07/05/2022
Cahoteuses et chaotiques
Natalka Vorojbyt, Mauvaises routes, traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn, éditions L’espace d’un instant, 2022
Le premier des six tableaux qui composent cette pièce est le monologue d’une journaliste venue se rendre compte de ce qu’il se passe sur le front du Donbass. « Qui ne veut pas aller au front ?! Tout le monde veut aller au front. Je l’ai décidé avant même d’y réfléchir. » C’est Serhig, combattant endurci et bel homme, qui l’y emmène en lui racontant ses propres tribulations. Témoignage vivant, brève histoire de guerre et d’amour qui se terminera, elle le sait, par « une séparation lente et terrible. »
Les fragments suivants, extensions dialoguées du premier, mettent en scène des personnages divers, dont la variété des situations n’occulte pas ce qu’ils ont en commun et qui forme à la fois l’arrière-plan constant et l’immédiateté scénique : la guerre, les dangers et les tensions qu’elle engendre. De toutes jeunes filles, assises sur un banc près d’une supérette, bavardent, se disputent, se racontent leurs amours (« Comme Roméo et Juliette : tout le monde est contre nous, et nous on est contre le monde entier. »), leurs révoltes (« Je ne veux pas regarder la télé russe. / On regardera autre chose. / Il n’y a rien d’autre. ») et expriment leurs peurs devant les explosions. Un directeur d’école tente de s’extirper d’une situation et d’une attitude qui le rendent suspect aux yeux d’un commandant de « blockpost » – ivresse, passeport égaré, détention d’une arme -, ce qui occasionne au passage une profession de foi du militaire : « Personnellement, je combats pour que ma fille ne se réveille pas un jour au milieu de la guerre, comme vos enfants. Pour qu’elle ne se cache pas dans les caves, putain [...] Et puis je suis ici pour qu’un directeur d’école ivre ne transporte pas une kalachnikov dans son coffre… Pour que ce genre de directeur ne s’approche pas des enfants. On ne sait pas ce que tu leur apprends, là-bas, quelle patrie aimer, quel drapeau arborer. » Une femme médecin et un militaire roulent sur une route accidentée, et leur conversation agitée laisse entendre que le corps du mari mort au combat se trouve dans le coffre du véhicule. Situation tragique, qui n’empêche pas l’humour (noir) : « Ton père est encore en vie ? / Non. / Alors que Poutine est en vie. / Oui, j’aurais bien fait l’échange… / Impossible. / Je sais. / Ça t’ennuie si je me soûle ? / Si tu y tiens vraiment. Mais… / Je plaisante. C’est de l’eau. » Puis c’est une scène à la limite du soutenable entre « Lui », une brute enragée, et « Elle », qui tente de l’amadouer par tous les moyens, sentiments, ruse, brutalité en retour… Image de la dictature guerrière contre les valeurs démocratiques. Le dernier tableau, dont l’action se situe « avant la guerre », met face à face les scrupules et la cupidité, la générosité et la tentation d’en profiter. Prémices de batailles plus violentes.
Tous ces personnages, dont certains, comme des fils plus ou moins ténus, réapparaissent périodiquement et tracent un cheminement entre les scènes, suivent ces « mauvaises routes » cahoteuses et chaotiques qu’ils n’ont pas forcément prévu ou envie de suivre. L’art de la dramaturge leur donne une existence immédiate, tangible, profondément humaine, et nous, lecteurs ou spectateurs, partageons de près leurs angoisses, leurs révoltes, leurs vies à la fois dramatiques et si proches de la quotidienneté de toute vie, avec ses sourires et ses peurs. D’autant plus, bien sûr, que les événements décrits ici, datant d’il y a cinq ans (2017, création de la pièce), sont d’une brûlante actualité.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Sergueï Guindilis, Les voisins, traduit du russe par Boris Czerny, préface de Benoît Vitkine, 2022
« La réélection frauduleuse du président sortant, Alexandre Loukachenko, en août 2020, provoque une vague de manifestations pacifiques en Biélorussie. Les opposants au régime sont violemment réprimés. La pièce Les Voisins reproduit les témoignages d’hommes et de femmes emprisonnés, violentés ou contraints à l’exil par les forces de l’ordre biélorusses. Ils racontent ce qu’ils ont vécu et qui fait qu’ils ne seront plus jamais les mêmes qu’avant. En mai 2021, la première de la pièce au Teatr.doc de Moscou a été interrompue par la police.
Ce texte est le fruit du travail collectif d’un groupe d’artistes russes et biélorusses, dirigé par Sergueï Guindilis, metteur en scène, et composé de Daria Demoura, régisseuse et documentaliste, Ekaterina Finevitch, actrice de cinéma et de théâtre, et Ksenia Terechtchenko, dramaturge. Sergueï Guindilis, né en 1994 à Moscou, a étudié la philosophie, l’art dramatique et le cinéma documentaire, et a notamment organisé différents spectacles dans le cadre du cycle « Histoire des épidémies » au Teatr.doc. »
Kaveh Ayreek, La valise vide, traduit du dari (Afghanistan) par Guilda Chahverdi, préface de Guilda Chahverdi ,2022
« Hamid et Maryam sont afghans, ils ont grandi en Iran. Leurs parents y avaient migré au début de la longue série des guerres afghanes dans les années 1980. Toute leur enfance, ils ont été bercés par la poésie et la description des beautés de leur terre d’origine. Dans les années 2010, une fois mariés, Hamid et Maryam décident de retourner en Afghanistan. Ce retour leur semble essentiel pour offrir à leurs enfants la
légitimité d’une terre dont eux ont été privés. Leurs familles respectives tentent de les en dissuader : les habitants de ce pays sont des loups. Mais le couple ne veut rien entendre. Il voyage par voie de terre pour voir enfin les paysages et rencontrer ses habitants. »
Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Carrousel pour les Tsiganes, traduit du rromani par Marcel Courthiades, préface de Marcel Courthiades, 2022
« Dans un café tenu par Yashar, Rrom de Prizren, se déroulent des événements du quotidien en période de conflit serbo-albanais, apportant de plus en plus de violence, de corruption, de haine absurde entre ennemis jurés, hier encore amis. La pièce illustre la souffrance morale des Yougoslaves écartelés entre nostalgie, compassion, haine(s), nationalisme(s), mensonges et manipulations. Si les personnages principaux sont rroms, symbolisant le peuple simple sans orientation nationaliste, les autres protagonistes apparaissent avec toutes leurs ambiguïtés.
Mais les auteurs traitent d’une destruction intérieure, qui n’épargne personne, et ne font pas le procès de l’une ou l’autre des forces en présence. « Quand les taureaux se battent, c’est l’herbe qui souffre le plus. »
Le texte a été créé en Allemagne en 2000 par Rahim Burhan et le théâtre Phralipe, principal théâtre rrom en Europe, et édité en 2004 à l’Espace d’un instant, sous le titre Kosovo mon amour. »
Hristo Boytchev, L’invasion, traduit du bulgare par Roumiana Stantcheva, préface de Jordan Plevneš, 2022
« Au fin fond de la campagne, retranchés dans leur maison transformée en bunker improbable, Luca, ses enfants Galilei le lunatique et Maria le garçon manqué, ainsi que Mattei, personnage velléitaire qu’ils hébergent, armés jusqu’aux dents, défendent leur bastion face à un ennemi invisible. Mattei courtise Maria qui le rabroue à coups de taloches, Galilei joue au somnambule, Luca règne en maître sur ce petit monde qui attend à longueur des jours, des mois, des années l’arrivée de l’envahisseur. Un jour, enfin, les collines alentour se couvrent de monde. Les envahisseurs sont là ! »
17:54 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ukraine, russie, afghanistan, rromani, bulgarie, natalka vorojbyt, iryna dmytrychyn, sergueï guindilis, boris czerny, vitkine, kaveh ayreek, guilda chahverdi, jovan nicolić, ruždija russo sejdovič, marcel courthiades, hristo boytchev, roumiana stantcheva, jordan plevneš, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
25/03/2022
Le théâtre ukrainien, bien vivant. « Nous sommes tous en errance »
Dominique Dolmieu et Neda Nejdana (sous la direction de), De Tchernobyl à la Crimée, « Panorama des écritures théâtrales contemporaines d’Ukraine », éditions L’espace d’un instant, Les Journées de Lyon des auteurs de théâtre, 2019
Qui en France connaît le théâtre ukrainien, mis à part quelques spécialistes et traducteurs ? Nicolas Gogol et Mikhaël Boulgakov (« auteurs russophones de Kiev ») sont peut-être dans les esprits, mais en ce qui concerne les auteurs d’aujourd’hui, « terra incognita » (Dominique Dolmieu). Il était donc grand temps que le public et les lecteurs francophones découvrent l’écriture dramaturgique contemporaine de ce pays divisé « entre l’Occident et l’Orient, la liberté et le totalitarisme », de ce pays « polyethnique et polyglotte » (Neda Nejdana). Ce peut être chose faite, grâce à la Maison d’Europe et d’Orient et aux Journées de Lyon des auteurs de théâtre. Cette belle et vaste anthologie « tente tout autant de faire découvrir des auteurs européens majeurs que de parcourir les différentes tendances esthétiques qui composent son paysage dramaturgique, farce absurde, tragi-comédie populaire, lyrisme, légende poétique, farce politique télévisuelle, théâtre d’objets… ». Et elle y parvient, avec ces neuf pièces qui, effectivement, reflètent la diversité d’un théâtre décliné sur tous les tons, et qui sont réparties en quatre sections :
« La catastrophe du siècle » (celle de Tchernobyl – ou Tchornobyl dans la langue originale), un « malheur » pour les uns, une « attraction » pour les autres, comprend deux textes : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie, caractérisé entre autres par un va-et-vient entre passé et présent, et Les fugitifs égarés, de Neda Nejdana, qui combine dialogues et monologues. Point commun : l’action des deux pièces se déroule dans la « zone interdite », et met en scène le désarroi de personnages qui s’y trouvent et s’y rencontrent plus ou moins volontairement ; en résumé : « Nous sommes tous en errance. ».
Sous le titre « Au temps des changements », sont présentés L’Hymne de la jeunesse démocratique de Serhiy Jadan, Miel sauvage d’Oleh Mykolaïtchouk et En direct d’Oleksandr Irvanets. En commun, là aussi, un désarroi qui saisit les personnages, d’une manière tragique ou absurde, voire humoristique, et qui a pour source les transformations de la vie économique, sociale, sociétale : comment se débrouiller avec ce passage si rapide entre dictature communiste et libéralisme sauvage, entre contrainte collective et liberté individuelle ? Tout cela peut se résumer par le côté absurde d’un néologisme : le « multiplundisme » : « Après la toxicomanie, la prostitution, l’inflation et les interférences, il s’est avéré qu’il caractérise aussi notre société. ».
« Maïdan, une révolution », avec Le labyrinthe d’Oleksandr Viter et En détail de Dmytro Ternovyi, rappelle les événements que tout le monde a en mémoire, vus par des victimes de la répression, de simples témoins plongés dans l’action, voire des objets qui s’animent, qui parlent et qui se confrontent aux tracasseries administratives. Les occupants du Maïdan sont-ils forcément des révolutionnaires ? Non. « Nous sommes des gens normaux et paisibles, qui voulons vivre une vie normale. Parce qu’il y a des droits fondamentaux : le droit à la vie et le droit à la liberté. ».
Les deux derniers textes sont regroupés dans la section « À l’intérieur et au-delà du monde » : une pièce traduite du tatar, Arzy, légende tatare de Rinat Bektashev, où dialoguent, en vers ou en prose, aussi bien des hirondelles que des personnages mythiques comme Ali Baba ; et un « Mystère psychologique en deux actes », L’Évangile selon Lucifer d’Anna Bagriana, où le passé tragique du pays est évoqué par différentes voix, dont certaines rappellent les quatre évangélistes du Nouveau Testament.
Ces 500 pages foisonnantes illustrent la vivacité du jeune théâtre ukrainien, un théâtre qui met en scène aussi bien les soubresauts de l’Ukraine moderne que les drames du passé (stalinisme, « Holodomor » ou « extermination par la famine », lutte contre le nazisme…). Un théâtre dont la variété est symptomatique de l’écriture contemporaine, et qui manie aussi bien le pathétique que la distance humoristique, l’absurde intemporel que la satire politique, une satire qui pourrait concerner plusieurs pays d’Europe orientale et d’ailleurs : « C’était il y a dix ans qu’ils étaient des bandits. Maintenant, ils sont au pouvoir ; députés, hommes d’affaires, et j’en passe. ». Voilà l’un des aspects majeurs du théâtre : un art complexe et complet susceptible de faire réagir.
Jean-Pierre Longre
Les pièces, les auteurs et les traducteurs : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie; Les Fugitifs égarés, de Neda Nejdana; L’Hymne de la jeunesse démocratique, de Serhiy Jadan; Miel sauvage, d’Oleh Mykolaïtchouk; En direct, d’Oleksandr Irvanets; Le Labyrinthe, d’Oleksandr Viter; En détail, de Dmytro Ternovyi; Arzy, légende tatare, de Rinat Bektashev; L’Évangile selon Lucifer, d’Anna Bagriana. Textes traduits de l’ukrainien, du russe et du tatar de Crimée par Estelle Delavennat, Maxime Deschanet, Iryna Dmytrychyn, Bleuenn Isambard, Shirin Melikoff, Aleksi Nortyl, Iulia Nosar, Ömer Özel et Tatiana Sirotchouk.
http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presen...
09:31 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ukraine, dominique dolmieu, neda nejdana, pavlo arie, serhiy jadan, oleh mykolaïtchouk, oleksandr irvanets, oleksandr viter, dmytro ternovyi, rinat bektashev, anna bagriana. estelle delavennat, maxime deschanet, iryna dmytrychyn, bleuenn isambard, shirin melikoff, aleksi nortyl, iulia nosar, Ömer Özel, tatiana sirotchouk, l’espace d’un instant, les journées de lyon des auteurs de théâtre, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
12/04/2021
Survivre ensemble
Andrèas Flouràkis, Je veux un pays, traduit du grec par Hélène Zervas, Exercices pour genoux solides, traduit de grec par Michel Volkovitch, préface d’Ekaterini Diamantakou, éditions L’espace d’un instant, 2020
Andrèas Flouràkis, écrivain et homme de théâtre, est l’auteur de nombreuses pièces au rayonnement international. Les deux œuvres publiées dans ce volume sont de factures différentes, mais relèvent de préoccupations collectives et individuelles analogues : survivre à « la crise économique et migratoire » que la Grèce, l’Europe et le monde connaissent à notre époque. Ekaterini Diamantakou analyse parfaitement ces enjeux dans sa préface, « Une double recherche du pays ».
Pour Je veux un pays, les indications de l’auteur sont on ne peut plus simples, laissant toute latitude au metteur en scène : « Personnages : TOUS. Lieu : PAYS. » S’ensuit, sur plus de quarante pages, une série de courtes répliques qui se suivent et se répondent plus ou moins clairement, prononcées par un nombre indéterminé de personnages dont les gestes et les mouvements sont libres. Émigration, voyage sont au cœur des préoccupations, symbolisés par les valises apportées sur scène. « - Nous sommes arrivés au bord du gouffre. / - Il faut agir. / - Il n’y a pas de place pour nous ici. / - Il faut d’urgence trouver un autre pays. / - Émigrer ? » Résolution, rêves, désirs quasiment poétiques, prières contrecarrées, retours sur le passé, désillusions (« Ce pays qui est venu à la place du nôtre est à pleurer »), espoirs… Tout est théâtralement répertorié, tout peut (re)commencer : « Le commencement est la moitié de tout. »
Dans Exercices pour genoux solides, l’atmosphère est aussi différente que la structure. Quatre personnages (« La femme, L’homme, La jeune femme, Le jeune homme »), quatre lieux (« Bureau de la femme, Bureau de réception, Chambre du jeune homme, Chambre d’hôpital »). On passe très rapidement, sans crier gare, d’un lieu à l’autre, d’un dialogue à l’autre, dans une succession de trente-cinq scènes (ou plutôt séquences) parfois fort brèves. La femme, directrice de société, cherche à licencier l’un ou l’une de ses employés, et recourt pour cela à des procédés inavouables et sadiques, dont l’humiliation morale et physique, tout en cherchant à rééduquer son fils porté sur le fascisme et les jeux vidéo. Son absence se scrupules est total : « Mon chéri, l’argent n’a pas de frontières. Il n’a que des propriétaires. Nous virons des gens parce que nous pouvons le faire. Nous rognons les salaires puisque c’est possible. » Il faut donc avoir « les genoux solides » pour garder son emploi et sa place dans une société rongée par les inégalités, les rivalités, la course à la survie, mais aussi par les menaces politiques et les mystères que chacun recèle en soi.
Deux pièces « engagées », dira-t-on, mais dont l’engagement se nourrit d’une réflexion sans schématisation sur la complexité des âmes, des réactions et des destinées humaines, et s’exprime dans une poésie dramatique aux nombreuses ramifications.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Wadiaa Ferzly, Gangrène, traduit de l'arabe (Syrie) par Marguerite Gavillet Matar, préface Marie Elias.
« Damas, 2015. Une famille « déplacée » loin des zones de combat. Loin de la maison qu’on a dû abandonner, mais que la mère continue à payer en cachette. Le mari qui perd son travail. Le fils qui sèche les cours, enchaîne les petits boulots et les humiliations. L’arbitraire, la corruption, les privations. La tension de la guerre imprègne le quotidien. La chaleur torride, les rires, les disputes. Et puis le drame. Telle la gangrène, la guerre a ravagé les corps et les âmes. Faut-il rester, s’accrocher à l’espoir de retourner un jour dans sa maison, ou s’endetter encore et prendre le dangereux chemin de l’exil ? Wadiaa Ferzly met en scène avec beaucoup de finesse et d’empathie la vie de ces Syriens victimes de la guerre. »
Jeton Neziraj, Vol au-dessus du théâtre du Kosovo et Une pièce de théâtre avec quatre acteurs, avec quelques cochons, vaches, chevaux, un Premier ministre, une vache Milka, des inspecteurs locaux et internationaux, traduit de l'albanais (Kosovo) par Sébastien Gricourt et Evelyne Noygues, préface Patrick Penot.
« Près de dix ans après la fin de la guerre, le Kosovo s’apprête enfin à déclarer son indépendance. Le gouvernement demande alors au Théâtre national de préparer un spectacle pour le jour J. Mais le metteur en scène est soumis à tant de contraintes incompatibles que l’événement connaîtra de multiples rebondissements…
Le Royaume-Uni vient de sortir de l’Union européenne : il y a une place à prendre et le Kosovo vise à l’occuper avant la Serbie. Il s’agit de remplir au plus vite les critères d’accession, ce à quoi tâche de s’employer la boucherie Tony-Blair à Prishtina. C’est sans compter la corruption des fameux inspecteurs et la mobilisation des animaux… »
Serhiy Jadan, Hymne de la jeunesse démocratique, traduit de l'ukrainien par Iryna Dmytrychyn.
« Kharkiv, les années 90. Tout en continuant à écrire, San Sanytch décide de quitter son travail chez les Boxeurs pour la justice, pour se lancer dans le business. L’idée est d’ouvrir le premier club gay de la ville, sous couvert de « loisirs exotiques ». Un spécialiste du show-biz sur le retour est embauché, tandis qu’un partenariat est conclu avec l’administration municipale, qui en profite pour leur glisser un missionnaire australien dans les pattes, alors qu’il faut repousser les velléités de la mafia locale. Mais l’entreprise tourne au désastre. Derrière cette comédie quasi balkanique, qui conjugue absurde et burlesque, sont évidemment dénoncées l’intolérance et la corruption au sein d’une société post-révolutionnaire qui découvre la liberté et la démocratie à l’occidentale. »
Béla Pintér, Saleté, traduit du hongrois par Françoise Bougeard, préface Béla Czuppon.
« Celle qui n’est pas aimée ne comprend pas vraiment pourquoi elle est « si peu » aimée. Elle blâme le monde pour cette injustice ou encore les gens pour leur apathie, alors qu’en fait tout le monde l’évite à cause de son intelligence émotionnelle aiguë, de son égoïsme et de son étroitesse d’esprit. Et l’éviter est bien ce qu’ils font tous. Ils n’ont pas vraiment envie de lui adresser la parole. Ne pas être aimé est une agonie. Sourcils froncés, on serre les dents, et les mains deviennent des poings. C’est dans des instants comme ceux-là qu’elle devient dangereuse. Elle, qui n’est pas aimée. »
11:19 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, grèce, syrie, kosovo, ukraine, hongrie, andrèas flouràkis, hélène zervas, michel volkovoitch, ekaterini diamantakou, wadiaa ferzly, marguerite gavillet matar, marie elias, jeton neziraj, sébastien gricourt, evelyne noygues patrick penot, serhiy jadan, iryna dmytrychyn, françoise bougeard, béla czuppon éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
20/06/2020
Théâtre : à l’Est du nouveau
Selin Altiparmak, Sivas 93 ; Pavlo Arie, Au début et à la fin des temps ; Bassa Djanikashvili, Angry Bird ; David Kldiachvili, Le malheur ; éditions L’espace d’un instant, 2020
Le moment est enfin venu de profiter des dernières publications de éditions L’espace d’un instant. Des pièces très diverses, toujours préfacées, présentées et traduites avec soin et précision, venues bien sûr de l’Est.
De Turquie : Sivas 93 de Genco Erkal (traduction de Selin Altiparmak), pièce « chorale » qui relate le massacre d’artistes et d’intellectuels turcs, en 1993, par une foule manipulée par les islamistes radicaux.
D’Ukraine : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie (traduction de Iulia Nosar et Aleksi Nortyl), caractérisé entre autres par un va-et-vient entre passé et présent ; l’action de la pièce se déroule dans la « zone interdite » de Tchernobyl, et met en scène le désarroi de personnages qui s’y trouvent et s’y rencontrent plus ou moins volontairement
De Géorgie : Angry Bird, de Bassa Djanikashvili (traduction de Gery Clapier, Maia Kiashiashvili et Clara Schwartzenberg), où « deux adolescents désabusés manipulent leurs parents respectifs sur fond de conflit confessionnel entre chrétiens et musulmans ».
De Géorgie encore : Le Malheur (traduction de Janri Kachia), dont l’auteur, David Kldiachvili (1862-1931) est l’une des grandes figures classiques de la littérature géorgienne. Replacée dans son contexte historique et littéraire par une préface éclairante de Maïa Varsimashvili-Raphael, la pièce confronte les habitants d’un village qui, devant « le malheur », cherchent à conjurer le mauvais sort, à retrouver l’espoir par les prières, les promesses de solidarité, mais qui finalement n’échappent pas à la querelle, au renvoi mutuel des responsabilités entre le « bas » et le « haut » du village. Une brève tragédie populaire, représentative d’une littérature qui, dans son contexte particulier, retrouve de grands thèmes théâtraux : « la mort, la vie, l’espoir ».
Jean-Pierre Longre
http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presen...
18:59 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, géorgie, turquie, ukraine, bassa djanikashvili, david kldiachvili, genco erkal, pavlo arie, clara schwartzenberg, gery clappier, maia kiasashvili, janri kachia, selin altiparmak, iulia nosar, aleksi nortyl, bassa djanikashvili yoann lavabre, maïa varsimashvili-raphael, etienne copeaux, bruno boussagol, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
21/04/2016
Ukraine-Méditerranée
Marie-France Clerc, Cinq zinnias pour mon inconnu, édité par l’auteure, 2016
Zinovij Jamkowij et sa jeune épouse Maroussia, fuyant dans les années 1920 leur Ukraine natale en proie à la mainmise meurtrière de la Russie soviétique, se réfugièrent en France, à Lunéville. Près de cent ans plus tard, leur petite-fille, Natalie, devenue elle-même grand-mère, se remémore les épisodes enfantins qu’elle vécut dans la « khata » française de ses grands-parents. Et elle fait bien plus que raviver ses souvenirs : elle cherche ses racines grâce à Internet et avec l’aide efficace d’une correspondante ayant accès aux archives de Vinnytsia, alors que là-bas, au même moment, la Russie d’aujourd’hui tente de mettre à mal l’indépendance et les aspirations européennes de l’Ukraine.
Nous sommes en août 2014. En vacances dans une maison du midi de la France, près de la mer, Natalie alterne dans un saisissant contraste les plages de joie avec ses petits-enfants Léo et Lucie et les rappels dramatiques du passé – ce qui n’exclut pas les délicats récits faits aux enfants qui s’intéressent de plus en plus à ce passé. Entre les jeux, les bains, les promenades et les autres activités estivales au milieu d’une nature florissante et idyllique, l’histoire des générations précédentes, avec ses petits bonheurs et ses grands malheurs, ressurgit peu à peu, et la correspondante de Natalie va lui envoyer une « confession » terrible qui va lui livrer le secret de la mort de cet « inconnu » à qui sont dédiés les « cinq zinnias » du titre.
Le livre de Marie-France Clerc n’est pas un simple récit historique concernant l’anéantissement de l’Ukraine par les massacres de Staline. C’est bien un « roman » à la fois personnel et collectif dont la vérité passe par les points de vue des personnages qui le peuplent. Rythmant la relation objective des faits, il y a le Livre de Lydia où la mère de Natalie a recueilli ses souvenirs de fille d’exilés ; il y a les messages envoyés par Ludmilla, la correspondante ukrainienne ; il y a le fil de l’actualité puisée dans les nouvelles du jour ; il y a le Carnet noir, journal dans lequel Natalie consigne les résultats de ses recherches sur la « toile », ses propres souvenirs, ses émotions ; il y a les histoires (vraies) – anecdotes de sa propre enfance et histoire de la famille et du pays d’origine – qu’elle raconte à ses petits-enfants ; et il y a les découvertes faites par ceux-ci, découverte de la nature environnante, et découverte du passé familial et d’un pays qu’ils aspirent à mieux connaître. C’est ainsi que se déroule le fil ténu et risqué d’une narration toujours vivante qui, suivant ce fil, garde son équilibre fragile mais tenace entre la joie innocente et prometteuse de l’enfance et la cruauté implacable de l’Histoire humaine.
Jean-Pierre Longre
11:18 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : roman, histoire, francophone, ukraine, marie-france clerc, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
19/01/2015
Inséparables
Mikhaïl Elizarov, Les ongles, traduit du russe par Stéphane A. Dudoignon, Serge Safran éditeur, 2014
À l’époque de la transition entre la chute de l’empire soviétique et l’avènement du capitalisme débridé, abandonnés ou orphelins, handicapés de surcroît, deux garçons au sort similaire se sont pris d’une amitié indéfectible. Difficile, voire impossible pour eux de rester séparés plus d’une journée, et l’on peut supposer que quand l’un des deux mourra, l’autre le suivra de près. Élevés (pour ainsi dire) dans les mêmes institutions, où le mépris, la maltraitance et la mort sont monnaies courantes, ils suivent des itinéraires parallèles, compte tenu de leurs tares et de leurs dons respectifs.
Gloucester (un surnom qui n’a rien de russe, mais qui le suivra constamment), le narrateur, paraît posséder dans sa bosse, pour le meilleur et pour le pire, deux atouts qui lui sauvent la vie et qui vont faire ses éphémères fortune et célébrité : une force herculéenne et un génie mozartien de la musique. Bakatov (surnom sonnant bien russe mais lui aussi fruit du hasard) a visiblement un pouvoir occulte qui se manifeste lorsqu’il se ronge les ongles, à intervalles réguliers – et, par ailleurs, il devient un habile plombier. Devenus jeunes adultes émancipés, livrés à eux-mêmes, Gloucester et Bakatov vont devoir se débrouiller dans la grande ville, jungle inconnue, dévorante, où ils sont pris en main par des hommes qui apparemment leur veulent du bien, mais dont on peut mettre en doute la sincérité et la probité. L’essentiel, pour les deux garçons, est leur lumineuse intimité réciproque. « La vie suivait son cours. Nous n’étions jamais séparés plus de vingt-quatre heures de suite. J’allais lui rendre visite et il venait me voir. Je lui racontais mes événements musicaux, il m’initiait aux mystères percés par lui des lavabos finnois. Pour une raison que j’ignore, cela me rappelait tout de suite les contes d’Andersen ou le Nord scandinave cristallin et glacé et Bakatov m’apparaissait comme le Finnois de Pouchkine, en mage d’opéra. ».
Né en Ukraine en 1973, Mikhaïl Ezarov (dont Les Ongles est le deuxième ouvrage traduit en français) a l’art des descriptions grouillantes, de la narration aux péripéties surprenantes. Son roman, dans lequel le réalisme du quotidien sordide et le sens aigu de la psychologie voisinent avec le fantastique, l’humour noir et l’onirisme, se situe à la fois dans une certaine tradition russe et dans la lignée de certains récits poétiques contemporains.
Jean-Pierre Longre
23:50 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, russie, ukraine, mikhaïl elizarov, stéphane a. dudoignon, serge safran éditeur, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |