01/07/2011
Drôle ou morbide ?
Patrick Rambaud, Comment se tuer sans en avoir l’air, La Table Ronde, 1986, rééd. Folio, 2011
L’un des propres de l’homme est « le suicide individuel » : les animaux, à part quelques exceptions circonstancielles et généralement collectives, ne prennent pas ce genre d’initiative. C’est en tout cas ce qu’explique Patrick Rambaud en introduisant son « Manuel d’élégance à l’usage des mal partis avec des ruses, des méthodes et des principes expliqués par l’exemple ». Comme un autre propre de l’homme est, selon Rabelais, le rire, il semble que Rambaud ait décidé de développer l’un en s’aidant de l’autre (et inversement).
Cela nous vaut quatorze moyens d’en finir sans honte et en préservant son amour-propre. Il n’est pas question de les énumérer ici, mais on saura que les quatorze chapitres qui les abordent ne sont ni vulgairement pédagogiques ni abstraitement théoriques. Tout passe par des anecdotes aussi tragi-comiques que convaincantes. Les personnages dont l’auteur nous narre le trépas volontaire, nous les connaissons, nous les côtoyons, c’est nous, en plus malheureux, en plus désespérés, en plus obstinés. Les circonstances de la vie les ont poussés à interrompre celle-ci « sans en avoir l’air » : il leur faut trouver un moyen de maquiller leur suicide en accident, en meurtre, en geste héroïque (et « con »), en infarctus, en maladie mortelle… et ils le trouvent.
Tout cela est fort drôle, même s’il nous arrive de rire jaune, tant le genre humain dans son entier est mis à rude épreuve et tend à la morbidité. Le style allant, allusif, expéditif parfois, imagé souvent n’est pas pour rien dans le plaisir que l’on prend à lire dans les pensées des personnages, à les accompagner dans leur cheminement souvent complexe, toujours fatal. Et il faut aller jusqu’au bout : dans sa conclusion, Patrick Rambaud rappelle que le suicide ne date pas d’aujourd’hui, loin s’en faut, et termine tout de même par un bel hymne à la vie.
Jean-Pierre Longre
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23/02/2011
« L’impromptu de Neuilly »
Patrick Rambaud, Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier, Grasset, 2011
Patrick Rambaud, romancier de talent (Prix Goncourt pour La bataille en 1997), s’y connaît aussi en Histoire récente et contemporaine, et a fait ses preuves en matière de parodie (rappelons, entre autres, ses pastiches de Roland Barthes ou de Marguerite Duras, et un savoureux Bernard Pivot reçoit… qui réunit et fait parler, chacun dans son style personnel, quelques grands écrivains du XXème siècle).
Tout cela pour dire qu’il n’est pas le premier venu, et qu’il était tout désigné pour être, à la manière de Saint-Simon, le chroniqueur de « Notre Nerveux Souverain », qui prête si bien le flanc à la moquerie et à la protestation, et qui toutefois en est à sa quatrième année de règne – ce qui nous vaut, pour nous divertir et nous remonter le moral le temps d’une lecture, le quatrième tome (été 2009 – été 2010) des aventures de celui qui est « désormais pour l’Histoire Nicolas le Névrosé », « à cause de son obsession inassouvie de la bougeotte ». Histoire individuelle, mais aussi histoire collective, comprenant le grouillement de ceux qui gravitent autour de « Notre Vibrionnant Monarque ». Voilà donc des portraits hauts en couleur, tels ceux du « comte Chatel, qui s’occupait des écoles de Sa Majesté », de M. le duc de Villepin, l’ennemi juré, de « Monsieur Fredo », nommé « marquis de Valois » pour régner sur la Culture, du « lieutenant criminel Besson », transfuge par excellence, du « chevalier d’Ouillet », sorte de colosse « fermement ancré dans la balourdise », de M. Raoult, « lieutenant général du Raincy », qui « servait deux maîtres, notre Phosphorescent Monarque et le tyran de Tunis, M. Ben Ali », et qui pensait que les écrivains obtenant le prix Goncourt ne devaient pas exprimer leurs opinions, de M. Woerth, « duc de Chantilly », de « la Grande Duchesse de Bettencourt »…
Il serait vain de rappeler tous les exploits accumulés en une année par Sa Majesté et ses courtisans, et relatés ici sur le mode satirique et néanmoins réaliste. L'art de Patrick Rambaud est de décrire les faits sans cacher ce qu’il en pense, de dénoncer les excès, les vanités, les incompétences, les mensonges et les ratages, le tout dans le style fleuri, métaphorique, ironique, pince-sans-rire et pour tout dire fort plaisant des prosateurs classiques. Il ne mâche pas ses mots, ne manque pas de dire leurs vérités aux puissants et aux riches qui nous gouvernent et de mettre au jour les injustices et les abus, mais il le fait toujours avec une élégance qui tranche furieusement sur les ânonnements de « Notre Bravache Souverain », avec un lexique choisi (les journaux sont les « gazettes », la télévision les « fenestrons », la Parti socialiste le « Parti Social » et l’UMP le « Parti Impérial », les autobus des « diligences » conduites par des « postillons » etc.) et un sens inégalable de la formule qui fait mouche (« Madame rentra tardivement du Bénin, où elle était allée regarder le sida »… Impayable et implacable « regarder »…).
Cette Quatrième chronique est dédiée, entre autres, « à M. Molière qui aurait écrit puis joué L’Impromptu de Neuilly, c’est-à-dire l’envers du décor ». Molière, La Bruyère, Saint-Simon, Voltaire… Patrick Rambaud a d’illustres maîtres, et sans conteste il en est digne.
Jean-Pierre Longre
10:15 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, histoire, francophone, patrick rambaud, grasset, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |