27/03/2013
« Mon vieux, je t’emmène faire la révolution »
Marc Villemain, Ils marchent le regard fier, Les éditions du Sonneur, 2013
Une manifestation qui tourne mal, on a déjà vu ça dans le passé, on le verra encore dans l’avenir. Il suffit d’une maladresse, d’un geste de trop, d’une provocation idiote, et on bascule dans la violence incontrôlée. C’est en quelque sorte ce que raconte le dernier livre de Marc Villemain.
Si ce n’était que cela, l’intérêt en serait limité. Mais justement, c’est bien plus que la relation d’un simple fait divers. D’abord, tout en débusquant quelques repères familiers, à la ville comme à la campagne, on s’immerge dans une époque incertaine, dans une sorte d’avenir brouillé mais tout compte fait prévisible, pas très lointain du nôtre, pour ainsi dire dans un monde à l’envers, où ce sont les jeunes qui sont au pouvoir, qui imposent leur loi : « À l’époque nos gouvernants avaient quoi, trente ans, quarante pour les plus aguerris. Des qui croyaient connaître la vie parce qu’ils avaient été à l’école. Des zigotos de fils à papa, teigneux et morveux du même tonneau. Mais qui ne se mouchaient pas du coude ». Alors Donatien, l’ami de toujours, celui qui a épousé la belle, fière, discrète et tendre Marie, vient trouver le narrateur et le convainc, lors d’une soirée bien arrosée de prune, de venir avec lui et quelques autres « faire la révolution », de manifester contre cette jeunesse toute puissante qui les opprime (et au nombre de laquelle on compte, soi dit en passant, le propre fils de Marie et Donatien, Julien).
À partir de là s’enchaînent les événements. On se retrouve à la capitale, on prépare soit fiévreusement soit tranquillement, dans la colère et dans la joie, la grande journée de la vieillesse en révolte. Celle-ci va tourner au face à face mal maîtrisé, et à la tragédie. On n’en dira pas plus, sinon que ce court roman nous plonge à la fois dans la tension des péripéties et dans le plaisir de savourer une prose collant à la parole rurale, goûteuse, touchante et rugueuse de personnages campés par l’auteur avec une affection contagieuse.
Jean-Pierre Longre
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20/03/2013
Une belle voyageuse. Regard sur la littérature française d’origine roumaine
Parution
Jean-Pierre Longre, Une belle voyageuse. Regard sur la littérature française d’origine roumaine. Éditions Calliopées, mars 2013.
Juillet 1990 : à l’invitation d’une amie née en Transylvanie, Jean-Pierre Longre, après avoir traversé une Europe en pleine métamorphose, arrive en Roumanie, dans ce pays qui vient de sortir d’une longue période de dictatures et de s’ouvrir à la liberté de circuler, de créer, d’accueillir. Frappé, comme d’autres visiteurs, non seulement par l’hospitalité, mais aussi par la francophilie des habitants, par leur connaissance précise de la langue, de la culture et de l’histoire de la France – les livres avaient été pour eux une échappatoire, un refuge, une ouverture vers le passé et l’avenir – il lie amitié avec plusieurs Roumains, de ceux qui le reçoivent à cette époque. Une amitié qui ne s’est pas relâchée, entretenue par de nombreuses visites de part et d’autre.
EN PLUS DE VINGT ANS, LA ROUMANIE A NOTABLEMENT CHANGÉ, SA LITTÉRATURE AUSSI, COMME LES RELATIONS ÉDITORIALES QU’ELLE ENTRETIENT AVEC LA FRANCE. CET OUVRAGE EST ISSU DE PLUSIEURS ANNÉES DE FRÉQUENTATION ASSIDUE DE LA LITTÉRATURE ROUMAINE D’EXPRESSION FRANÇAISE OU, POUR UNE MOINDRE PART, TRADUITE EN FRANÇAIS, FRÉQUENTATION DONT JEAN-PIERRE LONGRE A TENTÉ DE RENDRE COMPTE DANS DES ARTICLES DE FOND ET DANS DES NOTES DE LECTURE. AINSI EST MIS EN VALEUR LE CARACTÈRE À LA FOIS DURABLE ET DYNAMIQUE D’UNE LITTÉRATURE QUI A ENRICHI DEPUIS AU MOINS UN SIÈCLE ET DEMI LE PATRIMOINE FRANCOPHONE ET EUROPÉEN –ET QUI CONTINUE À L’ENRICHIR. TOUT EN TENANT COMPTE DE CETTE DUALITÉ, ON PEUT LIRE UNE BELLE VOYAGEUSE « À SAUTS ET GAMBADES », Y VAGABONDER À LA FAÇON DE MONTAIGNE, SELON L’INTÉRÊT DU MOMENT, D’UNE MANIÈRE CONTINUE OU DISCONTINUE. À CHACUN SON MODE DE TRANSPORT.
Voir la couverture complète ici: PRINT COUV BV.pdf
En vente ou en commande possible en librairie, ou aux éditions Calliopées
contact@calliopees.fr, tél. + 33 1 46 42 15 77
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13/03/2013
« Un arc dans le temps »
Matéi Visniec.
Le spectateur condamné à mort. Traduit du roumain par Claire Jéquier et l’auteur. Avertissement de Gilles Losseroy.
Mais, Maman, ils nous racontent au deuxième acte ce qui s’est passé au premier. Traduit du roumain par l’auteur. Préface de Jean-Claude Drouot.
Les chevaux à la fenêtre. Traduit du roumain par l’auteur. Préface de Benoît Vitse.
Mais qu’est-ce qu’on fait du violoncelle ? Traduit du roumain par l’auteur.
Théâtre décomposé ou L’homme-poubelle. Préface de Georges Banu.
Ce beau volume réunit les dernières pièces écrites par l’auteur en Roumanie et les premières écrites en France. Une anthologie bienvenue, « qui tient lieu d’arc dans le temps », et qui forme une belle synthèse de l’art et de la thématique littéraires et dramaturgiques de Matéi Visniec.
« Vous avez compris le message de la pièce ? », demande l’un des personnages. « Bien sûr, répond son interlocuteur. Mais vous voyez… Il y a plusieurs niveaux de compréhension. Chaque niveau a son rythme… sa nuance… petit à petit… ». Alors ? Selon un premier niveau, avec Le spectateur condamné à mort, on a affaire à une pièce où l’absurde sert la satire : un tribunal (juge, défenseur, procureur, greffier), une brochette de neuf témoins successifs, un accusé muet qui va être condamné à mort pour on ne sait quoi : parce qu’il se tait, parce qu’il est là, parce qu’il est ce qu’il est – ou n’est pas ce qu’il n’est pas, ou est susceptible d’être ce qu’il pourrait être –, parce qu’il ne se dit pas lui-même coupable… On reconnaît là, bien sûr, la substance des procès staliniens, de tous les procès intentés par les régimes totalitaires et au cours desquels juges, greffiers, défenseurs même deviennent des pantins manipulés par l’accusation.
Si l’on pousse plus avant l’exploration, on s’aperçoit vite que la mascarade concerne tout le monde – le tribunal, les témoins, les spectateurs, la foule extérieure, le genre humain dans son ensemble – tout ce qui existe, et qui finalement se voit condamné à la négation absolue, éternelle. Seul un « clochard aveugle », personnage récurrent des pièces de Visniec, pourra faire un ultime constat : « Vraiment rien ni personne… Je suis pour de vrai seul au monde… ».
Le monde est un théâtre, c’est bien connu. Parodie de justice, Le spectateur condamné à mort est une parodie de pièce, une parodie du monde. Tout s’y confond, acteurs, auteur, metteur en scène, spectateurs, juges, accusés, accusateur, défenseur et témoins. Le monde entier est un vaste tribunal où chacun tente d’effacer la présence de l’autre, et par là même d’effacer sa propre présence ; la représentation théâtrale, opération cathartique absolue, est une gageure : représenter des êtres qui font tout pour se purger non seulement du mal contenu en eux, mais aussi de leur propre existence.
Ecrite en roumain en 1984 (période fort critique pour les écrivains du pays), créée en sa langue d’origine en 1992 à Iasi (Jassy), la pièce fut représentée pour la première fois en France en 1998 (Festival off d’Avignon). Comme les autres pièces de Matéi Visniec, elle mériterait de nombreuses autres représentations : du vrai théâtre d’aujourd’hui – et de tout temps.
Mais, Maman, ils nous racontent au deuxième acte ce qui s’est passé au premier est une « fantaisie, mascarade, bouffonnerie et expérience en deux actes » qui a été écrite en roumain en 1979, et aussitôt censurée. Matéi Visniec la livre au public français, et c’est tant mieux. Autour d’un trou, symbole d’on ne sait quoi, mais d’un « on ne sait quoi » dans lequel se tapit, on le subodore, du malheur, de l’oppression, de la séduction, de la résignation… autour de ce trou, donc, grouille, se précipite, se dispute, se perd, se retrouve, s’enfuit tout un monde d’humains anonymes ou identifiés, atemporels ou historiques, menteurs ou sincères. Et là, dans ce magma d’illusion, émergent quelques instants de vraie vie, quelques instants qui font que la folie vaut d’être exhibée, avec toute la liberté dont dispose le metteur en scène, par la grâce de l’auteur qui précise bien cependant : « Le titre de la pièce est sacré ».
Quand des chevaux fous regardent par la fenêtre, se rassemblent pour occuper les abattoirs et deviennent des bêtes féroces, faut-il s’attendre à ce que les hommes fassent preuve de sagesse ? La folie des animaux est comme un signal de celle des hommes. Ce sont alors des dialogues de sourds entre préoccupations quotidiennes et vaines illusions de l’héroïsme, l’angoisse devant le temps détraqué, le recours désespéré à la discipline militaire, le sombre constat de l’éternelle obscurité qui entoure la destinée humaine… Et, rythmant le tout, l’imperturbable litanie des guerres que se sont livrées les hommes au cours de leur histoire.
Si Les chevaux à la fenêtre met en scène les velléités du patriotisme et de la gloriole dans un espace-temps illusoire, Mais qu’est-ce qu’on fait du violoncelle ? est un huis clos tout aussi désespérant. Dans une salle d’attente, devant le jeu répétitif et obstiné d’un violoncelliste, l’attitude de personnages bien ordinaires, prêts aux concessions et aux compromis, tourne à la folie furieuse et débridée, jusqu’au rejet total. Existe-t-il des remèdes à l’enfer des autres, à la solitude et à l’absurdité ? « L’homme ? Un grain de poussière… Un rien… Mais, malgré tout, tout est possible ».
Les brèves séquences qui forment Théâtre décomposé ou L’homme-poubelle, qualifiées par Georges Banu de « monades, textes autonomes, ronds », forment des tableaux très variés dans leur forme et dans leur contenu, laissant au metteur en scène toute liberté pour « recomposer » ce théâtre à sa manière. Monologues ou dialogues, ces textes sont des « modules théâtraux », et « le jeu consiste à essayer de reconstruire l’objet initial ». Sans rompre avec les thèmes récurrents qui jalonnent son œuvre, et en les réunissant autour du motif de la « décomposition », l’auteur fait jouer là une sorte de théâtre potentiel, donnant à l’écriture des perspectives inattendues.
Avec ces pièces, Matéi Visniec confirme la portée à la fois très humaine et universelle d’une œuvre théâtrale dans laquelle le sens de l’absurde et de la révolte, la combinaison du tragique et de l’humour ne peuvent pas laisser indifférent.
Jean-Pierre Longre
Saison roumaine en Syldavie :http://www.sildav.org/component/allevents/display/section/default/11-saison-roumaine-en-syldavie
Salon du Livre de Paris 2013 : les lettres roumaines à l’honneur
Pour sa 33ème édition, le Salon du livre met à l’honneur les lettres roumaines. En 2013, les visiteurs du Salon viendront à la rencontre d’une belle sélection de 27 auteurs roumains dont une dizaine de romanciers découverts en 2012 par les éditeurs français : des essayistes d’envergure européenne ; des auteurs de roman graphique ; des dramaturges au ton percutant et rafraîchissant ; des poètes et des romanciers à la veine chatoyante et portant un regard acéré sur la société roumaine.
Voir:
http://www.salondulivreparis.com/?IdEvent=8&IdNode=4053&Lang=FR&IdNodeVersion=6673&FromBO=Y
Pour mieux connaître la littérature roumaine, voir : http://rhone.roumanie.free.fr/rhone-roumanie/index.php?option=com_content&task=category§ionid=4&id=41&Itemid=29
09:24 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, roumanie, francophone, matéi visniec, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
11/03/2013
Mots, lignes, couleurs
Madeleine Ravary, Apollinaire illustré, Éditions Calliopées, 2012
« Admirez le pouvoir insigne
Et la noblesse de la ligne :
Elle est la voix que la lumière fit entendre
Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre. »
Le premier poème, placé sous le signe d’Orphée, suggère la double dimension de ce double recueil : la musique des mots et des vers, la plastique des illustrations.
À chaque poème son dessin aux lignes courbes, aux couleurs abondantes ou, au contraire, en sobre noir et blanc. Le plus souvent, le figuratif se détache sur un foisonnement de volutes ou de lignes simplement suggestives, parfois frisant l’abstraction, parfois tenant du calligramme. Animaux ou êtres humains se glissent discrètement ou s’imposent carrément dans la profondeur de la page. Et comme le proclame l’enchanteur :
« Bêtes en folie… Croyez-moi je vous aime
Et sais le nom de chacune de vous. »
Claude Debon rappelle dans sa préface que Madeleine Ravary a eu de fameux ou d’obscurs prédécesseurs dans l’illustration du Bestiaire, et pratiquement aucun pour ce qui concerne L’Enchanteur pourrissant, et juge qu’« il faut du courage » pour se lancer dans ce genre de travail. C’est vrai. Le courage de se libérer des carcans tout en restant fidèle à la magie des poèmes, Madeleine Ravary l’a eu. Et l’influence chinoise, qui se manifeste ouvertement dans la traduction des titres du Bestiaire, plus secrètement dans les dessins eux-mêmes, n’est pas la moindre preuve de cette fusion entre liberté et fidélité, qui est l’un des propres de l’art.
Jean-Pierre Longre
09:12 Publié dans Mots et images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : illustration, poésie, madeleine ravary, apollinaire, éditions calliopées, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
05/03/2013
Les déambulations d’un érudit
Pierre Brunel, Rue des Martyrs, Les éditions du littéraire, 2012
En adoptant le genre, le rythme et le ton du journal personnel, Pierre Brunel s’écarte apparemment de sa vocation de professeur dont les multiples publications sont des références indispensables à la recherche littéraire. Mais il ne rompt pas avec elle. Car toutes les chroniques, tous les rappels, tous les mystères dévoilés qui peuplent ces pages sont d’un grand lecteur, d’un érudit sans cesse à l’affût d’anecdotes littéraires ou historiques, d’un érudit qui se plaît parfois à laisser échapper quelque confidence.
Profitant des promenades de l’auteur dans ce quartier de Montmartre (le Mont des Martyrs) qu’il affectionne, nous croisons aussi bien Rimbaud que Napoléon, Nerval qu’Octave Mirbeau, Mérimée que Victor Hugo, Dreyfus que Zola, Baudelaire que Péguy, André Breton que Georges Duhamel, Edgar Quinet qu’Offenbach (on en passe), et aussi nous faisons la connaissance de Jean-Claude le boucher, de Léon Cladel (auteur des Martyrs ridicule) et d’autres obscurs…
Comme on passe sans raison consciente d’une rue à l’autre, comme on tourne au hasard à gauche plutôt qu’à droite et inversement, Pierre Brunel nous fait passer d’un sujet à l’autre, au gré des rapprochements d’idées et des méandres de la mémoire.
« Et sans un plan sous les yeux
on ne comprendra plus
car tout ceci n’est qu’un jeu
et l’oubli d’un temps perdu »,
a écrit Queneau, qui comme Apollinaire s’y entendait en « antiopées » et a si bien couru les rues de Paris. Ici, le hasard, certes, joue son rôle ; mais il tourne toujours autour des martyrs et de leur rue.
C’est avec les délices mesurées des promenades à pas comptés que nous suivons les itinéraires dans l’espace et dans le temps proposés par l’auteur. À le lire, on a le sentiment que cette rue des Martyrs résonne de rencontres sans lesquelles notre patrimoine ne serait pas ce qu’il est. Et, semble-t-il, elle attire toujours autant qu’aux siècles passés, celle que chantait encore récemment François Hadji-Lazaro dans une rocailleuse et truculente chanson, « Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs ».
Jean-Pierre Longre
15:48 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal, récit, francophone, pierre brunel, les éditions du littéraire, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |