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18/07/2011

Les colères d’un modéré

Essai, Revue, francophone, Jean Prévost, Emmanuel Bluteau, éditions Joseph K., Jean-Pierre LongreJean Prévost, Ni peur ni haine, articles réunis et présentés par Emmanuel Bluteau, Joseph K., « métamorphoses », 2011

Jean Prévost n’était pas un idéologue, loin de là. Les circonstances, sa lucidité, son patriotisme, son sens politique, son humanité, son volontarisme l’ont poussé à s’engager dans la Résistance ; son assassinat par l’ennemi nazi, le 1er août 1944 dans le Vercors, a privé ses lecteurs de son œuvre à venir.

Essayiste et romancier, Jean Prévost était aussi journaliste, et en tant que tel il ne mâchait pas ses mots. En 1933, il crée avec Alfred Fabre-Luce et Pierre Dominique l’hebdomadaire Pamphlets, qui paraîtra jusqu’en mars 1934 ; des trois, il sera le seul à garder sa dignité (les deux autres deviendront pendant l’occupation des collaborateurs notoires) ; mais sept ans avant la guerre, ils unissent leurs divergences dans la rédaction de ce périodique « engagé », au sens large du terme, c’est-à-dire prenant des positions indépendantes dans les troubles de l’époque.

La publication de Ni peur ni haine est une heureuse initiative. Les articles ici réunis selon le vœu de l’auteur dévoilent son éclectisme, son intelligence et sa modernité. S’il touche à des sujets très divers, c’est en pleine connaissance de cause : politiques, économiques, sociaux, culturels, internationaux, pédagogiques, tous les problèmes sont traités en quelques pages, mais toujours à fond, sans ménagements mais sans excès, avec l’entrain d’une personnalité hors du commun, à l’écart des partis pris et des idées reçues. Qu’il défende les quarante heures ou l’enseignement de l’éducation physique, qu’il réfléchisse à la montée de l’hitlérisme ou aux événements de février 1934, qu’il enquête sur la survie matérielle des écrivains ou qu’il disserte sur les différents moyens d’information, Jean Prévost s’exprime en toute liberté, sans « peur » ni « haine », avec la logique et la clarté d’un style vigoureusement adapté au propos. Chaque texte se lit non comme un roman, non comme un simple commentaire circonstanciel, mais comme un essai dont la pérennité, la constante actualité sautent aux yeux.

À l’auteur le dernier mot, on le lui doit bien : « Dans Pamphlets, au cours d’une année particulièrement riche, j’ai tenté de mettre au point ce que je devais à mon éducation socialiste, à ma formation intellectuelle d’élève d’Alain, toutes deux modifiées par une enquête contemporaine, qui a été l’objet principal de ma vie depuis 1930. Je n’ai à  dissimuler ici ni ce que je dois à ma formation, ni ce que mon expérience y a changé ; dans ces domaines où la pensée n’a jamais qu’une valeur approchée, il faut se servir hardiment de ses idées comme de ses outils ».

Jean-Pierre Longre

www.editions-josephk.com

En savoir un peu plus sur Jean Prévost :

http://www.gallimard.fr/Folio/livre.action?codeProd=A41017

http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/jean-prevost-aux-avant-postes

http://jplongre.hautetfort.com/archive/2011/05/20/aux-jeu... 

http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/04/23/la-noblesse-des-parvenus.html   

À noter que l’association « Les amis de Jean Prévost » (www.jeanprevost.org) publie la revue Aujourd’hui Jean Prévost, dont le dernier numéro propose, entre autres, un « Carnet de voyages » de l’auteur, ainsi que son texte Les sports en France. Un volume qui devrait susciter l’intérêt de tous les lecteurs de Jean Prévost, passés, présents et à venir.

Contacts : « Les amis de Jean Prévost », Maison du Patrimoine, 38250 Villard-de-Lans. Correspondance : Marie-Aline Prévost, maprevost@hfp.fr ou Emmanuel Bluteau, emmanuel.bluteau@jeanprevost.org .

 

07/07/2011

« Machine mentale »

Essai, USA, Mark Twain, Freddy Michalski, Sarah d’Haeyer, éditions L’œil noir, Jean-Pierre LongreMark Twain, L’homme, c’est quoi ?, traduit de l’américain par Freddy Michalski, L’œil d’or, 2011

L’auteur des Aventures de Tom Sawyer et de celles de Huckleberry Finn (entre autres) publia aussi, à partir de 1896, des textes philosophiques à forte teneur pessimiste, voire nihiliste, au nombre de trois : Lettres de la terre, L’étranger mystérieux et L’homme, c’est quoi ? (tous trois réédités récemment aux éditions de L’œil d'or).

L’homme, c’est quoi ? est un dialogue philosophique empruntant sa forme à la tradition platonicienne : comme Socrate avec ses disciples, un Vieil Homme soumet un Jeune Homme à sa maïeutique ; le va-et-vient des questions-réponses, parsemé non seulement de sentences et d’exemples persuasifs, mais aussi de rappels historiques, de paraboles, de fables, donne à l’enseignement une allure vive et théâtrale.

Comme l’indique le titre, c’est la question fondamentale de l’homme, de sa nature et de ses actions qui est au cœur du débat, et surtout celle de son libre-arbitre (ou plutôt de l’absence de celui-ci). Les six parties du livre orientent le Jeune Homme (et le lecteur) vers l’idée que l’homme, comme une machine, est mû de l’extérieur, que tout ce qu’il pense, émet, fait est de « seconde main » et n’a « pour autre finalité que de lui assurer ponctuellement, d’abord et avant tout, paix de l’esprit et confort spirituel » en lui donnant bonne conscience. À ce compte, l’homme est-il supérieur à la fourmi et aux autres animaux réputés intelligents ? Écoutons encore le vieux philosophe : « Le fait que l’homme sache distinguer le bien du mal prouve sa supériorité INTELLECTUELLE sur les autres créatures mais le fait qu’il soit capable de FAIRE le mal est la preuve même de son infériorité MORALE à toute créature qui ne le peut pas. »

La leçon est rude et ce texte, pour le moins, donne à penser. La réflexion, fortement sollicitée, voire poussée dans ses retranchements (c’est évidemment le but du dialogue), est égayée avec bonheur par les plaisants dessins de Sarah d’Haeyer ponctuant chaque chapitre. Un peu de sourire au milieu de ces déprimants constats.

Jean-Pierre Longre

www.loeildor.com   

 

01/07/2011

Drôle ou morbide ?

Essai, récits, humour, francophone, Patrick Rambaud, La Table Ronde, Folio, Jean-Pierre LongrePatrick Rambaud, Comment se tuer sans en avoir l’air, La Table Ronde, 1986, rééd. Folio, 2011

L’un des propres de l’homme est « le suicide individuel » : les animaux, à part quelques exceptions circonstancielles et généralement collectives, ne prennent pas ce genre d’initiative. C’est en tout cas ce qu’explique Patrick Rambaud en introduisant son « Manuel d’élégance à l’usage des mal partis avec des ruses, des méthodes et des principes expliqués par l’exemple ». Comme un autre propre de l’homme est, selon Rabelais, le rire, il semble que Rambaud ait décidé de développer l’un en s’aidant de l’autre (et inversement).

Cela nous vaut quatorze moyens d’en finir sans honte et en préservant son amour-propre. Il n’est pas question de les énumérer ici, mais on saura que les quatorze chapitres qui les abordent ne sont ni vulgairement pédagogiques ni abstraitement théoriques. Tout passe par des anecdotes aussi tragi-comiques que convaincantes. Les personnages dont l’auteur nous narre le trépas volontaire, nous les connaissons, nous les côtoyons, c’est nous, en plus malheureux, en plus désespérés, en plus obstinés. Les circonstances de la vie les ont poussés à interrompre celle-ci « sans en avoir l’air » : il leur faut trouver un moyen de maquiller leur suicide en accident, en meurtre, en geste héroïque (et « con »), en infarctus, en maladie mortelle… et ils le trouvent.

Tout cela est fort drôle, même s’il nous arrive de rire jaune, tant le genre humain dans son entier est mis à rude épreuve et tend à la morbidité. Le style allant, allusif, expéditif parfois, imagé souvent n’est pas pour rien dans le plaisir que l’on prend à lire dans les pensées des personnages, à les accompagner dans leur cheminement souvent complexe, toujours fatal. Et il faut aller jusqu’au bout : dans sa conclusion, Patrick Rambaud rappelle que le suicide ne date pas d’aujourd’hui, loin s’en faut, et termine tout de même par un bel hymne à la vie.

Jean-Pierre Longre

www.folio-lesite.fr