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05/11/2020

Conte de mort, de vie et d’amour

Conte, récit, histoire, francophone, Jean-Claude Grumberg, Le Seuil, Points, Jean-Pierre LongreJean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises, Éditions du Seuil, 2019, Points, 2020

« Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! », précisent les premières lignes. Pourtant, nous sommes dans une forêt, où un couple de bûcherons s’échine pour survivre : elle à la recherche du moindre morceau de bois, lui s’affairant à des « travaux d’intérêt public ». Sans enfants, donc sans bouche supplémentaire à nourrir, ni malheureusement à chérir… Très vite on comprend que la voix ferrée récemment construite à travers la forêt transporte des « marchandises » spéciales – hommes, femmes, enfants – vers une destination inconnue. Car tout autour de la forêt, c’est la guerre mondiale. « Pauvre bûcheronne », tous les matins, en ramassant les quelques branchages qu’elle trouve, va voir passer le train, attendant un signe, un cadeau, un miracle.

Conte, récit, histoire, francophone, Jean-Claude Grumberg, Le Seuil, Points, Jean-Pierre LongreDans l’un des wagons à bestiaux, un couple et ses jumeaux, Henri et Rose (Hershele et Rouhrele). La peur, la promiscuité, la saleté, la faim, le froid… Le père se dit que l’un des jumeaux pourrait changer de destination, et tant bien que mal, apercevant une silhouette au loin, il le dépose dans la neige par la lucarne du wagon. C’est alors « pauvre bûcheronne » qui prend en charge avec émerveillement et tendresse la « petite marchandise », et qui va tout faire pour nourrir ce bébé inconnu, malgré la colère de son mari – colère qui va peu à peu se muer en attachement paternel pour celle que la propagande de l’occupant disait faire partie du peuple des « sans cœurs », qu’il fallait éliminer.

Le conte nous dit que pendant ce temps la mère et le frère de la petite fille vont mourir, victimes des bourreaux, que seul le père en réchappera, espérant que son geste aura sauvé le bébé. Le récit avance à son rythme, faisant alterner les scènes de cruauté et de tendresse, de violence et d’amour, jusqu’à ce que le père, au hasard de ses recherches erratiques, devine que la fillette qui se trouvait devant lui, vendant des fromages avec sa « mère », était celle qu’il avait arrachée à la mort : « Un cri, un cri terrible, un cri de joie, de peine, de victoire, un cri se forma dans sa poitrine, mais rien, rien ne sortit de sa bouche. […] Il avait vaincu la mort, sauvé sa fille par ce geste insensé, il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort. »

Un vrai conte ? Le style de Jean-Claude Grumberg en donne toutes les apparences, ce style qui ménage l’attente et l’inattendu, la malheur et l’émerveillement : « Pauvre bûcheron tout comme pauvre bûcheronne ne ressentirent plus le poids des temps, ni la faim, ni la misère, ni la tristesse de leur condition. Le monde leur parut léger et sûr malgré la guerre, ou grâce à elle, grâce à cette guerre qui leur avait fait don de la plus précieuse des marchandises. » Mais l’ « appendice pour amateurs d’histoires vraies » nous remet dans le contexte historique et familial, rappelant que les convois partis de Drancy ont mené à la mort la famille de l’auteur et, le 7 décembre 1943, la famille Wiesenfeld avec ses jumelles… Mais « l’amour […] fait que la vie continue ».

Jean-Pierre Longre

www.seuil.com  

www.lecerclepoints.com

11/07/2015

Cinquante ans de Off

Festival Off d’Avignon, juillet 2015. « Le plus grand théâtre du monde ». 

Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreLe premier spectacle « off » d’Avignon, créé par André Benedetto, eut lieu le 10 juillet 1966, en marge du Festival officiel. Premiers pas modestes et fulgurants d’un événement qui, d’année en année, a envahi la ville et les salles disponibles – collèges, chapelles, boutiques, lieux publics, théâtres privés… jusqu’à compter, pour sa cinquantième année d’existence, plus de 1300 spectacles quotidiens venus non seulement des quatre coins de France, mais du monde entier, comme le souligne Greg Germain, président d’Avignon Festival & Compagnies.

Comment le spectateur lambda peut-il choisir ? Comme chaque année, il y en a pour tous les goûts, du « boulevard » au théâtre engagé, du comique au tragique, du classique à l’avant-garde, de l’austérité textuelle à la mise en scène chatoyante, de la lecture à la danse, du mime à la musique… Faire confiance aux noms des auteurs, des troupes, des metteurs en scène, des comédiens ? Se fier à la critique ? Se livrer à la séduction des présentations ? Écouter le bouche à oreille ou les rumeurs de la rue ? En ce début de mois, voici une petite contribution sélective.

Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreParmi les One-(wo)man-shows, particulièrement adaptés à de petites salles (10 à 50 places), signalons la Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig (Présence Pasteur), beau et terrible récit rétrospectif adressé par une femme passionnée à un homme de lettres volage et insoucieux de ses nombreuses conquêtes féminines, parmi lesquelles elle figure en anonyme. Violaine Savonnet, mise en scène par Danielle Latroy-Fuster, restitue sans pathos mais sans concessions la dramatique réalité du souvenir, dans un jeu qui fait passer le personnage par toutes les nuances de l’amour et toutes les facettes du désespoir.

Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreDans un registre différent, mais toujours dans l’intimité d’un lieu restreint, Mathieu Barbier livre Des nouvelles de Giono (Espace Roseau, mise en scène de Jean-Claude et Marie-Françoise Broche) ; il fait bien mieux que les dire, ces nouvelles : il les joue littéralement, incarnant de sa voix aux sonorités vibrantes et variées plusieurs de ces personnages hauts en couleur des Alpes provençales, avec leur accent, leur franc-parler, leurs non-dits, leur simplicité, leur générosité – leur humanité. Ce faisant, le comédien, de velours côtelé vêtu, fait à merveille redécouvrir la prose rocailleuse et poétique de l’écrivain.

Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreAutre genre, autre sorte de personnage : dans La patiente, Anca Visdei, prolifique dramaturge franco-roumaine, donne à voir et à délicieusement disséquer les entrevues successives d’un psychanalyste avec une patiente plutôt originale, toujours habillée de rouge, refusant de s’étendre sur le divan et mettant à mal la traditionnelle relation freudienne entre les deux types de personnes. L’homme de l’art parviendra-t-il à percer la carapace, à atteindre le cœur d’un personnage qui, tout en la voilant, révèle une vraie sensibilité ? Un sujet sérieux, un texte drôle, traité comme tel par des comédiens talentueux (Sabine Laurent et Yann Loiret mis en scène par Aurélie Goulois).

Le Off d’Avignon ne serait pas ce qu’il est sans les pièces qui donnent le premier rôle à un personnage passant souvent inaperçu tout en étant omniprésent : le langage. Parmi ces pièces, on en recommandera trois.

Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreSi ça va, bravo, de Jean-Claude Grumberg, est une comédie tantôt burlesque tantôt amère à deux personnages (en l’occurrence, deux comédiens réjouissants de complicité malicieuse et de fausse rivalité, Renaud Danner et Étienne Coquereau, mis en scène par Johanna Nizard) qui enchaînent les scènes cocasses, les dialogues de sourds, les jeux verbaux, les réparties inattendues, les situations satiriques et absurdes. Une bonne heure de rire et de méditation sur les richesses et les ambiguïtés du langage et des relations humaines…

Dans le livre intitulé Le cabaret des mots, paru en 2014, Matéi Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre LongreVisniec fait monologuer et dialoguer des mots de toutes sortes. La Compagnie des Ondes, avec trois comédiens pleins de vivacité et de talents variés (Rebecca Forster, Eva Freitas et Aurélien Vacher), a fait parmi ces mots un choix judicieux. Dans Moi le mot (mise en scène de Denise Schropfer, Ateliers d’Amphoux), ça fuse et ça explose, en paroles et en musique… Chaque mot est traité avec drôlerie et intelligence, chaque séquence extirpe la substance poétique de ces petits objets qui deviennent ainsi de véritables personnages.

Jean Tardieu est sans conteste un maître de ce qu’il nomme lui-Théâtre, littérature, Stefan Zweig, Jean Giono, Anca Visdei, Jean-Claude Grumberg, Matéi Visniec, Jean Tardieu, Festival Off d’Avignon, Jean-Pierre Longremême La comédie du langage. Dans De quoi parlez-vous ? (Théâtre Buffon), les quatre comédiens Sophie Accard (qui a aussi assuré la mise en scène), Anaïs Merienne, Tchavdar Pentchev et Léonard Prain, multipliant les personnages aux rôles, aux costumes, aux gestes, aux attitudes les plus divers, s’en donnent à cœur joie pour donner au langage verbal ses sens les plus détournés, ses aspects les plus inattendus. Les cinq courtes pièces (Finissez vos phrases, Oswald et Zénaïde ou les apartés, De quoi s’agit-il ?, Le guichet, Un mot pour un autre) le mettent dans toutes les situations, dans toutes les positions. On rit franchement, sans manquer de mesurer sérieusement la complexité des mots.

Il reste deux semaines pour courir à Avignon, où le pittoresque le dispute à la beauté, à la poésie, à l’humour, à la sensibilité. Deux semaines pour voir les six pièces signalées, et bien d’autres encore. Le choix ne manque pas.

Jean-Pierre Longre

Liens utiles :

www.avignonleoff.com  

Lettre d’une inconnue : Présence Pasteur, 13 rue du Pont Trouca. Rés. 04 32 74 18 54

Compagnie Violaine : www.compagnieviolaine.biz

 

Des nouvelles de Giono : Espace Roseau, 8 rue Pétramale. Rés. 04 90 25 96 05

http://www.mathieu-barbier.com

http://www.roseautheatre.org/spip.php?article28

 

La patiente : L’Alibi théâtre, 27 rue des Teinturiers. Rés. 04 90 86 11 33

http://www.ancavisdei.com/livres/l-patien.html

http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/08/04/les-deux-soeurs.html

 

Si ça va, bravo : 3 Soleils, 4 rue Buffon. Rés. 04 90 88 27 33

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Si-ca-va-b...

www.les3soleils.fr

 

Moi le mot : Les Ateliers d’Amphoux, 10-12 rue d’Amphoux. Rés. 04 90 86 17 12

http://jplongre.hautetfort.com/archive/2015/01/25/chaque-...

https://www.facebook.com/compagniedesondes

 

De quoi parlez-vous ? : Théâtre Buffon, 18 rue Buffon. Rés. 04 90 27 36 89

Compagnie C’est-pas-du-jeu : www.cpdj.fr

http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/08/01/si-simple-et-si-complexe.html