelles raisons ces crimes odieux ? On ne le saura qu’au fil des pages, bien plus tard. Le suspense : partant de l’assassinat des enfants, l’enquête va se dérouler sur fond de violence et de trafic de drogue, de lieu en lieu, de rebondissement en rebondissement, de danger en danger. L’action : il y a des moments intenses dans les tribulations mortelles des trafiquants, les expéditions périlleuses de la police, entre banlieue parisienne et Maroc, en passant par l’Espagne, les Pyrénées, Nice… La connaissance : celle des hommes, d’abord. Les malfrats plus ou mois engagés dans la violence sans scrupule, sous la coupe de leur avidité et de leur brutalité, et sous celle de puissances internationales malfaisantes et, parfois, de maîtres chanteurs ; les victimes, êtres innocents et braves gens sur qui tombe le hasard du malheur ; et bien sûr les policiers, à commencer par le protagoniste, Patrick Girard, qui mène tout cela de bout en bout avec ses coéquipiers et ses supérieurs, avec ses collègues (dont une forte personnalité, la commandant Léanne Vallauri), et aussi un pittoresque vieillard qui observe scrupuleusement les va-et-vient de la cité où il habite…
Et comme l’auteur est parfaitement au courant du fonctionnement de la police, le lecteur profite largement de ses connaissances sur les différents réseaux d’enquêteurs, les services et les relations qu’ils entretiennent entre eux – le tout précisé par un glossaire qui en fin de volume traduit les sigles correspondants (vous savez, ceux que l’on entend parfois sans bien les comprendre : BRI, DCPJ, DGSI, OCRTIS, RAID etc.). Ainsi actionne-t-il ses méninges, le lecteur ; mais il n’y a rien d’aride dans ces indications. Au contraire : c’est par les points de vue internes et les détails matériels, dans leur agencement impeccable, que le réalisme sans concessions transforme le récit en thriller haletant.
Jean-Pierre Longre
18:40 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman policier, francophone, pierre pouchairet, fayard, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
09/04/2015
Entrez dans le polar
Dominique Gilbert, Joey’s, Les éditions du Littéraire, 2015
MAB : Manufacture des Armes de Bayonne. Les deux font la paire : le « héros », fonctionnaire des Postes et auteur nocturne de polars, et le MAB 6.35, qui ne paie pas de mine mais peut faire des dégâts. Lorsqu’ils se retrouvent en présence l’un de l’autre, on ne sait pas très bien – et eux non plus – où est la frontière entre rêve et réalité (le tout, ne l’oublions pas, dans la fiction du roman).
Car notre postier-écrivain, promenant son chien entre ces deux couches narratives, se retrouve (plus ou moins) malgré lui embarqué dans une affaire dont le point de départ est une « grosse voiture », une Mercedes, véhiculant avec elle « l’image d’une belle fille, d’un genre oriental, croisant les jambes, à l’arrière, sur les sièges en cuir, à côté d’un type qui peut-être ne la regardait même pas. Des imaginations, du roman. ». Voilà que démarre une histoire de vengeance (qu’on ne racontera pas ici) qui le mène aux USA – avec tout ce que ce voyage draine de clichés pour quelqu’un qui en est à son premier voyage en une contrée qu’il a si souvent évoquée dans ses livres. Des clichés pris au second degré, bien sûr, avec le recul de celui qui sent bien qu’une double vie le prend à la gorge : « Il avait compris. Le polar, il venait d’y entrer en personne. ». De quoi faire résonner en contrepoint le sous-titre : « Il fut admis à entrer dans le monde. ».
Joey’s (le titre est le nom d’un sombre bar de la 32e rue, ou d’ailleurs ? ou ayant changé de nom ?) est un roman d’atmosphère et de réminiscences, de références littéraires et urbaines, avec ce qu’il faut de noirceur, d’humour décalé et d’onirisme pour laisser planer le mystère et entretenir le suspense. Un vrai travail de pro.
Jean-Pierre Longre
13:26 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman policier, francophone, policier, dominique gilbert, les éditions du littéraire, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
07/11/2012
Au-delà des apparences
Philippe Georget, L’été tous les chats sont gris, éditions Jigal, 2009, Pocket, 2012
Dans la région de Perpignan, cet été là, de jeunes hollandaises qui n’ont pas froid aux yeux semblent être victimes d’un tueur en série : agression, enlèvement, meurtre… Mais Gilles Sebag, policier aux allures ordinaires de père de famille soucieux et de mari aimant, et pourtant doué d’une subtilité qui ne fait pas fi des intuitions, sait aller au-delà des apparences.
Voilà un roman policier (un thriller, si l’on veut) qui, tout en répondant aux normes du genre (intrigue à la fois localisée et complexe, suspense, rebondissements, traits psychologiques marqués, affrontements directs ou indirects, un zeste de violence et de sensualité…), émerge du lot des productions saisonnières (le Prix SNCF du polar français l'a d'ailleurs justement récompensé). Cela tient à une écriture qui marie habilement la narration implacable, les traits humoristiques et les évocations poétiques, et au caractère très humain des protagonistes. Si les chats s’ennuient, ce n’est pas le cas du lecteur.
Jean-Pierre Longre
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15/12/2010
Meurtres sur la voie ferrée
Alessandro Perissinotto, Train 8017, traduit de l’italien par Patrick Vighetti, La fosse aux ours, 2004, Folio Policier, 2008
Dans un roman précédent, La chanson de Colombano, Alessandro Perissinotto avait su combiner intrigue policière et roman historique, en mettant en scène un quadruple meurtre commis au XVIe siècle dans les montagnes de Suse, meurtre dont fut accusé le tailleur de pierres Colombano Romean. L’écrivain turinois récidive, toujours brillamment, dans Train 8017, avec des faits et des personnages d’une époque bien plus récente, dans un contexte historique bien différent.
Nous sommes en 1946 (exactement entre le 13 juin et le 3 juillet), c’est-à-dire peu après la Libération de l’Italie, en une période qui mêle à la joie d’une paix retrouvée les souvenirs difficiles et les règlements de compte politiques. Adelmo Baudino va mener une enquête toute personnelle et non officielle sur des meurtres de cheminots liés, il s’en apercevra rapidement, à une catastrophe ferroviaire qui a effectivement eu lieu dans la nuit du 2 au 3 mars 1944 à Balvano (province de Potenza). Cette enquête permettra à Adelmo d’une part de renouer avec son passé d’inspecteur de la police ferroviaire, en oubliant ses ennuis présents, d’autre part de résoudre, avec l’aide de son ami Berto, une énigme particulièrement ardue. Plus profondément, et au-delà des dangers auxquels il s’expose, c’est la haine des nazis et des fascistes, une haine profondément ancrée en lui, qui le guide : « Pour la première fois, il sentait que son enquête n’était pas un simple jeu, un pari sur son avenir : c’était un combat, une guerre ; non, la guerre n’était pas terminée ».
Cette enquête permet en outre au lecteur de voyager, dans le temps et dans l’espace : selon un habile mélange de fiction et de réalité, mieux connaître une période troublée dans laquelle s’enchâsse l’évocation d’une autre période troublée, dans un pays qu’en France on classe trop rapidement, pour ce qui concerne les années en question, dans une unique catégorie ; et mieux connaître ce pays, où l’on voyage entre le Nord et le Sud, entre Turin et Naples. Le plaisir n’est pas seulement lié au récit historique et policier : il y a l’écriture, les évocations pittoresques des régions traversées (une vivante description de Naples par exemple), le rythme des énumérations (dont certaines cependant connotent la mort violente), l’art des dialogues et des monologues intérieurs… Il s’agit donc bien de littérature, et nous devons savoir gré à Patrick Vighetti, le traducteur, comme à l’éditeur lyonnais La fosse aux ours, de faire connaître un écrivain véritable, qui plus est un voisin.
Jean-Pierre Longre
http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-La-fosse-aux-ours,126-.html
www.gallimard.fr/foliopolicier
http://nuke.alessandroperissinotto.it/France/tabid/485/Default.aspx
11:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman policier, italie, alessandro perissinotto, patrick vighetti, la fosse aux ours, folio, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |