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12/11/2015

Passeur de littérature

Revue, roman, nouvelle, Suisse, Roumanie, Marius Daniel Popescu, Jean-Pierre LongreJournal Le Persil n° 100, puis 101-102-103, automne 2015  

Marius Daniel Popescu aime la vie quotidienne, il aime les gens qui la traversent et la peuplent, et des moindres gestes, des moindres objets, des moindres mots s’échappent sous sa plume des paysages nouveaux – par la parole, le souvenir, l’imagination. Le banal, chez lui, ne l’est jamais; de l’ordinaire naît l’extraordinaire. S’il est besoin de le prouver encore, le numéro 100 du Persil, « journal qui cultive le goût de la cuisine des mots de chaque jour », le fait à merveille. Des poèmes nouveaux, et deux extraits d’un roman à venir (et attendu), Le Cri du barbeau : l’un puisé dans un épisode de la vie actuelle – petits incidents et conversations paisibles –, l’autre dans les souvenirs des « travaux patriotiques » organisés par le « parti unique » – ramassage obligatoire de pommes de terre par les étudiants, sous la surveillance des professeurs d’université, à l’époque de la dictature en Roumanie.

Revue, roman, nouvelle, Suisse, Roumanie, Marius Daniel Popescu, Jean-Pierre LongreCette centième parution, donc, qui dresse aussi la liste des 99 précédentes, avec tous les détails sur leur sommaire, contient « des textes d’un seul auteur ». Mais le numéro triple qui suit dans la foulée (101-102-103) est, comme la plupart des précédents, laissé à la disposition d’autres auteurs de la Suisse romande (Ivan Farron, Serge Cantero, Bertrand Schmid, Janine Massard, Silvia Härri, Ferenc Rákóczy, Lucas Moreno, Lolvé Tillmans, Dominique Brand, Heike Liedler, Michel Layaz) et de Sanaz Safari, écrivaine iranienne qui, grâce à David André et Marius Daniel Popescu, publie ici ses deux premiers textes écrits en français, « à l’attention d’un lectorat dont elle ignore tout ».

Revue, roman, nouvelle, Suisse, Roumanie, Marius Daniel Popescu, Jean-Pierre LongreRoumanie, Suisse romande, Iran, et tous les espaces que l’écriture laisse entrevoir : Le Persil, « parole et silence », est un généreux passeur de littérature, au plein sens de l’expression.

Jean-Pierre Longre

www.facebook.com/journallitterairelepersil

mdpecrivain@yahoo.fr

lepersil@hotmail.com

20/10/2015

« Questionner, inquiéter, jouer »

Revue, nouvelle, francophone, Brèves, Atelier du Gué, Jean-Pierre LongreBrèves n° 106, 2015 

1975-2015. C’est autour de ces deux dates et des quarante années qu’elles délimitent que tourne l’éditorial de ce n° 106 de Brèves. 1975 : création « déraisonnable », en tout cas audacieuse, de L’Atelier du Gué, loin de Paris et en l’absence des moyens de communication dont, en 2015, il y a pléthore… La maison d’édition et la revue Brèves ont non seulement tenu le coup, mais se sont développées ; d’ailleurs Martine et Daniel Delort, avec tous ceux qui les entourent, les aident en fonction de leurs moyens, continuent. « Soyons fous, écrivent-ils, régalons-nous avec ce numéro qui nous avons titré Émois et frissons, et dont le la est donné par Annie Saumont. La littérature aime questionner, inquiéter, jouer… ».

Questions, inquiétude, jeu : les douze nouvelles de ce volume, emmenées par « Un témoin gênant », nous en fournissent à foison. Événements mystérieux, anecdotes étranges, crimes explicables ou non, meurtres à distance, destins insensés, sentiments extrêmes, désillusions intimes… L’art du récit bref, de la narration incisive ou suspendue se décline au fil des pages et des plumes (outre celle, donc, d’Annie Saumont) de Michel Lamart, Pierre-Brice Lebrun, Marina Pesic, Jean-Daniel Herschel, Stéphane Croenne, Victor Garcia, Mireille Diaz-Florian, Jean-Louis Rech, Isabelle Lagny, Sven Hansen-Løve, Sébastien Reynaud.

Suivent un dossier iconographique varié sur les belles œuvres plastiques et photographiques de Claudine Capdeville, un texte du trop méconnu Louis Ténars, « Les P’tits Noëls », introduit par de précieuses indications d’Éric Dussert, et des incursions « sur la toile » avec les revues Encres vagabondes et Texture. Encore un beau numéro, qui maintient la vie littéraire dans une toujours permanente jeunesse. Lisez Brèves, vous serez émus, vous frissonnerez !

Jean-Pierre Longre

www.atelierdugue.com

www.lekti-ecriture.com/editeurs/-Breves-.html

11/06/2015

Noir c’est noir

Nouvelle, anglophone, Thomas Ligotti, Anne-Sylvie Homassel, Dystopia Workshop, Jean-Pierre LongreThomas Ligotti, Chants du cauchemar et de la nuit, Nouvelles choisies, présentées et traduites de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel, Dystopia Workshop, 2014 

Thomas Ligotti, né en 1953 à Detroit, est – aux dires mêmes de sa traductrice – un héritier de Lovecraft et d’Edgar Poe (dont il se revendique par des allusions et des références parfois claires). Et même si on n’en était pas averti, on s’en apercevrait rapidement à la lecture de ces nouvelles (bien) choisies, qui jouent sur tous les tons de la littérature que l’on qualifie généralement, pour faire vite, de fantastique, sans négliger la parodie.

Onze nouvelles, donc, qui mènent le lecteur aux confins du réel, aux frontières entre la vie éveillée et la vie rêvée, entre le tangible et l’imaginaire, entre l’ici-bas et l’au-delà. On y rencontre des figures attendues (vampires, assassins, savants fous), mais aussi des êtres humains devenus pantins privés de toute liberté, de toute volonté – ainsi la prose de Ligotti contient-elle en filigrane (voire en sombre transparence) un pessimisme existentiel qui ne dépare pas dans l’obscurité environnante.

Cette obscurité visuelle qui laisse entrevoir « l’ombre au fond du monde » (titre de l’une des nouvelles) et « l’art perdu du crépuscule » (autre titre) laisse aussi filtrer « des sons venus par-delà quelque grise brume, ou cieux de pluie sifflante, comme si, en quelques ailleurs, des esprits ténus se convulsaient en un monde obscur et oublié de tous. ». Les sensations physiques sont instables, les corps sont soumis à des forces non maîtrisées, comme en rêve : « Dans ces moments où il rêvait, tout passait sous la coupe de puissances qui n’admettaient ni loi, ni raison ; rien n’avait de nature propre, d’essence : tout n’était qu’un masque posé sur le visage des ténèbres absolues, d’une noirceur que nul n’avait jamais vue. ». Mais ne s’agit-il que de cauchemars ? Le lecteur, lui aussi, à mesure qu’il avance dans son exploration du recueil, dans l’audition de ces « chants », éprouve le délicieux malaise que provoquent les mondes méconnus mais vivants, étranges et familiers.

Jean-Pierre Longre

www.dystopia.fr   

07/03/2015

Dans l’opacité du monde

nouvelle, Espagnol, Argentine, Mario Capasso, Frédéric Gross-Quelen, La dernière goutte, Jean-Pierre LongreMario Capasso, Pierres blessées, traduit de l’espagnol (Argentine) par Frédéric Gross-Quelen, La dernière goutte, 2014 

Il l’avait prouvé avec L’immeuble, publié en français en 2012 chez le même éditeur, Mario Capasso a l’art de transfigurer la vie quotidienne, d’en pousser les moindres banalités, les plus petites aspérités jusqu’à l’aberration, jusqu’à l’absurde. Dans un registre un peu différent, les vingt nouvelles de Pierres blessées confirment cette aptitude à la métamorphose du réel – ce réel auquel sont confrontées les petites gens, avec leurs soucis et leurs satisfactions ordinaires, tel Segovia, tout nouveau retraité répondant à qui lui pose la question de ce qu’il va faire de sa vie : « Rien ! Voilà ce que je vais faire. Rien dans les mains ! Rien dans les poches ! Comme les magiciens ! Vu ? ».

En l’occurrence, la magie réside non seulement dans ces riens, petits ou grands, mais aussi dans la prose de Mario Capasso, qui suggère sans les dévoiler complètement les mystères que recèle l’existence humaine. Chaque récit, drôle ou tragique, cruel ou plaisant, comporte ses doses d’absurde, d’onirisme, d’humour noir ou gris, et laisse à chacun le soin de débrider son imagination, se céder à la surprise, de déployer son rire, d’espérer un peu, même d’une manière infime (les pierres sont « blessées », non brisées). Une nouvelle peut très bien se terminer par « un faux numéro qui va donner à l’histoire un tour inattendu. ». Le point apparemment final ne l’est que pour la syntaxe, pas pour le lecteur. Les questions restent posées, dont les réponses sont contenues dans la conjonction entre ce qui est écrit et ce qui court en filigrane : confusion des époques, des êtres, des faits, des objets, des sentiments, des actions, confusion dans laquelle se nichent les vérités qui nous échappent mais dont on sait qu’elles sont là, quelque part.

Alors laissons faire les mots, les phrases, laissons la parole aux personnages et à leur créateur (aussi, pour l’occasion, au traducteur). Jouons le jeu de la narration, et l’étrange prose de Mario Capasso nous permettra de distinguer quelque chose dans l’opacité du monde, tout en goûtant le plaisir de la lecture.

Jean-Pierre Longre

www.ladernieregoutte.fr   

22/11/2014

Points de suspension

nouvelle, Francophone, Pierre Autin-Grenier, Finitude, Jean-Pierre LongrePierre Autin-Grenier, Analyser la situation, Finitude, 2014 

Cette fameuse éternité que l’ami Pierre jugeait inutile, il en gardait toutefois malicieusement un morceau pour le servir bien mijoté à ses fidèles lecteurs, accompagné d’un goûteux flacon d’humour soigneusement conservé tout au fond de sa réserve à cogitations. Et cela donne neuf textes à savourer avec lenteur, bouchée par bouchée, phrase par phrase, mot par mot.

Neuf textes qui sont à la fois récits, méditations, testament en forme de réflexion sur divers sujets touchant à la « situation » de l’écrivain. De la philosophie ? Loin de lui cette idée, sinon « en amateur », comme c’est le cas dans les premières pages où semble filer toute seule la métaphore de l’homme lancé sur la route de l’existence. Le personnage principal, c’est celui qui fait semblant de « jouer à l’écrivain », qui fait semblant de ne rien faire, et qui s’en amuse avec la modestie et la truculence qu’on lui connaît. « Analyser la situation » en parlant de soi, et puis des autres, les humbles amateurs de bonnes choses, amis pour toujours, mais aussi les « cannibales », les « incultes », les « rustres entièrement acquis à un populisme débridé, rance et xénophobe à outrance », contre qui la seule arme efficace serait la poésie, ou encore les fumistes à la mode qui nous valent des prestations « d’attrape-couillons » devenues, sous la plume de l’auteur, une vraie tranche de rigolade.

Comment parvenir à rendre l’inimitable style de Pierre Autin-Grenier, prince de la comparaison rieuse et de la métaphore chantante, roi de l’image robuste et de la formule chantournée ? Et pourquoi le tenter ? Laissons-le donc dire, ce sera plus efficace : « Tant d’années passées à jouer à cache-cache avec les mots et s’en amuser avec l’air de ne pas y toucher, recenser en fin d’une vie rêveuse et distraite une somme d’écrits aussi mince qu’une membrane de chauve-souris et n’envisager au mieux ne rédiger maintenant que de laconiques cartes postales à quelques rares et lointains fidèles, méritent bien, ma foi, d’être regardé comme poète le plus prometteur du patelin par mes six cent trente-neuf lecteurs et cela, mieux que me combler d’honneurs, suffit tout à fait à mon bonheur. Turlututu chapeau pointu, turlututu… n’en parlons plus ! ».

« N’en parlons plus » ? Au contraire. Et ce beau volume, dont le caractère émouvant est accentué par les reproductions des premières pages manuscrites de chacun des textes (avec de si belles ratures et de si parlants ajouts, avec les dates et lieux de composition, sans oublier la mention du saint quotidien…), nous incite à continuer à en parler, et à rêver avec Pierre Autin-Grenier à des rivages où il ferait bon vivre. Car « le monde réel, allez, est bien cruel ! ».

Jean-Pierre Longre

Des hommages à Pierre Autin-Grenier :

nouvelle, Francophone, Pierre Autin-Grenier, Finitude, Jean-Pierre LongreUn livre : Une manière d’histoire saugrenue, « hommage à Pierre Autin-Grenier », Finitude, 2014.

Présentation de l’éditeur : Pierre Autin-Grenier est allé vérifier si l’éternité est bel et bien inutile. Quelques-uns de ses amis lui rendent hommage.

Textes de Franz Bartelt, Arno Bertina, Izabella Borges, Dominique Fabre, Christian Garcin, Brigitte Giraud, Eric Holder, Frédéric-Yves Jeannet, Martine Laval, Jean-Jacques Marimbert, Thomas Vinau, Antoine Volodine, Eric Vuillard & Pierre Autin-Grenier.

Un livre illustré, en noir et en couleur, de photos et de reproductions d’œuvres de Ronan Barrot, Denis Monfleur, Georges Rubel & Ibrahim Shahda.

Des rencontres :

-      À l'occasion de la parution d’Analyser la situation aux éditions Finitude, soirée de lectures à voix haute, par et en présence des amis de Pierre Autin-Grenier, écrivains, peintres et poètes.
Le samedi 22 novembre 2014 à 19h à la librairie de l'Horloge
35, Place de l'Horloge, CARPENTRAS
.
Pour tous contacts : Agnès BASCOU, 40 Bd des Boettes - 84200 CARPENTRAS
06 12 95 64 09        francoise.bascou@gmail.com

-      Mardi 25 novembre à 19h, hommage à Pierre Autin-Grenier: les « riens du tout » et l’éternité. Librairie Passages, 11 rue de Brest, 69002 LYON. Tél. 04 72 56 34 84. « Les écrivains Brigitte Giraud, Christian Garcin, Dominique Fabre, Martine Laval et Thomas Vinau se joindront à nous et à sa femme Aline pour fêter dignement notre ami Pierre, qui nous manque et qui manque à la littérature. »

www.finitude.fr  

https://librairiepassages.wordpress.com

http://jplongre.hautetfort.com/tag/pierre+autin-grenier

30/08/2014

Absorptions et métamorphoses

Nouvelle, Anne-Sylvie Salzman, Stepan Ueding, Le Visage Vert, Jean-Pierre LongreAnne-Sylvie Salzman, Vivre sauvage dans les villes, Le Visage Vert, 2014 

La sauvagerie, on la trouve partout, chez les humains comme chez les bêtes – dans les corps, dans les têtes, dans les terres, au bord de l’eau, dans les villes… C’est en tout cas ce qu’Anne-Sylvie Salzman détecte et révèle en sept nouvelles réparties en trois sections aux titres significatifs : « Filles perdues », « Crucifixions », « Vivre sauvage dans les villes » (le dernier texte, à la fois générique et chute, dans lequel le Parc Montsouris devient un repère propice à la métamorphose d’une fille en animal avide de sang, d’entrailles et de chair).

Auparavant, on assiste, dans un va-et-vient de fascination-répulsion, aux rapports ambigus et terrifiés d’un jeune animal recherchant le contact de sa mère humaine, au cauchemar de la dévoration d’une femme par des chiens féroces, à une cérémonie sacrificielle fomentée par des « pirates cannibales », aux égorgements étranges de brebis par une bête mystérieuse, à de bizarres phénomènes qui se déroulent au-dessus d’un phare maritime du nord lointain, aux transports éperdus et pénétrants d’un prothésiste oculaire amoureux de l’une de ses clientes…

Ainsi résumées, ces nouvelles perdent leur goût épicé. En une sorte de réalisme fantastique (mais pas seulement), de merveilleux morbide (mais pas seulement), l’auteure, maîtresse de son écriture et des mystères qu’elle y insinue, fouille non seulement les corps, mais aussi les fantasmes, les rêves et les âmes d’êtres qui, pour terrifiants qu’ils puissent paraître, n’en sont pas moins profondément humains. Comme tous leurs semblables, ils se cherchent, se sondent, se livrent à leurs peurs et à leurs pertes, à leurs inconstances et à leurs incertitudes. Au-delà des leitmotive (le sang, la chair, l’absorption, les fulgurances, la mort), c’est cela qui fait l’unité du recueil, rehaussée par les gravures en noir et blanc, dessinées à grands traits mouvants, de Stepan Ueding.

Jean-Pierre Longre

www.levisagevert.com   

05/07/2014

Vivantes épitaphes

Blandine Le Callet, Dix rêves de pierre, Stock, 2013, Le Livre de Poche, 2014

nouvelle,francophone,blandine le callet,stock,jean-pierre longreL’auteur explique dans sa postface que l’idée de ces nouvelles lui est venue au Musée Gallo-Romain de Lyon, à la lecture de l’épitaphe d’une certaine Blandinia Martiola, épouse « incomparable » de Pompeius Catussa, morte « pleine d’innocence » à 18 ans. À partir de là, visites de cimetières et de musées ont fourni les occasions de lectures d’autres inscriptions funéraires, sources de récits dans lesquels l’imagination ressuscite de modestes héros condamnés à une éternelle obscurité.

C’est ainsi que, dans l’ordre chronologique, de l’antiquité à nos jours, reviennent momentanément à la vie Hermès, jeune esclave et précepteur mort avec ses deux petits protégés lors d’un tremblement de terre ; Blandinia déjà citée, qui vécut au deuxième siècle ; la duchesse Sibylle qui dut échanger « la lumière d’Apulie » contre le château de Caen où règnent l’obscurité et un mari sans scrupules ; un frère et une sœur qui s’aimaient trop ; un homme « simple et juste », généreux et trop naïf ; une femme soumise au malheur de ses enfants morts nés ; une victime de la cruauté nazie ; un chien pathétiquement adoré ; une mère qui a « semé la zizanie entre [ses] enfants »… et les ancêtres mêmes de Blandine Le Callet, dans un cimetière breton qui, bien qu’elle n’y retrouve pas la tombe familiale, lui réserve une surprenante découverte.

Nouvelle, francophone, Blandine Le Callet, Stock, Jean-Pierre Longre

Vu le prétexte de chaque nouvelle, on se doute que le point commun de l’ensemble est la mort. Mais – paradoxe inhérent à la stratégie narrative – c’est l’humanité vivante qui se décline ici, sur tous les tons : tragique, pathétique, comique, satirique, lyrique. Ces épitaphes, dont la pierre conserve une trace durable, deviennent l’immuable support de beaux récits de vie, émouvants et mémorables.

Jean-Pierre Longre

www.editions-stock.fr

16/05/2014

L’un et l’autre

Nouvelle, Essai, francophone, Samuel Dock, France-Empire, Jean-Pierre LongreSamuel Dock (direction), Nouvelles du couple, France-Empire, 2014

À une époque où « l’hédonisme et l’individualisme », s’ajoutant au narcissisme, à un certain cynisme et à l’intolérance, tendent à donner à l’altérité une apparence désuète, il est bon que l’on s’interroge sur l’une des manifestations de cette altérité : le couple. « A-t-on encore le temps d’aimer ? Aime-t-on encore l’autre pour ce qu’il est, pour son mystère et sa singularité, pour ce qui nous échappe ? Aimons-nous l’autre ou aimons-nous l’amour ? Aimons-nous l’autre ou aimons-nous l’aimer ? », s’interroge Samuel Dock, qui a coordonné cet ouvrage, en a écrit l’avant-propos et le premier texte.

Les quatorze auteurs sollicités posent eux aussi ces questions, d’autres encore, les décomposent, les illustrent, tentent d’y répondre sous des formes diverses. Deux d’entre eux (Jérôme-Arnaud Wagner et Alain Vircondelet) le font sous celle de l’essai autobiographique ou esthétique, de l’essai qui, dans les deux cas, n’exclut pas l’émotion, au contraire ; les autres ont choisi le genre de la nouvelle, au sens narratif du terme, sur différents modes : réaliste, onirique, érotique, parodique, humoristique, dramatique… Différents, mais toujours, au fil des pages, se retrouve la quête de ce que sont le couple, l’amour, la passion, la fusion, le rejet.

Samuel Dock (donc), puis Marie Plessis, Hafid Aggoune, Marc Villemain, Franck Bertrand, Erwin Zirmi, Bérénice Foussard-Nacache, Rebecca Wengrow, Stéphanie Le Bail, Valérie Bonnier, Lélie Claverie et Olivier Fernoy font, chacun à sa manière plus ou moins élaborée, plus ou moins stylisée, plus ou moins abrupte, avancer la réflexion tout en laissant une place de choix au plaisir de la lecture. Du couple qui ne peut faire qu’un aux « amours de légende », en passant par les unions fugaces, les ruptures, les promesses d’éternité, chaque lecteur peut trouver dans ce recueil un cheminement interrogatif, un miroir fidèle ou déformant, un tableau psychologique et sociologique et, surtout, une riche palette littéraire.

Jean-Pierre Longre

www.france-empire.com

11/05/2014

L’essentiel et la marge

Récit, nouvelle, Jean-Jacques Nuel, Marie-Ange Sebasti, Passages d’encre, Le pont du change, Jean-Pierre LongreJean-Jacques Nuel, Le mouton noir, Passages d’encre, « Trait court », 2014

« Si l’on produit des fragments, on peut, en une même journée, dire une chose et son contraire. Pourquoi ? Parce que chaque fragment est issu d’une expérience différente, et que ces expériences, elles, sont vraies : elles sont l’essentiel », a dit Cioran. Jean-Jacques Nuel obéit-il à ce besoin d’« essentiel » quand, dans un entretien avec Christian Cottet-Emard, il avoue ne pas vraiment choisir d’écrire des textes courts ? « L’écriture s’impose », en des textes qui « ne sont pas des poèmes en prose, ni des contes brefs, ni des histoires drôles, ni des mini-nouvelles, mais un mélange d’étrange, d’humour, d’absurde et de poésie qui peut déconcerter ».

Déconcertants, oui, mais aussi pleins de malice, de savoir-faire, d’imagination et de réalisme, ces récits présentés sous un titre révélateur, Le mouton noir, autodéfinition de celui qui se voit rejeté aussi bien par les « vrais » poètes que par les « prosateurs » et qui se situe « dans les marges de la littérature ».

Après Courts métrages, l’écrivain lyonnais poursuit son travail d’inventions lapidaires, construisant pierre à pierre un « vaste ensemble de plusieurs centaines de textes courts », Contresens. Et peu à peu, nous suivons cette construction et en découvrons les différents étages, pour notre plus grand plaisir.

*

Récit, nouvelle, Jean-Jacques Nuel, Marie-Ange Sebasti, Passages d’encre, Le pont du change, Jean-Pierre LongreIl y a Jean-Jacques Nuel écrivain, et Jean-Jacques Nuel éditeur, qui lui aussi donne à découvrir une littérature fragmentaire. C’est le cas du dernier volume publié au Pont du Change, Heures de pointe, de Marie-Ange Sebasti. Des textes qui se situent entre la nouvelle étrange et le conte fantastique, tournant souvent autour des livres et des personnages littéraires, et qui puisent leur inspiration dans une vie quotidienne transfigurée, ménageant de belles surprises.

À noter : Jean-Jacques Nuel et Marie-Ange Sebasti liront des textes de cette dernière le jeudi 22 mai 2014 à 19 heures, galerie Jean-Louis Mandon, 3 rue Vaubecour, 69002 Lyon.

Jean-Pierre Longre

www.inks-passagedencres.fr  

http://lepontduchange.hautetfort.com

http://nuel.hautetfort.com  

22/04/2014

Vient de paraître… Yves Wellens

Nouvelle, francophone, Belgique, Yves Wellens, Jean-Pierre Longre, Espace Nord, Les impressions nouvelles Yves Wellens, Le cas de figure, postface de Jean-Pierre Longre, Espace Nord, 2014

Présentation de l’éditeur :

« Dans Le Cas de figure, 99 récits brefs – avec un inédit – se suffisent chacun à soi-même, mais ne peuvent être dissociés d’aucun autre de l’ensemble qu’ils constituent. Présentant ces récits comme des faits divers dont l’écriture et le style attesteraient la réalité possible, par l’entremise d’un narrateur au statut toujours indéterminé, Yves Wellens adopte le registre du rapport lapidaire et de la communication scientifique. Bref, du cas de figure. Il a élaboré une forme qui, par différentes méthodes et techniques de narration, incite le lecteur à déchiffrer des faits : quand le vraisemblable se transforme en fiction, et que celle-ci étend son territoire jusque dans le vraisemblable. »

« Yves Wellens a publié cinq livres, de 1995 à 2011, les premiers de prose, contes, nouvelles et récits, et un roman en dernier. Un spectacle de théâtre (Belga Bordeelo) a été créé en 2010 à Mons et à Gand à partir de D’outre-Belgique (2007). Yves Wellens a donné un grand nombre de contributions à des journaux et revues, dont Marginales, et à des volumes collectifs. »

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25/03/2014

Des nouvelles d’Estonie, et d’ailleurs

revue, nouvelle, francophone, estonie, Mehis Heinsaar, Antoine Chalvin, Georges-Olivier Châteaureynaud, Gérard Jarlot, brèves, atelier du gué, jean-pierre longre Brèves n° 103, « Estonie » et « Nouvelles inédites », décembre 2013

Que sait-on en France de la littérature estonienne ? Mieux (pire), que sait-on de l’Estonie ? La lecture de la deuxième moitié du numéro 103 de Brèves, sans imposer un savoir encyclopédique, permet d’obtenir une réponse au moins partielle à ces deux questions et, surtout, introduit à la connaissance de ce pays en passant par la porte la plus séduisante, l’ouverture artistique.

D’une part l’art du récit court, avec, par André Chalvin, une « brève histoire de la nouvelle estonienne » et une recension des œuvres traduites en français, puis un entretien de Georges-Olivier Châteaureynaud avec l’un des représentants majeurs du genre, Mehis Heinsaar – illustré par deux nouvelles originales, dont le « réalisme magique » et la poésie onirique stimulent singulièrement la lecture. D’autre part l’art architectural et les arts visuels (peinture et photographie), qui fournissent l’occasion d’un beau cahier en couleurs – ce qui, promis, se renouvellera régulièrement.

Cette deuxième moitié se termine par un « bref » mais intéressant et méthodique « éloge de la nouvelle » par Michel Lamart et deux notes critiques. Et la première ? Elle répond à un autre objectif de la revue : faire connaître des textes et des auteurs nouveaux ou méconnus. Évidemment, ces qualificatifs ne concernent pas Paul Fournel, qui ouvre l’anthologie par trois pages aussi drôles que noires. Ainsi guidée, la petite troupe formée de Sylvie Durbec, Jean-Claude Tardiff, Astrid Bouygues, Monique-Marie Champy, Jean Pézennec, Emmanuel Leriche, Domi Giroud et Christine Sagnier raconte des histoires poétiques, humoristiques, nostalgiques, avant une remise en mémoire, par Éric Dussert, de Gérard Jarlot (1923-1964), qui eut son « heure de gloire », « une existence aussi pétillante que raccourcie », et dont on peut lire une nouvelle dense et fiévreuse.

Après la Norvège, la Suède, le Mexique, l’Espagne, le Liban, la Bulgarie, la Roumanie, la Nouvelle-Zélande et l’Océanie, la revue poursuit son exploration des écritures étrangères, tout en prêtant ses pages à la diversité française. Sûrs de gagner, continuons à miser sur cette « permanence » toujours renouvelée de Brèves

Jean-Pierre Longre

 www.atelierdugue.com

10/03/2014

Les tribulations d’un huguenot

Roman, biographie, francophone, Nicolas Cavaillès, Les éditions du Sonneur, Jean-Pierre LongreNicolas Cavaillès, Vie de Monsieur Leguat, Les éditions du Sonneur, 2013

Prix Goncourt de la nouvelle 2014

 

En 1685, Louis XIV signe l’édit de Fontainebleau, qui révoque celui de Nantes, et jette sur les routes de l’exil des milliers de huguenots, entraînant les conséquences durables que l’on connaît.

Parmi eux, François Leguat, gentilhomme bressan déjà âgé de 50 ans, qui, fuyant ses terres, se réfugie en Hollande ; de là, vu la foule d’émigrés s’entassant dans le port d’Amsterdam, il décide de s’embarquer pour les îles lointaines. Premier départ à bord d’une frégate, avec quelques hommes qui deviendront forcément des compagnons de long voyage. Le roman retrace les tribulations de ces navigateurs malgré eux, les incidents, les maladies, les tempêtes, les trahisons, la survie sur des îles inconnues, les morts, les emprisonnements, les abandons… Leguat résiste à tout, au prix de combats inhumains contre l’adversité, contre les duretés de la nature et des hommes, entre  océans et continents – et ne meurt qu’à 96 ans, dans les bas-fonds londoniens.

Nicolas Cavaillès, dans ce bref roman (ou longue nouvelle), ne se contente pas de raconter ce que son héros avait déjà narré dans son Voyage et aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes orientales, publié en 1707 – suivant peut-être en cela la mode des récits exotiques de l’époque. En une prose limpide et riche, rythmée par les évocations poétiques, il entame une réflexion sur la nature et la destinée humaines, sur le sens de l’aventure, sur la souffrance, sur la mort, sur Dieu, sur la sincérité même de la narration autobiographique, sur « l’idéal littéraire de simple vérité » ; et il réhabilite ce bourlingueur qui « aura vécu trois vies », qui aura fréquenté « l’Éden original » et « la cité de l’Apocalypse » – et qui, tout compte fait, fut une homme « simple et sincère » et reste « un modèle à suivre ».

Jean-Pierre Longre

www.editionsdusonneur.com

17/11/2013

Le messager noir, quatrième galop

revue, anglophone, francophone, poésie, nouvelle, essai, blandine longre, paul stubbs, black herald pressThe Black Herald – nr 4, octobre 2013, Black Herald Press

Poèmes, proses, essais, photographies : le nouveau numéro de la revue bilingue (et même multilingue, en l’occurrence) offre un choix toujours exigeant, toujours gratifiant, et d’une haute tenue constante.

With / avec Steve Ely, Pierre Cendors, Edward Gauvin, Paul B. Roth, Jean-Pierre Longre, Rosemary Lloyd, Boris Dralyuk, Paul Stubbs, Georgina Tacou, John Lee, Cristián Vila Riquelme, Philippe Muller, Michael Lee Rattigan, Desmond Kon Zhicheng-Mingdé, Vasily Kamensky, David Shook, Oliver Goldsmith, Michel Gerbal, Gary J. Shipley, Anthony Seidman, Fernando Pessoa, Cécile Lombard, Anne-Sylvie Salzman, Heller Levinson, Jorge Ortega, Blandine Longre et des essais sur / and essays about Robert Walser, Arthur Rimbaud, Raymond Queneau, E.M. Cioran. 

Images: Raphaël Lugassy, Pierre Cendors. 

Design: Sandrine Duvillier.

The Black Herald
Literary magazine – Revue de littérature

Issue #4 – October 2013 - Octobre 2013
160 pages – 15€ / £12.90 / $20 – ISBN 978-2-919582-06-8 (ISSN 2266-1913)

Poetry, short fiction, prose, essays, translations.
Poésie, fiction courte, prose, essais, traductions.

now available / disponible
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The Black Herald’s editors are  Paul Stubbs and Blandine Longre.
Comité de Rédaction : Paul Stubbs et Blandine Longre.

Contents / Sommaire

Contributors / Contributeurs

 

An interview with Paul Stubbs in Bookslut (October 2012)

Un article paru dans Recours au Poème  (Octobre 2013)

 

http://blackheraldpress.wordpress.com

15/04/2013

Polyphonies fantastiques

Nouvelle, Roumanie, Ana Blandiana, Muriel Jollis-Dimitriu, Le Visage Vert, Jean-Pierre LongreAna Blandiana, Les saisons. Traduit du roumain par Muriel Jollis-Dimitriu, Le Visage Vert, 2013

Quatre nouvelles, comme il y a quatre saisons, voilà qui, au premier coup d’œil, paraît logique et rassurant. Mais chaque sous-titre met d’emblée le lecteur sur les voies détournées qui le mènent vers des lieux inattendus : « La chapelle aux papillons » pour l’hiver, « Chers épouvantails » pour le printemps, « La ville qui fond » pour l’été, « Souvenirs d’enfance » pour l’automne.

De fait, le voilà embarqué, ce lecteur, dans le monde fantastique et poétique de la narratrice, un monde dans lequel l’air, la terre, la mer, le feu sont éléments de transformation et de combinaison intime entre l’au-delà et l’ici-bas, la peur et la joie, la veille et le sommeil, le présent et le passé. Un monde qui peut être envahi aussi bien par la neige que par les papillons, où la ville se métamorphose en désert ou en « steppe fluide », où une bibliothèque peut devenir couloir infini et sombre ou, à l’envi, verger odorant… Le récit se tourne volontiers vers l’enfance, « mon étrange enfance qui se consumait entre les cataclysmes presque physiques des découvertes et les orages des amours précoces dévastées par des jalousies féroces, mon enfance étrange et gloutonne, pressée de consumer en inclinations incomprises et en vertiges dérisoires les réserves de passion et de présence d’une vie entière » ; et on se prend à chercher encore et encore les messages cachés derrière chaque scène « qui, assise au fondement même de mon devenir et de mon entendement futurs, s’est enrichie de significations sans cesse renouvelées, comme une boule de neige qui grossit de par sa propre dégringolade vers le néant ».

Ana Blandiana, l’une des grandes figures de la poésie roumaine et de la résistance au réel absurde et borné du totalitarisme, livre ici une prose d’une richesse lyrique quasiment sans limites. Chacune de ces quatre nouvelles est un morceau de vie intérieure qui déborde largement la subjectivité, laissant entrevoir un univers où règnent le fantasme et le symbole.

Jean-Pierre Longre

www.levisagevert.com

03/11/2012

Le numéro trois est arrivé !

Revue, anglophone, francophone, poésie, nouvelle, essai, Blandine Longre, Paul Stubbs, black herald pressThe Black Herald – 3


Literary magazine – Revue de littérature

Issue #3 – September 2012 - Septembre 2012
190 pages – 15€ / £13 / $19 – ISBN 978-2-919582-04-4

Poetry, short fiction, prose, essays, translations.
Poésie, fiction courte, prose, essais, traductions.

 

 

Now available

Disponible

 

With / avec W.S. Graham, Gregory Corso, Andrew Fentham, Louis Calaferte, Iain Britton, Jos Roy, Tristan Corbière, Michael Lee Rattigan, Clayton Eshleman, Denis Buican, John Taylor, César Vallejo, Anne-Sylvie Homassel, Cécile Lombard, Gary J. Shipley, Rosemary Lloyd, Bernard Bourrit, Mylène Catel, Nicolas Cavaillès, Ernest Delahaye, Sébastien Doubinsky, Gerburg Garmann, Michel Gerbal, Allan Graubard, Sadie Hoagland, James Joyce, João Melo, Andrew O’Donnell, Kirby Olson, Devin Horan, Dominique Quélen, Nathalie Riera, Paul B. Roth, Alexandra Sashe, Will Stone, Anthony Seidman, Ingrid Soren, August Stramm, Pierre Troullier, Romain Verger, Anthony Vivis, Elisabeth Willenz, Mark Wilson, Paul Stubbs, Blandine Longre et des essais sur / and essays about Charles Baudelaire, Francis Bacon. Images: Ágnes Cserháti, Olivier Longre, Will Stone, Devin Horan. Design: Sandrine Duvillier.

 

 

The Black Herald is edited by Paul Stubbs and Blandine Longre
Comité de Rédaction : Paul Stubbs et Blandine Longre

 

 

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17/10/2012

Distillerie littéraire au Pont du Change

Les éditions Le Pont du Change continuent à distiller des textes narratifs et poétiques. En voici deux, qu’il convient de déguster délicieusement à gorgées mesurées.

Nouvelle, récit, Christian Cottet-Emard, Roland Counard, Le pont du change, Jean-Pierre LongreDrôle d’animaux

 

Christian Cottet-Emard, Dragon, ange et pou, trois burlesques, Le Pont du Change, 2012

Est-il possible qu’un diacre un peu encombrant se métamorphose malgré lui en pou géant accroché à des tuyaux d’orgue ? Existe-t-il des bébés dragons cachés sous les bâches des tas de bois ? Un ange peut-il nous aider à sortir et rentrer les poubelles ?

De fait, tout cela se produit bel et bien dans les nouvelles de Christian Cottet-Emard. Pas simplement pour le plaisir de l’étrange et du fantastique. Ceux-ci, au-delà de leur charme propre, sont des chemins vers le « burlesque » et le comique de situation, mais aussi des moyens d’accès à une sorte d’observatoire. Observatoire du genre humain, de ses réactions face à l’inattendu – réactions qui n’en sont pas, puisque rien semble-t-il ne peut transformer les habitudes des hommes, incorrigibles curieux. L’auteur l’avoue poétiquement : « Les personnages principaux se contentent d’observer, comme les anges curieux de Conques qui enroulent le firmament, légèrement en retrait de ce qui s’annonce ».

Au rire déclenché par l’écriture (jeux sur les noms propres, dialogues alertes, formules répétitives, farce…) répond, plus profondément, la possibilité d’une méditation sur ces drôles d’animaux que sont les humains et sur l’évolution générale de l’espèce.

 

Nouvelle, récit, Christian Cottet-Emard, Roland Counard, Le pont du change, Jean-Pierre LongreRécit au compte-gouttes

Roland Counard, Le laitier de Noël, Le Pont du Change, 2012

 

De tout petits textes, à la mesure du garçonnet qui en est le héros. De tout petits textes qui, même s’ils restent aussi distincts les uns des autres que des poèmes en prose ou des saynètes comiques, forment une trame narrative aussi cohérente qu’énigmatique. De tout petits textes qui s’adressent à lui, Robin Dubuisson (deviendrait-il un jour Robin des Bois ?), tout en laissant planer sur ses faits et gestes, sur ses intentions mêmes, de lourds soupçons…

 

Car si la famille et le voisinage de Robin forment de prime abord un entourage rassurant, une cellule confortable, les morts violentes se succèdent – accidents ou meurtres. Celles du grand-père, de la voisine… et ce n’est certainement pas fini… Peu à peu, au compte-gouttes, les éléments s’emboîtent, sans donner de réponse claire. Vus à hauteur d’enfant, les événements se succèdent, laissant planer des hypothèses peu rassurantes sur la prétendue innocence et l’apparente naïveté des humains de cinq ans.

 

Jean-Pierre Longre

http://lepontduchange.hautetfort.com    

01/10/2012

L’humain sous toutes les latitudes

Nouvelle, francophone, Jean-Christophe Rufin, Gallimard, Jean-Pierre LongreJean-Christophe Rufin, Sept histoires qui reviennent de loin, Gallimard, 2011, Folio, 2012

D’une expérience multiple (la médecine, les missions humanitaires, la diplomatie) et d’un talent littéraire officiellement reconnu (prix Goncourt, Académie française…) et néanmoins réel, Jean-Christophe Rufin a su tirer parti avec brio dans ces nouvelles.

Sept récits, sept voyages immobiles, de Paris au Luxembourg en passant par la Kirghizie, l’île Maurice, les Dolomites, le Mozambique, le Sri Lanka, sans compter l’évocation hors scène d’autres périodes historiques et d’autres contrées lointaines. Mais l’exotisme, s’il donne du piquant et du relief aux événements et aux personnages, n’est pas le principal. L’important, ce qui fait l’unité de ces textes dont on pourrait croire à première vue qu’ils sont disparates, c’est l’humain. Narrateurs et protagonistes, sous toutes les latitudes, à toutes les époques, nouvelle,francophone,jean-christophe rufin,gallimard,jean-pierre longredans toutes les langues, sont empreints de cette intelligence et de cette sensibilité qui donnent confiance en l’humanité, jusqu’au milieu des conflits et du malheur, de l’intolérance et de la cruauté.

Et ce qui ne gâte rien, l’auteur sait construire ses histoires, avec la ferveur de l’acteur et le détachement de l’observateur. Entre mystère et clarté, le tragique et l’humour se côtoient et se combinent, les péripéties dramatiques et les situations burlesques convergent vers un dénouement souvent inattendu. Sourires ou frissons garantis, et toujours le plaisir de lire de vraies « histoires ».

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr   

www.folio-lesite.fr

13/07/2012

Déroutantes et immuables dislocations

Nouvelle, francophone, Jean Burgos, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreJean Burgos, Anamorphoses, Éditions Calliopées, 2012

Jean Burgos, spécialiste de l’imaginaire en littérature, aurait pu se contenter (si l'on peut dire) de ses brillantes publications universitaires. Avec ce recueil, il va au-delà, puisque c’est sa propre imagination qu’il sollicite, laissant de côté sans les renier les éléments théoriques qu’il a développés dans ses recherches.  

Anamorphose : « Transformation, par un procédé optique ou géométrique, d’un objet que l’on rend méconnaissable, mais dont la figure initiale est restituée par un miroir courbe ou par un examen hors du plan de la transformation. – Image résultant d’une telle transformation. » (Dictionnaire Le Robert). Les mondes que l’auteur donne à explorer sont peuplés d’êtres mouvants dont les transformations et les dislocations, effrayantes ou pitoyables, détestables ou déroutantes, ne peuvent laisser indifférent, puisqu’elles concernent l’homme dans sa propre apparence et dans sa propre chair, ainsi que le monde grouillant et bestial qui peuple la réalité invisible. Une réalité qui tient du rêve, de l’hallucination, du cauchemar, mais aussi de la création universelle et de la vie quotidienne, qui projettent leurs ombres et leurs reflets déformés sur la perception qu’en a le genre humain.

La pénétration dans ces mondes, au cours des sept nouvelles du recueil, ne peut se faire qu’en suivant avec de perverses délices et une fidélité à toute épreuve les méandres d’une prose savamment élaborée, parsemée de termes rares et d’images insolites, une prose qui suit elle-même l’itinéraire labyrinthique que lui imposent des destins inattendus, inoubliables et définitifs. Cela dit, le grouillement descriptif, le fourmillement narratif et les surprises qu’ils ménagent n’occultent pas la sagesse résignée : « On n’a plus rien à espérer. On n’a plus de prestige à sauver ni de mode à défendre, plus de rang à tenir, plus de rôle à remplir ni de pudeur à vaincre ; on n’a plus rien à comparer et les saisons pourront se suivre. Le temps est là, il faut l’user, il faut danser la même danse pour ne plus jamais s’arrêter : ce sont partout mêmes visages qui n’ont plus de morts à masquer ».

Jean-Pierre Longre

www.calliopees.com

09/07/2012

Jeunesse et affirmation d’un genre

Revue, Nouvelle, Roumanie, Fanny Chartres, Brèves, Atelier du Gué, Jean-Pierre LongreBrèves n° 99, Nouvelles de Roumanie, 2012

« Anthologie permanente de la nouvelle ». Tel est le sous-titre de la revue Brèves, qui depuis ses débuts répond fidèlement à cette forme d’engagement : publier des textes littéraires courts. Le n° 99 n’y déroge pas : des textes, uniquement des textes (narratifs et brefs, bien sûr), consacrés ici à une littérature en pleine expansion, qui n’a pas fini de faire parler d’elle : la littérature roumaine.

Fanny Chartres, qui a traduit et qui présente ces nouvelles, signale au passage que la Roumanie « est le pays de l’ambivalence, des extrêmes, des passions, de l’endurance ». La vie culturelle du pays et de sa capitale est foisonnante, et la publication de ces nouvelles est une heureuse initiative, mettant en avant un genre qui n’ y a pas un passé aussi riche qu’en France, par exemple, mais qui se constitue et s’affirme durablement à notre époque. Le critique Marius Chivu rappelle d’ailleurs, dans un entretien initial, que « la moyenne d’âge des écrivains actifs a beaucoup baissé ces dernières années » ; il paraît donc normal que les formes et les genres se renouvellent, même si le roman et, surtout, la poésie restent les fondements de la création.

Dix textes, dix écrivains dont certains bénéficient déjà d’une notoriété nationale et internationale, tels Gabriela Adameşteanu et Mircea Nedelciu, qui ouvrent et ferment le recueil. Des découvertes, aussi, qui donnent une idée de la richesse et de la diversité des tons et des styles, mais aussi des points communs : l’art du raccourci et de la condensation, le goût des déplacements (on voyage beaucoup, dans l’espace et dans le temps, de différentes manières : en imagination ou par quelque moyen de transport bien réel), la force des sentiments et des émotions, l’humour… Et les photographies d’Ileana Partenie donnent de Bucarest, en particulier, une vision à la fois personnelle et en adéquation avec les points de vue suggérés par l’écriture.

On met souvent en avant, à juste titre, les relations privilégiées qu’entretiennent depuis longtemps les cultures roumaine et française ; il est aussi important de prendre en compte ce que la Roumanie apporte de nouveau, dans ce domaine, à la culture européenne. Ce volume en donne des échantillons de choix. 

Jean-Pierre Longre

http://www.atelierdugue.com

15/06/2012

Roi de la satire

INouvelle, récit, essai, Roumanie, Ion Luca Caragiale, éditions Héros-Limite, Jean-Pierre Longreon Luca Caragiale, L’effroyable suicide de la rue de la Fidélité, éditions Héros-Limite, 2012

Ion Luca Caragiale (1852-1912), le plus fameux des dramaturges roumains, est souvent comparé à Gogol ou à Courteline. On pourrait dire aussi, en changeant d’époques, qu’il y a chez lui du Molière (pour la verve comique) et du Voltaire (pour l’ironie mordante). Tout compte fait, Caragiale est incomparable, car les rapprochements sont dépassés à la fois par l’écriture personnelle de l’auteur et par les particularités de l’âme roumaine.

Il est en général question de l’œuvre théâtrale, avec des pièces comme Monsieur Leonida aux prises avec la réaction ou Une lettre perdue*. On évoque moins souvent les textes narratifs – nouvelles, récits ou « moments » – dont ce volume exhume un choix judicieux. Caragiale y apparaît comme le roi de la satire qu’il est dans toute son œuvre : satire de la société, des relations familiales, amoureuses et amicales, de la bureaucratie administrative, des manœuvres politiques, de la corruption des élites, du nationalisme xénophobe, de la délation, de l’hypocrisie… Nul n’est épargné, si ce n’est le petit peuple des victimes et des paysans besogneux. D’ailleurs les prises de position de l’auteur (que développent et précisent bien les pages intitulées « 1907, du printemps à l’automne » reproduites en fin de volume) l’ont conduit à l’exil : il passa les huit dernières années de sa vie à Berlin.

Textes engagés, donc ; textes circonstanciels, certes, puisque l’esprit roumain (un mélange d’humour et d’humeur, de simplicité et d’ostentation) imprègne ces pages ; textes universels, aussi, écrits par un moraliste qui met en avant les défauts inhérents à la nature humaine et à la vie en groupe. Surtout, textes comiques, d’une drôlerie qui résulte de tout ce qui précède, de l’expérience et de l’imagination d’un homme qui invente à partir de la vie, et de la plume particulièrement acérée d’un écrivain qui a le génie de la mise en scène (théâtrale ou narrative, c’est tout un). « Le monde ne change jamais que de forme », écrit-il dans « Scribes et bouffons ». Il faut lire L’effroyable suicide de la rue de la Fidélité (titre emprunté à celui de l’une des nouvelles du recueil), pour rire de bon cœur, et pour méditer sur les vices d’une société humaine qui, effectivement, ne change qu’en apparence.

Jean-Pierre Longre

*Les Œuvres de Caragiale, traduites en français sous la direction de Simone Roland et Valentin Lipatti et comprenant les pièces, les récits et les articles, ont été publiées aux éditions Méridiens (Bucarest, 1962). Plus récemment, le Théâtre, traduit par Paola Benz-Fauci, est paru en 2002 aux éditions de l’UNESCO. Eugène Ionesco est aussi l’auteur d’adaptations françaises de plusieurs textes (L’Arche, 1994, Fata Morgana, 1998). 

www.heros-limite.com  

09/04/2012

L’art de l’illusionniste

Nouvelle, francophone, Jean-Marie Blas de Roblès, Zulma, Jean-Pierre LongreJean-Marie Blas de Roblès, La mémoire de riz, Zulma, 2011

Prix de la Nouvelle de l'Académie Française 1982

L’illusionniste est la première des dix-huit nouvelles qui composent La mémoire de riz. Il est vrai que l’illusion, sous ses formes les plus achevées, mène le recueil : la construction des récits, le mystère qui plane sur leur dénouement même, les différentes visions du réel comme autant d’angles de prise de vue aboutissant au fantastique, tout cela réussit à perdre le lecteur à travers un labyrinthe de significations dans lequel il doit s’enfoncer pour tenter de résoudre les énigmes.

On oublie vite le caractère un peu fabriqué de certains de ces textes pour se laisser prendre à leurs toiles. Chaque page pourrait être une case de « L’échiquier de Saint-Louis » ou un des grains de riz à agencer avec les autres pour garder la mémoire de récits multiples (le titre du recueil est celui de la quatrième nouvelle). Jean-Marie Blas de Roblès (prix Médicis 2008 pour Là où les tigres sont chez eux, Zulma) prolonge et enrichit la tradition du genre : les personnages qui devisent confortablement et se lancent dans des récits au milieu desquels s’enchâssent d’autres récits nous font remonter à Boccace et à Marguerite de Navarre ; mais les visions fantastiques, nées d’une réalité soutenue par des descriptions souvent riches et baroques, de portraits bizarres et quotidiens, nous mènent à l’atmosphère des contes de Buzzati, Borgès, Garcia Marquez ou Cortazar… Tradition encore (la grande, celle qui fait la vraie littérature) dans les thèmes favoris de l’auteur : La Méditerranée, avec son Orient de rêve, sa sensualité, son merveilleux mythologique et psychologique ; l’amour et la mort, qui se combinent diaboliquement avec la peinture et la musique ; et parfois, rançon de sa formation, un petit bout de philosophie qui échappe à l’auteur au coin d’une phrase.

C’est porté par cette force, soutenue par elle, que l’auteur trouve son originalité : latine, orientale, méditerranéenne, sa prose a la logique sereine des belles architectures, la sensualité lourde des parfums entêtants, la complexité obscure des fonds sous-marins, la violence convulsive des passions mortelles. Mélange prometteur et séduisant, opérant la jonction entre rêve et réalité dans une vérité qui doit une bonne part d’elle-même à l’art de l’illusionniste.

Jean-Pierre Longre

www.zulma.fr    

www.blasderobles.com

Trente ans ! Cette chronique a paru pour la première fois dans la revue Brèves n° 6 (juin 1982), à l’occasion de la publication de La mémoire de riz aux éditions du Seuil. Quelques petits remaniements l’actualisent.

Jean-Marie Blas de Roblès, sera le jeudi 26 avril à 19h à la Librairie du Tramway (Lyon) pour parler de La Mémoire de riz. Cette rencontre sera enrichie par la présence du comédien professionnel Christian Taponard qui lira à voix haute des extraits choisis de ces nouvelles.

 

16/03/2012

L’animal humain

Nouvelle, illustration, francophone, Serge Scotto, Les éditions du littéraire, Jean-Pierre LongreSerge Scotto, Qui veut tuer Astrid la truie ?, Les éditions du littéraire, 2011

Drôles de personnages que ceux qui circulent dans les nouvelles de Serge Scotto : une truie qui, délaissant la ferme d’origine, décide de monter à Paris (comme on le dit des  ambitieux) pour y mener une vie que, finalement, elle ne pourra pas maîtriser ; une girafe inspecteur des impôts qui n’apprendra ce qu’est l’indulgence que par le truchement d’un passage au purgatoire…

Des animaux très humains – ou du moins représentatifs de certaines catégories d’humains, tel aussi ce jeune homme si démonstratif de son malheur que les autres le feront roi, voire tyran sanguinaire comme par inadvertance… Mais le plus réussi des quatre textes met en scène une statue de Jeanne d’Arc qui, prenant vie comme la Vénus d’Ille, s’emploiera, beaucoup plus violemment que cette dernière, à passer au fil de son épée tout ce qu’elle rencontrera de vivant.

Récits aux allures de fables socio-morales, ces « quatre nouvelles qui font une satire » tiennent un peu de Marcel Aymé, et aussi de la bande dessinée (y compris les quelques coquilles et négligences orthographiques qui parfois caractérisent le genre…). C’est alerte, étrange, vivifiant, et les aquarelles de l’auteur donnent au volume une coloration de bon aloi.

Jean-Pierre Longre

www.leseditionsdulitteraire.com   

http://chiensaucisse.over-blog.com  

29/10/2011

Les révélations de la musique

nouvelle,anglophone,kasuo ishiguro,anne rabinovitch,Éditions des 2 terres,jean-pierre longreKazuo Ishiguro, Nocturnes. Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch, Éditions des 2 terres, 2010, rééd. Folio, 2011

De même que la belle interprétation d’un morceau donne envie de le réécouter, de même la lecture des « Cinq nouvelles de musique au crépuscule » de Kazuo Ishiguro (auteur, entre autres, des Vestiges du jour) invite à la relecture. Car dans chaque récit, le thème principal est soutenu par des thèmes secondaires, contrepoints et basses continues, qui lui donnent une profondeur harmonique inépuisable.

Le « crooner » vieillissant, idole d’un jeune guitariste, ne peut prouver son amour à sa femme qu’en l’amenant à Venise pour une ultime sérénade. L’ami de jeunesse, amateur de jazz, resté à près de cinquante ans une sorte d’adolescent que l’on prend en pitié, sera-t-il d’un quelconque secours pour Emily et son mari ? Que vient faire cet étrange couple de voyageurs suisses allemands dans les douces collines de Malvern, sous le regard étonné d’un jeune auteur-compositeur-interprète ? Il faut ensuite assister aux folles expéditions nocturnes, dans un hôtel de luxe, d’un jeune saxophoniste en mal de notoriété et d’une vedette de la télévision, tous deux la tête enfouie sous des bandages après une opération de chirurgie esthétique. Enfin, retour en Italie pour une série de tête à tête entre un violoncelliste plein de « potentialités » et une « virtuose » à l’attitude bizarre…

nocturnes_1273743065.jpgLa musique est partout, susceptible de révéler les sentiments, les émotions et les secrets que tout être humain cache au fond de lui, les questions qu’il se pose, les rêves qu’il voudrait réaliser. Et l’écriture est telle, dans son apparente simplicité, dans la sobriété des moyens utilisés, dans les changements de tempo, dans les mystères qu’elle recèle, dans l’humour des situations et des gestes, que le lecteur se prend d’affection pour les personnages – témoins ou acteurs –, devinant plus ou moins spontanément que, sous des aspects très divers, chacun d’entre eux lui ressemble, en toute humanité.

Jean-Pierre Longre

www.les-deux-terres.com

www.folio-lesite.fr

- 2 mars 2011 : Sortie du film Never let me go d’après le roman de Kazuo Ishiguro.
- Nocturnes fait partie de la sélection par le magazine Lire des « 20 meilleurs livres de l’année ».

25/10/2011

Chaos bien ordonné

Nouvelle, francophone, Patrick Ledent, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongrePatrick Ledent, À vos caddies !, Éditions Calliopées, 2011

Dans son précédent recueil (Joli coup), Patrick Ledent avait révélé un vrai talent de conteur. Voilà qui se confirme sans conteste dans À vos caddies !. Et le mot « recueil » n’est pas anodin : les vingt nouvelles, encadrées par des « Prolégomènes » et un « Envoi », bouclent un itinéraire plein de surprises, qui mène le lecteur d’une envolée satirique (le monde de la consommation) à l’autre (le monde du travail), d’un cimetière au même cimetière, à Nice où sévissent des vampires très humains. La vie, mort comprise…

Les surprises ? Elles sont multiples et variées : un drôle de restaurant où se cache une drôle de lolita, l’étrange rencontre d’une tulipe et d’un enfant, les illusions d’un tueur en série, les découragements d’un employé de bureau, les ruses d’une élégante de casino… des accidents bizarres, des hasards suspects, des rencontres inattendues…

Pour réaliste que soit le monde dans lequel évoluent les personnages et surgissent les événements, le lecteur se laisse volontiers transporter vers l’imprévu, et la verve de l’auteur y est pour beaucoup. Car le suspense s’assortit d’une écriture alerte, d’une prose séduisante où se profilent parfois quelques silhouettes familières, telle celle de Queneau qui passe comme une discrète figure tutélaire. On se laisse mener avec délices par le bout du nez pour s’évader à loisir, poussant devant soi une provision de références rassurantes et d’inventions délicieuses, dans un chaos bien ordonné. « Mais c’est dur, le chaos. Alors, pardon, je compense. Je mets de l’ordre, me réinvente, vous réinvente. Invente tout court, puisqu’on est frères. Des petites histoires. Je fais comme tout le monde, je fais comme vous : je creuse. Une évasion, ça commence par là ».

Jean-Pierre Longre

www.calliopees.fr  

31/08/2011

The Black Herald n°2 arrive

Black Herald.jpgLiterary magazine –Revue de littérature

The Black Herald  issue #2 – September 2011 - Septembre 2011
162 pages - 13.90 € – ISBN 978-2-919582-03-7

Poetry, short fiction, prose, essays, translations.
Poésie, fiction courte, prose, essais, traductions.

With / avec W.S Graham, Danielle Winterton, Dumitru Tsepeneag, Clayton Eshleman, Pierre Cendors, Onno Kosters, Alistair Noon, Anne-Sylvie Salzman, Róbert Gál, Andrew Fentham, Hart Crane, Delphine Grass, Jacques Sicard, Iain Britton, Jos Roy, Michael Lee Rattigan, Georges Perros, Laurence Werner David, John Taylor, Sudeep Sen, César Vallejo, Cécile Lombard, Michaela Freeman, Gary J. Shipley, Lisa Thatcher, Dimíter Ánguelov, Robert McGowan, Jean-Baptiste Monat, Khun San, André Rougier, Rosemary Lloyd, Hugh Rayment-Pickard, Sherry Macdonald, Will Stone, Patrick Camiller, Paul Stubbs, Blandine Longre. and essays about / et des essais sur Arthur Rimbaud, Tristan Corbière, Jacques Derrida. Images : Romain Verger, Jean-François Mariotti. Design: Sandrine Duvillier.

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Comité de rédaction : Paul Stubbs et Blandine Longre

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Co-edited by Blandine Longre and Paul Stubbs, the magazine’s only aim is to publish original world writers, not necessarily linked in any way by ‘theme’ or ‘style’. Writing that we deem can withstand the test of time and might resist popularization – the dangers of instant literature for instant consumption. Writing that seems capable of escaping the vacuum of the epoch. Where the rupture of alternative mindscapes and nationalities exists, so too will The Black Herald.

L’objectif premier de la revue, coéditée par Blandine Longre et Paul Stubbs, est de publier des textes originaux d’auteurs du monde entier, sans qu’un « thème » ou un « style » les unissent nécessairement. Des textes et des écritures capables, selon nous, de résister à l’épreuve du temps, à la vulgarisation et aux dangers d’une littérature écrite et lue comme un produit de consommation immédiate. Des textes et des écritures refusant de composer avec la vacuité de l’époque, quelle qu’elle soit. Éclatement des codes, des frontières nationales et textuelles, exploration de paysages mentaux en rupture avec le temps : c’est sur ces failles que l’on trouvera le Black Herald.

“Black Herald Press is an outstanding new imprint – physically and stylistically their books are a delight.” — Paul Sutton, Stride magazine, 10/2010.

« La ligne éditoriale de la revue s’attache avant tout à établir un horizon élargi et diversifié de genres, de langues et de styles. Aucun thème ni mouvement commun, simplement (et c’est là que se trouve tout le sel de ces pages) l’articulation d’hémisphères, quelques terres inconnues reliées les unes aux autres pour que le style, justement, de la revue, ce soit ce point de convergence des textes entre eux. » – Guillaume Vissac, 04/2011

“Its publication feels like an event, in terms of quality and scope (it’s bi-lingual and has its sights, like Blast long before it, on the more visionary and European aspects of poetry).” – Darran Anderson, 02/2011

« Aux commandes de ce navire de pirates, Paul Stubbs et Blandine Longre, dont on avait déjà loué ici la sauvage poésie d’expression anglaise. Tous deux ont eu l’audace d’offrir à leurs contributeurs cette étrange arène où la langue, par le système d’échos qu’ils ont construit, ne peut être que remise en cause. Lecture jamais confortable, jamais contentée, donc, que celle du Black Herald, où chaque page, chaque texte, dans sa version originale et / ou dans sa traduction est source d’inquiétude. On attend avec une impatience certaine la deuxième livraison (automne 2011, nous dit-on) de ce super-héraut. » – Le Visage Vert, 01/2011

 

23/04/2011

« Tout n’est pas perdu »

Nouvelle, francophone, Anthelme Bonnard, Pierre Autin-Grenier, Finitude, Jean-Pierre LongrePierre Autin-Grenier, C’est tous les jours comme ça, Finitude, 2010. Grand prix de l'humour noir 2011

Le temps, laissé à lui-même, s’écoule à son propre rythme, parfois plus lentement que prévu, ce qui permet à Anthelme Bonnard, observateur familier, étonné, révolté de la vie quotidienne, de se dire : « Je continuerai donc à étourdir mes vieux jours à la fabrication de ma dentelle à la main […] pour la beauté du geste, aussi pour m’occuper l’esprit et tenter de me soustraire, autant que faire se peut, à la turbulente inquiétude du lendemain ». Et cela pour « une petite poignée de fidèles ».

Soyons heureux d’en faire partie, tels les « happy few » de Stendhal ! Et ainsi de pouvoir lire C’est tous les jours comme ça, un livre plein de petites chroniques comme il y en a dans Une histoire (Je ne suis pas un héros, Toute une vie bien ratée, L’éternité est inutile), trilogie parue entre 1996 et 2002 chez Gallimard (L’Arpenteur) – faut-il le rappeler ? Les brefs récits de Pierre Autin-Grenier (ou Anthelme Bonnard), donc, se situent dans la continuité, mais tout est relatif : le ton est parfois plus acerbe, le contexte souvent plus mouvementé, l’engagement plus marqué. Le décor est un beau pastel de la vie quotidienne locale (lyonnaise, en l’occurrence), entre Croix-Rousse et Guillotière, une vie de voisinage, où les bistrots et les petits commerces sont des repères familiers, une vie de solitude où, parfois, il ne se passe rien d’exceptionnel… Mais une vie sans cesse menacée par les excès de la répression policière, par les soupçons pesants dignes de la Stasi ou de la Securitate, par la violence qu’engendre une situation politique portant, tapis au fond d’elle, les signes de la dictature et du totalitarisme.

Nous assistons, dans ce qu’il faut tout de même appeler des fictions, à un incessant combat entre la tranquille vie de quartier et la brutalité de la société, entre la chaleur des relations humaines et l’aveuglement glacial des institutions nationales. Cela nous vaut des fables morales et sociales, des relations sanglantes et des versions fantastiques de faits divers, des passages kafkaïens, des pages épiques (comme celle qui décrit un pauvre cortège funèbre devenant « considérable rassemblement » et presque « grand chambardement »).

Ce pourrait être noir, déprimant, désespérant… Ce serait sans compter avec l’écriture jubilatoire de Pierre Autin-Grenier, son goût pour l’humour bien entendu, son art de la phrase ciselée, son sens du mot juste et de l’image marquante, la musique de sa prose. Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer que les deux derniers textes s’intitulent respectivement « Jazzman » et « Musique ». Tant que l’on peut encore écrire, lire, jouer, chanter, écouter, savourer, il y a de l’espoir. « Tout n’est donc pas perdu, je me dis, et d’une certaine façon, avec cette envolée de notes dans la rue, c’est le combat vers la légèreté et la lumière qui continue ».

Jean-Pierre Longre

www.finitude.fr  

14/04/2011

Cachée derrière…

Cordou.jpgPierre Autin-Grenier, Elodie Cordou, la disparition, « vu par Ronan Barrot », les éditions du Chemin de fer, 2010

« Elodie Cordou, outre qu’elle était parmi nous d’une éblouissante beauté, la légèreté faite plume, je l’ai déjà dit, faisait toujours preuve d’une agilité d’esprit très rare qui témoignait d’une intelligence lumineuse que ne risquait jamais d’effleurer le superficiel ». Elle a toujours détesté se faire prendre en photo, et d’une manière générale redoutait les « photographistes », leur préférant les peintres dérangeants, « briseurs d’ordre établi », tel celui qui vivait dans le village du Limousin où elle donna son dernier rendez-vous au narrateur.

Car, comme le titre et la première page du récit l’annoncent d’emblée, personne ne peut dire où se cache Elodie Cordou, ni même « attester sa présence au monde ». Ce monde de la finance et du pouvoir, incarné par son frère Jean-Maximilien, héritier de l’affaire familiale, ce monde du négoce et de la rentabilité aux yeux duquel tous ceux (dont Elodie Cordou) qui n’entrent pas dans le moule sont atteints de « déséquilibre mental », ce monde, donc, elle l’a fui pour on ne sait où, on ne sait quoi.

Elodie Cordou, alliance complexe de la douceur musicale (son prénom) et de la dureté du cuir (son nom), est éprise d’indépendance, mais sa révolte lucide exclut la violence. D’où sa disparition, ultime manifestation du refus. On aurait pourtant bien voulu la connaître en chair et en os, voir si elle est bien telle que l’évoquent les pages poétiques et litaniques, graves ou légères de Pierre Autin-Grenier, telle que nous la montrent les peintures vives et sombres, statiques ou mouvementées de Ronan Barrot – un peu ce qu’on peut voir, à l’occasion, sur les toiles du peintre d’Eymoutiers dont il est question au détour du chemin. Mais à y bien réfléchir, on ne peut la connaître que par la représentation littéraire et graphique, en retrait du réel, cachée derrière.

La combinaison du texte et de l’image illustre parfaitement, aux antipodes du figé mécanique de la photographie et des clichés de l’écriture à la mode, la profondeur de la liberté humaine et les mystères de l’art salvateur.

Jean-Pierre Longre

www.chemindefer.org

Un petit rappel…

 

Pierre Autin-Grenier, Là-haut, « vu par Ronan Barrot », les éditions du Chemin de fer, 2005.

 

Au sommet de la colline, la « baraque bleue », où vient de mourir une vieille femme qui y demeurait recluse depuis on ne sait quand, recèle des mystères insoupçonnés. Les hommes robustes chargés de la vider, à mesure de leur exploration, découvrent des secrets à frémir : des boîtes aux étranges contenus, un portrait qui nous fait remonter à des origines familiales porteuses de malédiction et de mort, et encore… laissons au texte le soin de ses effets. Les illustrations de Ronan Barrot, à grands traits sombres suggestifs et énigmatiques, s’adaptent précisément aux pages de cette nouvelle qui nous plonge dans les profondeurs lugubres du temps.

 

J.-P. L., novembre 2005

  

…et sur l’auteur : http://remue.net/cont/autingrenier1.html

23/02/2011

Émotions à demi traits

Coeurs suspendus.jpgMyriam Gallot, Les cœurs suspendus, dessins de Jean-Philippe Bretin, Éditions Noviny44, 2010

Qu’ont-ils d’exceptionnel, les personnages qui parcourent les quinze récits de Myriam Gallot ? Au premier abord, pas grand-chose : trois copines courant les lotos de village, des agriculteurs en faillite, un jeune chauffard emprisonné, un clochard embauché comme Père Noël, un vendeur ambulant, une jeune femme en quête de logement, un professeur de maths en rupture, un conducteur de limousine… Des gens ordinaires, de condition plutôt modeste – mis à part l’épouse d’un homme d’État avide de pouvoir et de richesse et un chien de luxe… En vérité, tous, y compris la femme privilégiée, ont en commun la solitude, une solitude qu’ils contiennent en eux-mêmes ou que le monde et les aléas de la vie leur imposent.

Les petits et grands malheurs, communs et particuliers, se dévoilent sans pathos, avec tendresse et cruauté, dans un entre-deux qui attache intimement le lecteur aux personnages. Ceux-ci représentent la collectivité humaine, saisie ici et maintenant, et chacun d’entre eux est un être saisi dans son individualité, sa spécificité.

La prose est moderne, composée de mots et d’expressions d’aujourd’hui, de la parole même des protagonistes, et sa tournure précise, incisive, laisse toutefois de la marge pour un je-ne-sais-quoi d’évanescent qui laisse planer un mystère sur les émotions, les événements, les caractères, les destinées. La société n’est pas épargnée, la satire affleure, le cynisme se laisse deviner ; mais il y a toujours une sorte de pudeur, un délicat suspens des sentiments (voir le titre) qui n’empêchent pas l’exploration des profondeurs plus ou moins secrètes de l’âme humaine, chacune à sa mesure. Une exploration sans limites, puisque les dénouements, chute ou absence de chute, ne sont jamais des fins.

La réussite d’une nouvelle tient à l’art de l’unité, de la concision et de la mise en situation, une situation qui, relevant du réel (social, actuel, quotidien), passe par le tamis de la fiction. Les cœurs suspendus est, en l’occurrence, un vrai et beau recueil de nouvelles. Le style, l’esthétique littéraire y servent le social et l’humain, et inversement, selon le point de vue que l’on adopte. Ajoutons que les dessins de Jean-Philippe Bretin, noir et blanc ou couleurs vives, accompagnent les récits, en se gardant de les illustrer directement, de leurs éclats, de leurs méandres, de leurs taches, de leurs formes suggérées. Comme dans le texte, suggestions à demi traits dont le lecteur peut prolonger les effets à sa guise.

Jean-Pierre Longre

www.noviny44.com

http://lemeilleurdesmondes.blogs.courrierinternational.com

03/01/2011

Champions de la forme fixe

Unmetierdhomme.jpgOuLiPo, C’est un métier d’homme, Mille et une nuits, 2010

La contrainte et l’invention font bon ménage. C’est ce que, depuis cinquante ans, l’Oulipo vérifie et met en pratique, selon l’une de ses options, « la tendance analytique [qui] travaille sur les œuvres du passé pour y rechercher des possibilités qui dépassent souvent ce que les auteurs avaient soupçonné » (François Le Lionnais, « La Lipo (Le premier Manifeste) »). 

Dans C’est un métier d’homme, l’œuvre du passé (tout est relatif…) est « Autoportrait du descendeur », texte liminaire du recueil Les athlètes dans leur tête de Paul Fournel. Cet autoportrait est celui d’un skieur qui se voit en champion médaillé d’or, bourreau de travail, toujours à l’entraînement, soignant le moindre détail, mais prévoyant aussi la faute infime qui lui apportera « le seul moment de vrai repos ». Cette nouvelle en contient une autre (sinon plusieurs) en filigrane : le descendeur est aussi le nouvelliste, aussi soigneux dans son labeur, aussi soucieux de sa tâche que le descendeur.

Sur ce modèle, Hervé Le Tellier a composé un « autoportrait du séducteur », qui s’adonne à son activité avec autant de scrupules et de méticulosité que le descendeur ; puis d’autres ont emprunté le moule pour y couler leur prose et sculpter leurs « autoportraits d’hommes et de femmes au repos » : outre les deux premiers, Jacques Jouet, Frédéric Forte, Michelle Grangaud, Marcel Bénabou, Ian Monk, Michèle Audin, Daniel Levin Becker, Olivier Salon, tous Oulipiens, créent ainsi une nouvelle forme fixe et une possibilité de variations à l’infini, dont ces prototypes ont tout pour plaire, pour faire réfléchir, voire pour faire peur de la chute finale. Les métiers (puisqu’il faut les appeler ainsi) les plus divers sont ici présentés en situation, aussi bien le ressusciteur que le tyran, la fourmilière que la toupie, le philosophe télévisuel que le Président, le buveur que la femme en quiétude… j’en passe. Preuve est faite que la contrainte est source d’ouverture, la forme fixe de trouvailles, la matrice immuable des tonalités les plus variées, parmi lesquelles l’humour et la satire ne sont pas les plus rares, mais sont à prendre au sérieux.

L’un des avantages de ce genre de publication, c’est que chaque lecteur sent poindre en lui des potentialités littéraires que sans cela il aurait gardées enfouies au plus profond de son cerveau. Certes, pour devenir réalité, une potentialité doit faire l’objet, comme ici, de la plus extrême attention, de la préparation la plus pointilleuse, de la volonté la plus acharnée, de la « concentration » la plus « totale ». Un vrai travail de chroniqueur littéraire.

Jean-Pierre Longre

www.1001nuits.com

 

www.oulipo.net  

 

et pour lire çà et là quelques notes éparses, quelques chroniques en pointillés qui ont quelque chose à voir avec l’Ouvroir de Littérature Potentielle, voir :

http://jplongre.hautetfort.com/archives/tag/oulipo.html

29/11/2010

Pour la nouvelle, toujours

Brèves 93.jpgRevue Brèves n° 93, « Vue imprenable sur Pascal Garnier », 2010

Voici ce qu’il y a quelques années j’écrivais dans Sitartmag à propos de la revue Brèves :

 

Combien de revues littéraires les vingt dernières années ont-elles vu naître pour rapidement disparaître ? Combien de publications sur la nouvelle, genre qui, paradoxalement, se « vend(ait) mal » mais envahi(ssai)t les pages ouvertes aux jeunes auteurs et fai(sai)t l’objet de multiples concours, dans des circuits parallèles à ceux des grandes maisons d’édition ?

 

Brèves, en toutes circonstances, maintient son cap obstiné. À l’Atelier du Gué, dans l’Aude, crue ou sécheresse, tempête ou calme plat, on a l’esprit de suite, on traverse coûte que coûte, et c’est tant mieux. Daniel et Martine Delort savent où ils vont. Ils ont su composer avec le temps, avec les modes, avec les obstacles techniques, administratifs et financiers (sûrement), humains (peut-être), sans faire de concessions aux lois du commerce. Et tout en ayant vocation à éditer des livres, ils continuent depuis 60 numéros à publier leur revue, qui mêle en toute harmonie dossiers et entretiens littéraires, auteurs consacrés ou inconnus, textes inédits, notes critiques, recensions et informations.

 

Voilà sans doute la publication la plus complète, la plus sérieuse et la moins prétentieuse de la famille. Courant le risque de la nouveauté (donc de l’erreur) mais demeurant dans les strictes limites du texte narratif court, elle a fait beaucoup pour la réhabilitation d’un genre qui, naguère boudé par le monde littéraire, retrouve depuis peu ses lettres de noblesse. Beaucoup plus en tout cas que les éditoriaux désolés des grands organes. Sans effets médiatiques, sans éclats démagogiques, Brèves nous donne à lire des écrivains souvent mal connus et qui gagnent à l’être mieux, des textes venus d’ailleurs ou de tout près, en langue française ou traduits, nous renseigne sur l’essentiel de la production actuelle ; et nous montre ainsi que la nouvelle, genre à part entière qui porte en germe ou en concentré les qualités essentielles de l’art littéraire, ne peut se faire connaître que par elle-même.

Que demander de plus ? Peut-être que, arrivée au bel âge d’une séduisante jeunesse, la revue Brèves se fasse encore mieux apprécier du grand public. Nous tentons d’y contribuer.

 

Rien n’a changé, à un chiffre près. Les obstacles sont toujours là, le cap est maintenu, et Brèves en est à son numéro 93… Un numéro consacré tout entier à une « vue imprenable » sur Pascal Garnier, qui a quitté ce monde en mars 2010, laissant une œuvre noire et grise, sombre et lumineuse, inquiétante et roborative. Hubert Haddad, qui a imaginé et coordonné ce numéro, parle avec justesse d’un écrivain « qui marque la littérature française par sa langue retenue autant que retorse, rétive aux enfumages lyriques et cependant portée par une surprenante pyrotechnie d’images en noir et blanc ».

 

Ce volume donne un portrait dense et varié de l’écrivain : après quelques-unes de ses nouvelles, de nombreux souvenirs littéraires, qui ne sont pas des hommages conventionnels, mais de vrais témoignages d’amitié. Pascal Garnier n’est plus, son œuvre demeure, et l’équipe de Brèves compose obstinément, pour le bonheur de la nouvelle et des lecteurs, son « anthologie permanente de la nouvelle ».

Jean-Pierre Longre

www.atelierdugue.com

 

Un ouvrage de Pascal Garnier

 

Chambre 12, Flammarion, 2000.

 

Il a sa petite vie bien réglée, Charles, petite vie sans bonheur et sans enthousiasme, entre son travail de veilleur de nuit, les infimes occupations quotidiennes et les apéritifs pris au Balto du coin avec quelques copains dont il écoute sans les entendre les conversations de café du commerce. Une petite vie sans fioritures et sans fantaisie, étrangère aux sensations fortes et aux grands sentiments. Il est devenu une sorte de Meursault en fin de parcours depuis qu’un jour il a frappé à la porte du malheur et qu’il a payé par la prison un sursaut de révolte contre la tromperie de l’amour.

 

Il n’est ni heureux ni malheureux, et pourtant les autres autour de lui sont bien gentils et voudraient lui faire plaisir : Arlette, la soubrette rondelette qui lui fait œil et bouche de velours, les copains du Balto qui le font gagner au Loto, Madame Tellier sa patronne, qui veut lui faire prendre des vacances. Mais il ne se sent pas concerné… Ce n’est pas ce qu’il cherche.

 

Son destin, il le trouvera en la personne mystérieuse et fascinante d’Uta, belle grande dame élégante et borgne, qui hantera son esprit et sa vie, dont il ne pourra plus se séparer et qui l’emmènera pour un seul et ultime voyage qu’il voudrait interminable. Personnage décisif qui traverse sa vie d’Est en Ouest, du levant au couchant, et dont il devient dépendant comme nous tous. Uta est celle que chacun attend sans vraiment la chercher.

 

Pascal Garnier a écrit plusieurs romans noirs. Chambre 12 est un roman gris. Cette description apparemment limpide d’un quotidien plutôt désespérant n’est dénuée ni d’humour ni d’opacité, et l’écriture, à travers l’évocation de petites vies, parvient à faire entrevoir les mystères et les abîmes de l’existence.