26/06/2013
« Tissages sonores »
Olivier Longre, Antique Melodies, Neomme, juin 2013
« Compositeur, multi-instrumentiste et arrangeur (Grand Prix Charles Cros pour l'album La Porte Plume d'Amélie-les-crayons, ffff Télérama), Olivier Longre étonne à chaque fois par la diversité et la coloration de ses compositions. Multi instrumentiste, il compose pour l'image, le théâtre, le documentaire ou la fiction et est également producteur de ses œuvres qu'il enregistre et mixe dans son studio. En 2012 il réalise Jusqu'à la Mer, le dernier album d'Amélie-Les-Crayons (ffff Télérama) qu'il accompagne sur scène depuis 2007) ».
Antique Melodies propose dix morceaux aux sonorités rares et variées, sur des instruments tels que guitares, clarinette, glockenspiel, sanza, lyre, harmonica, piano, contrebasse, vibraphone, flûte à coulisse, tambour et percussions diverses…
Antique Melodies
CD Digipak 2 volets
Composé, enregistré et mixé par Olivier Longre, masterisé par Fabien André
Livret 8 pages
Photographies et notes de l'auteur
+ carte dédicacée !
Pour écouter des extraits et commander l’album Antique Melodies :
http://www.neomme.com/shop.htm
Le site du compositeur :
Et toujours : http://www.amelielescrayons.com
08:50 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, cd, olivier longre, fabien andré, neômme | Facebook | | Imprimer |
03/05/2013
Dans l’intimité du Cantor
Jean Miniac, Et ta main fermera mes yeux… Bach, journal intime, Fondencre, 2013
Le rayonnement de Jean-Sébastien Bach est tel que, souvent, on voudrait percer les secrets de son génie. Vœu irréalisable, bien sûr. Nous sommes voués à écouter (ou à jouer) sa musique, à nous laisser prendre par elle, tout en ayant conscience que jamais nous ne pourrons en mesurer la profondeur.
Percer les secrets du génie, non. L’imaginer dans ses réflexions, ses méditations, ses souvenirs, oui. Pour cela, il fallait un poète qui soit aussi un musicien (ou l’inverse). Jean Miniac, organiste et auteur de plusieurs recueils poétiques, réussit à plonger le lecteur dans l’intimité du Cantor – sans prétendre ni à l’exhaustivité ni à la vérité absolue, bien heureusement.
Et ta main fermera mes yeux… est donc le « journal intime » que Bach aurait pu écrire durant les derniers mois de sa vie. Il aurait pu tenter d’expliquer, par exemple, « pourquoi [il est] devenu musicien », se rappelant un air de son enfance qui le poursuit toujours et avouant sa « manie de la résolution » qui lui fait détester l’inachèvement. Il aurait pu écrire des pages sur le jeu de l’organiste, sur le contrepoint et les voix « mises en dialogue », sur l’univers clos du choral, sur la composition de la fugue, sur les fondements sacrés de sa musique… Il aurait pu évoquer avec pudeur et émotion la mort de Maria Barbara, sa première femme, ou la rencontre de la seconde, Anna Magdalena (en n’hésitant pas, pour l’occasion, à se décrire lui-même sur le mode burlesque).
Jean Miniac tient en quelque sorte la plume du compositeur, en connaisseur et en écrivain. La poésie et la musique fondent ces pages, comme elles fondent l’existence de Jean-Sébastien Bach. Qu’on en juge tout simplement par ces quelques lignes : « J’aime l’eau lustrale qui baigne les accords épanchés du fond du cœur. J’aime leur intense vibration parcourant les cordes qui relient le cœur à la structure même du clavier – et presque nonchalamment – déjà entaché de cette même vibration (les pleurs aussi la ravivent) ; j’aime tout ce qui nous fait bruire, sentir, résonner, palpiter, ondoyer, j’aime les pleurs de l’eau (ou ses murmures), la caresse du vent (ou sa colère), la fureur de l’océan (ou son apaisement) – tous ces excellents maîtres qu’enfant déjà j’aimais appeler : « Mes instituteurs sauvages ». Je leur dois la vie, comme à Dieu même ; tout le reste n’est que broutilles et poussière, acharnement de niais, conquête du vide ».
Jean-Pierre Longre
09:59 Publié dans Littérature et musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, journal, musique, francophone, jean-sébastien bach, jean miniac, fondencre, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
09/04/2013
Silence et da capo
Gaëlle Josse, Nos vies désaccordées, Autrement / Littérature, 2012, J'ai Lu, 2013
« Sophie était donc chez les dingues, dans un lieu dont j’ignorais jusqu’à l’existence, et c’était là-bas que je devais aller la chercher ». François Vallier, pianiste de renom, a connu Sophie, l’amour de sa vie, chez Zev, vieux luthier autrefois échappé du ghetto d’Odessa. Elle est peintre, belle, solitaire, fragile, passionnée; lui est embarqué un peu sans le vouloir, mais sans déplaisir, dans le tourbillon des tournées internationales et des applaudissements. Lucide sur lui-même et sur les autres, mais pas suffisamment pour se rendre compte du mal qu’il fait à Sophie en l’abandonnant à un moment tragique pour honorer un engagement au Japon. Il ne retrouvera sa trace que bien plus tard, peut-être trop tard.
Délaissant les succès clinquants et la belle Cristina et ses bijoux, au grand dam de son agent, il quitte tout pour reprendre un contact difficile et aléatoire avec Sophie, son mutisme, son enfermement obstiné, et pour découvrir qu’elle est doublement victime, de lui, François, mais aussi d’une famille sans scrupules.
Cela, c’est l’histoire, une suite d’événements qui composent un beau roman d’amour et de peine, sensible et prenant. Seulement un de plus, s’il n’y avait l’écriture, la tonalité – ou plutôt les tonalités, épousant les contours de la narration, comme dans une symphonie. Ce peut être allègre (avec des touches de savoureuse satire sociale), mélancolique, grave, c’est toujours en harmonie avec le contexte… Et chaque chapitre se termine par un élargissement évocateur d’autres récits, mythiques ou historiques : Orphée cherchant Eurydice aux Enfers, Clara Schuman perpétuant la musique de son mari qui a perdu la raison…
Les références rattachent Nos vies désaccordées aux drames qui parsèment l’histoire et la légende de l’humanité, liant intimement l’amour et la musique. Celle-ci est, bien sûr, le fil conducteur du roman, qui n’oublie pas non plus la peinture et, disons, l’art en général. Création esthétique et délicatesse des sentiments se combinent en subtiles résonances, comme dans le premier roman de Gaëlle Josse, Les heures silencieuses.
Jean-Pierre Longre
19:04 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, musique, francophone, gaëlle josse, autrement., jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
07/02/2013
Honneur aux méconnus
Alain Gerber, Petit Dictionnaire Incomplet des Incompris, Alter Ego Éditions, 2012
« Ils ont fait l’Histoire, mais l’Histoire ne leur a pas fait de cadeaux. Car l’Histoire est ingrate, quelquefois : des hommes l’écrivent, mais elle rechigne pourtant à inscrire leurs noms sur ses monuments. Le musicien sous-estimé n’est pas une denrée rare dans le jazz. Il est encore plus répandu que le musicien surestimé, ce qui n’est pas peu dire ». Alain Gerber y remédie à sa manière, en mettant son érudition jazzistique au service des « méconnus », des « invisibles », des « transparents », des anonymes, de ceux qui ne sont qu’une « silhouette furtive » empruntant des « chemins de traverse », de ceux qui se mettent « à contre-courant », des solitaires, des malchanceux… Bref, de Dolorez Alexandria Nelson, dite Lorez Alexandria, à Attila Zoler, l’auteur passe en revue les « incompris » ou (ce qui est encore autre chose) les « non compris ».
« Incomplet », ce dictionnaire ? Peut-être, puisqu’il le dit – impossible d’en juger. En tout cas, fort documenté : en matière d’histoire du jazz, on ne fait pas plus précis, pas plus affectueux, non plus, pour ces figures que la plupart du temps on n’aperçoit que de profil – si jamais on les aperçoit. Il y a aussi ceux dont la malédiction n’est pas celle de l’anonymat, mais celle de la réputation : « déclarés sulfureux », alcooliques, violents, la plume d’Alain Gerber les tire de l’enfer ou de l’oubli – même si, selon lui, « il n’est pas impossible qu’au bout du compte, ce déficit de notoriété ne soit pas préférable à la gloire trop brutale à laquelle d’autres furent confrontés ». Il y a ceux, aussi, qui ratent jusqu’à leur échec, comme « Jelly Roll » Morton, ou dont « l’apport inestimable reste trop largement méconnu », bien que leur prestige soit « universel », comme Martial Solal.
Un dictionnaire, certes, dans l’ordre alphabétique, avec un index des musiciens et des instruments, mais un dictionnaire qui ne se contente pas de la savante sécheresse des ouvrages spécialisés. Cette recension, pour méthodique qu’elle soit, baigne dans la prose poétique d’Alain Gerber. Qu’on lise, par exemple, les débuts de l’article sur Robert Leo « Bobby » Hackett, évoquant les « hommes du bord de mer, nés dans des villes lointaines… », ou du texte sur Eli Thompson, dit « Lucky », ne s’en laissant pas conter par « les mots errants, [qui] traînent à travers le monde, et parfois se collent à nous ». Sans oublier ce sens de la formule synthétique et de l’image savoureuse dont ou voudrait donner de multiples échantillons, du genre « Il y a des musiciens d’escabeau, des musiciens trônant sur des taupinières, mais que l’on a portés aux nues, non sans parfois de grandes contorsions » ; ou encore « Un géant peut en cacher un autre » ; ou encore… Ce « petit » dictionnaire est un grand ouvrage, qui a le mérite non seulement de réhabiliter les « incompris », mais encore de se lire comme un recueil de nouvelles que l’on peut parcourir à grandes enjambées ou déguster à petites doses, selon l’humeur.
Jean-Pierre Longre
Dans la collection « Jazz Impression » des éditions Alter Ego, n’oublions pas deux ouvrages récemment parus :
- Les Blessures du Désir, Pulsions et Puissances en Jazz, de Jean-Pierre Moussaron (tout récemment décédé, en octobre 2012), série de « portraits » et « esquisses » d’autant plus émouvants qu’ils sont très personnels.
- John Coltrane, La musique sans raison, de Michel Arcens, « Esquisses d’une philosophie imaginaire » et « Essai pour une phénoménologie du jazz », ouvrage qui dépasse Coltrane, sans le contourner, pour construire une véritable esthétique musicale.
Alter Ego Editions
3, rue Elie Danflous
66400 Céret
http://leseditionsalterego.wordpress.com
17:15 Publié dans Littérature et musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, musique, jazz, francophone, alain gerber, michel arcens, jean-pierre moussaron, alter ego éditions, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
05/02/2013
Amélie à Paris
Amélie-Les-Crayons, Jusqu’à la mer, nouvel album, nouveau spectacle.
La Cigale, Paris, 7 février 2013
L’album
« 13 chansons et un nouveau grand voyage à travers l'imagination d'Amélie-les-crayons ! Comme pour "La Porte Plume", c'est Olivier Longre qui réalise les arrangements avec Amélie et l'intervention de quelques collègues dont Antoine Amigues (banjo), Bruz (basse, batterie), Yann-Gaël Poncet (violon), Loic Joucla (uileann pipes). On notera aussi la présence d'instruments non homologués tels que le cymbalum, la basse japonaise, le moineau frétillant et un choeur de femmes échevelées tout-à-fait incongru. L'ensemble est proposé dans un joyeux emballage particulièrement seyant et plein de surprises... »
La critique de Télérama du 31/10/2012
(http://www.telerama.fr/musiques/jusqu-a-la-mer,88773.php):
« Tellement classique qu'elle en devient osée. Classique, ou plutôt hors d'âge. Antimode, antibuzz, exquise et aiguisée. Dix ans après un premier disque, Amélie-les-Crayons est l'une des dernières à assumer une chanson à la fois simple et poétique. Quoique... L'honnêteté nous pousserait à avouer le contraire : des disques de cette famille-ci, on en reçoit quelques brassées par semaine. Sauf que la plupart nous donnent envie de pleurer, ou de rire. Ce type d'expression ne supporte pas la médiocrité ; par la place singulière qu'elles accordent aux textes et à la voix, ces chansons-là ne peuvent faire illusion, se planquer derrière une production en trompe l'oeil.
Or les siennes, qui se donnent sans filet, sont infiniment touchantes. Dépouillées, mais pas à la manière d'un Boogaerts, chez qui le minimalisme est une esthétique sophistiquée. Elles se rapprocheraient plutôt de celles d'une Anne Sylvestre, d'une Michèle Bernard ou d'une Jeanne Cherhal (époque L'Eau). Le chant y est solaire et les mots y coulent comme un flux poétique et naturel, qui ne cherche pas à épater, mais à cerner la vérité. A l'écouter, on songe à la tradition des trouvères. Aux airs populaires d'antan, qui rythmaient la vie des gens et les travaux des champs. Aux ritournelles traditionnelles de sa Bretagne d'adoption — les paysages venteux, les côtes découpées et l'appel de la mer sont omniprésents. Chansons sur le fil, à l'équilibre gracile. Et merveilleusement gracieux. »
Le spectacle
« Amélie-les-crayons a toujours été appréciée pour sa poésie légère, son humour irrésistible et la qualité de ses spectacles. 2 albums, 2 dvd et des centaines de concerts plus tard, la voici qui revient avec des histoires de voyage. Dans les bois, sur la mer ou à flanc de montagne, les chansons du nouveau spectacle Jusqu’à la Mer sont autant de petits galets à suivre sur cette route cousue par une artiste nomade, insaisissable, imprévisible. Avec elle sur scène, son comparse de toujours : Olivier Longre, multi-instrumentiste excentrique et attachant affublé d’objets sonores aussi étranges que variés, un binôme qui pourrait être son double : Nicolas Allemand, lui aussi multi-instrumentiste, percussionniste et danseur de claquettes, et son pianiste : Antoine Amigues. À quatre sur scène donc, rassemblés autour d’un piano dissimulant, comme à chaque spectacle d’Amélie-les-crayons, d’innombrables secrets qui apparaitront tout au long du voyage. »
La Cigale, 120, Boulevard de Rochechouart - 75018 Paris.
01 55 79 10 10
7 février 2013
Toutes les dates sur http://www.amelielescrayons.com/show.htm
15:00 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, poésie, amélie-les-crayons, olivier longre, nicolas allemand, antoine amigues, neomme, le radiant-bellevue | Facebook | | Imprimer |
04/10/2011
Perspectives intimes
Gaëlle Josse, Les heures silencieuses, Autrement / Littératures, 2011. J'ai lu, 2012
La contemplation d’un tableau requiert par nature le mutisme, et si mots il y a, ils ne peuvent naître que de l’œuvre même. Dans Les heures silencieuses, Gaëlle Josse fait surgir du silence les secrets de l’image, en donnant la parole au personnage que l’on y distingue sans pouvoir en rien le reconnaître.
D’abord l’œuvre picturale, reproduite sur la couverture du livre : un tableau d’Emmanuel De Witte, tout en profondeur, où « l’ombre qui tombe à terre en dévorant les couleurs et en assourdissant les formes » est parsemée des taches de « la lumière du soleil montant ». Dans l’enfilade des pièces de cet intérieur hollandais, la première est occupée par une femme vue de dos, jouant de l’épinette. C’est elle, Magdalena, épouse de Pieter Van Beyeren, qui tient ici son journal, par le truchement de la plume subtile et retenue de Gaëlle Josse.
À Delft, au XVIIe siècle, dans le milieu des riches négociants et des navigateurs audacieux, une épouse et mère, même si elle a la fibre commerçante, doit avant tout tenir sa maison avec la discrétion et l’efficacité requises. Alors Magdalena, qui ne doit rien laisser paraître, apaise les souvenirs cuisants, les accidents de la vie, les aspirations déçues, les tristesses durables, les souffrances passagères en suivant par l’écriture les méandres de son intimité. Il y a aussi de fugitifs moments de joie, des bonheurs artistiques (on croise avec plaisir, à l’occasion, Vermeer ou Sweelinck), et l’amour porté à ses enfants, qui n’occulte pas la perte de ceux qu’elle a perdus.
Le dévoilement esquissé des secrets de l’âme et du corps, à l’image de ce que laisse deviner le tableau de De Witte, s’accompagne de détails précis sur la vie quotidienne, les relations familiales et amicales, locales et internationales, la solidarité même : « Nos provinces offrent l’asile à ceux qui ne peuvent vivre en paix dans leur pays. Juifs, catholiques ou réformés demeurent ici en bonne intelligence, et chacun apporte sa pierre à l’édifice commun ». Avec cela, sagesse et lucidité soutiennent la réflexion : « Chaque jour qui passe me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine. Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains ».
Le silence est bien la condition de la mise au jour de la vie, un silence ponctué par la musique : « C’est une grâce de se laisser toucher par elle. Je crois volontiers qu’elle adoucit nos cœurs et nos humeurs ». Ainsi ce roman, mélancolique journal intime, est-il non seulement un témoignage biographique et historique, la mise en perspective d’une quête morale et sentimentale, mais aussi une somme esthétique : la peinture, l’écriture, la musique s’unissent pour dresser, dans une atmosphère tout en nuances, le portrait d’une femme qui, au-delà de circonstances particulières, (se) pose les questions les plus humaines qui soient.
Jean-Pierre Longre
16:57 Publié dans Littérature et musique, Mots et images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, musique, peinture, francophone, gaëlle josse, editions autrement, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
28/06/2011
Cinq musiciens et leurs secrets
E. W. Heine, Qui a assassiné Mozart ? et autres énigmes musicales, traduit de l’allemand par Élisabeth Willenz, Les Éditions du Sonneur, 2011
Voilà quelques histoires étranges qui ont au moins deux caractéristiques communes : elles s’appuient sur des faits véridiques, et elles ont trait à la musique. Cinq grands noms des siècles passés, cinq enquêtes sur des énigmes qui ont marqué la vie et/ou la mort (la mort surtout…) de personnages illustres.
On commence (à tout seigneur tout honneur, et dans le respect de la chronologie) par le « meurtre » mystérieux de Mozart, intimement lié à la composition du Requiem. N’en disons pas plus là-dessus, pour ne rien déflorer. Joseph Haydn, lui, mourut à un âge beaucoup plus avancé, sans mystère apparent ; mais ce sont les tribulations tragi-comiques de sa tête qui nous sont révélées. Quant à Paganini, « l’un des hommes les plus extraordinaires ayant jamais vécu », avait-il fait de la prison pour avoir assassiné sa maîtresse ? L’homme, sur ce point comme sur d’autres, reste obstinément silencieux. Traînant derrière lui une solide réputation d’avarice, le virtuose, un jour, fit pourtant don à Berlioz de vingt-mille francs : quelle en fut la véritable raison ? Le dernier récit relate le destin tragique de Tchaïkovski, mort d’avoir été obligé de garder en lui le secret de ses inclinations.
Certes, le côté énigmatique de ces histoires en fait la saveur ; mais aussi la manière dont elles sont menées, en vraies nouvelles policières, dans lesquelles l’enquête méthodique aboutit à des conclusions d’une logique imparable. En outre, on en apprend encore sur la biographie, les mœurs, le tempérament, l’entourage, les conditions de travail et d’existence de cinq artistes qui ont profondément marqué la vie culturelle européenne, et qui malgré leur notoriété ont conservé par devers eux les secrets les plus intimes de leur art.
Jean-Pierre Longre
16:27 Publié dans Littérature et musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récits, musique, allemagne, e. w. heine, Élisabeth willenz, les Éditions du sonneur, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
05/06/2011
Les parenthèses de l’existence
Alain Gerber, Longueur du temps, Alter ego éditions, 2011
Alain Gerber et la musique, c’est tout un roman ; une somme de romans. Et malgré les apparences, Longueur du temps ne déroge pas : comme dans les livres précédents, il y a la matière biographique, la narration menée sur fond d’images fortes, l’invention verbale, les thématiques musicales (avec les silhouettes de fameux jazzmen passant à l’arrière-plan, parfois même jusque sur le devant de la scène), l’évocation de pays lointains et de rues toutes proches, Bavilliers et Ouagadougou, Paris et Montréal, Belfort et Corfou, le beau pays d’« Enfrance » et le légendaire Mexique – odyssées dans l’espace et dans le temps.
À part cela, il faut bien distinguer : la matière biographique est tout ce qu’il y a de personnel, même si, mettant à contribution le couple et l’univers environnant, elle ne doit rien à l’égotisme ; et la narration est versifiée – comme Chêne et chien, « roman en vers » dans lequel Raymond Queneau se raconte sans fards. La comparaison n’est pas hasardeuse : chez l’un comme chez l’autre les vers sont la composante nécessaire de la forme romanesque ; ils lui donnent sa ponctuation, son rythme, ses mesures, ses syncopes… Syntagmes sonores, phrases coupées, listes, inventaires, mots martelés, l’écriture au plus fondamental de sa composition est musicale, à la recherche de
« la formule cinglante / le sésame /qui lève l’écrou et brise les scellés / du Temps »,
le temps, incessant leitmotiv, qui donne leur « tempo » aux souvenirs.
Si la musique est partout, n’oublions pas que tout passe par la littérature. Ce sont les mots, combinés entre eux, qui tentent de lever les voiles de la mémoire, « ce lac sourd plein de rumeurs », et de « l’imaginaire incarné ». Et, comme celles des jazzmen, on voit passer tout près les silhouettes des romans de jadis, La couleur orange, Le plaisir des sens, Le faubourg des coups-de-trique, Une sorte de bleu…
Plutôt que de gloser, le commentateur ne rêve que de céder la place au soliste, pour quelques chorus bien sentis :
« Il est faux que l’on naisse mortel / on le devient seulement après quelques années ».
« Il y aura dès lors / un temps pour écrire / un temps pour voir le monde / comme si c’était un roman / qu’on lit en se déchiffrant soi-même ».
« Sur son propre compte / l’existence nous en dit plus dans ses parenthèses / et notes anodines au bas de la page / que dans les périodes les tropes / sourates sorites et tapageurs épichérèmes /qu’elle nous jette au visage ».
« Le but ultime des voyages est / qu’en passant / la vie va vous frôler / au lieu de vous passer à travers ».
Le reste à l’avenant, au rythme des mots, de la lecture et de la vie.
Jean-Pierre Longre
13:02 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, autobiographie, poésie, musique, francophone, alain gerber, alter ego éditions, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
14/04/2011
Sur les traces d’Emmet Ray
Alain Gerber, Je te verrai dans mes rêves, Fayard, 2011
On se souvient du film de Woody Allen Accords et désaccords, dans lequel Sean Penn incarne un jazzman hors du commun, le génial guitariste Emmet Ray, que personne ne peut se targuer d’avoir vu, entendu, rencontré, puisque la réalité ne daigne pas le faire apparaître sous ses propres traits.
Pourtant, Alain Gerber nous raconte comment il s’est acharné à le chercher jusqu’à ce qu’il en retrouve la trace. Après une entrevue vénitienne avec Woody Allen lui-même, il mène l’enquête, au risque de se fourvoyer, à partir d’une mystérieuse cassette et du témoignage d’un étrange personnage, Jean-Charles Gracieux, digne (comme le pavillon où il habite) des meilleurs contes fantastiques. C’est ainsi que l’on parvient à côtoyer cet Emmet Ray, « né Amintore Repeto », à la fois fasciné et effrayé par Django Reinhardt dont il est présenté comme le rival, bien qu’il se soit produit dans des lieux suffisamment discrets pour que le souvenir de sa virtuosité se soit effacé des mémoires les plus fiables… C’est ainsi que l’on voyage avec Alain Gerber entre la France et l’Amérique, entre le passé et le présent, jusqu’à la modeste bourgade de Bottleneck (ce nom désigne, faut-il le préciser, le tube métallique qui permet de jouer en « slide » sur les cordes de la guitare), où nous passons un long moment avec Lorette racontant son déconcertant compagnon, ses heures flamboyantes et son entrée dans l’ombre, son glissando de fin… C’est ainsi que l’on assiste, aux côtés d’Emmet, à des scènes d’anthologie, telle cette rencontre, au comptoir d’un établissement new-yorkais, entre Marcel Cerdan, Django Reinhardt et Igor Stravinski – excusez du peu !
« Longtemps, l’histoire du jazz s’est appuyée sur la tradition orale, ce qui n’a pas toujours permis de distinguer les événements des rumeurs, la réalité et le mythe ». Tandis que certains auteurs ne peuvent écrire qu’en vampirisant l’intimité de personnes réelles, au risque de la mort, Alain Gerber, qui a, lui, redonné l’épaisseur de l’existence à des musiciens devenus légendes (Charlie Parker, Chet Baker, Billie Holiday, Louis Armstrong, Paul Desmond, Frank Sinatra, Miles Davis, Django Reinhardt…), insuffle ici la vie à des êtres de papier ou de pellicule. Je te verrai dans mes rêves est le récit d’une rencontre pleine de vérité : celle d’un écrivain épris de jazz et d’un être essentiellement musical grâce auquel est tenue la promesse du titre.
Jean-Pierre Longre
En bonus, quelques rappels: Le jazz littéraire d'Alain Gerber.pdf
09:00 Publié dans Littérature et musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, musique, francophone, emmet ray, alain gerber, editions fayard, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |