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27/10/2021

Détective et écrivain

Roman, francophone, Patrick Modiano, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Patrick Modiano, Encre sympathique, Gallimard, 2019, Folio, 2021

« J’avais toujours eu le goût de m’introduire dans la vie des autres, par curiosité et aussi par un besoin de mieux les comprendre et de démêler les fils embrouillés de leur vie – ce qu’ils étaient souvent incapables de faire eux-mêmes parce qu’ils vivaient leur vie de trop près alors que j’avais l’avantage d’être un simple spectateur, ou plutôt un témoin ». Cet aveu du narrateur, apprenti détective, est aussi un aveu de l'auteur ; et dans ce nouveau roman, il profite de l’intrigue pour narrer effectivement le passage de l’enquête à l’écriture.

roman,francophone,patrick modiano,gallimard,jean-pierre longreCette enquête porte sur une certaine Noëlle Lefebvre, qu’il a eu jadis consigne de retrouver à partir de quelques bribes d’informations – une carte de poste restante, une photo… Peu à peu, quelques pistes se dessinent : des noms supplémentaires, un calepin, mais aussi beaucoup de blancs qui recouvrent peut-être des explications précises, des « mystères éclaircis », comme écrits à l’encre sympathique.

Régulièrement et longtemps après, le narrateur, se souvenant de ses tâtonnements anciens, voudrait faire le point, reprendre dans l’ordre chronologique, pousser les recherches grâce aux procédés modernes. Mais ça ne marche pas. « Aujourd’hui, j’entame la soixante-troisième page de ce livre en me disant que l’Internet ne m’est d’aucun secours. […] Tant mieux, car il n’y aurait plus matière à écrire un livre. Il suffirait de recopier des phrases qui apparaissent sur un écran, sans le moindre effort d’imagination. ». Belle vérité de l’écrivain, pour lequel l’enquête est, on l’aura compris, simple matière à littérature.

C’est bien cela : chez Patrick Modiano, on suit des traces, on entend l’écho de faits divers, il y a des explorations urbaines, des voyages même (ici, on passe dans l’’espace et le temps par Paris, Annecy, Rome…). Tous les ingrédients du roman policier. Mais non : Encre sympathique révèle ce que cherche l’écriture : rompre le silence, aller au-delà des mots et des noms (il y en a une belle série au fil des pages), mieux connaître la vie et les êtres, les sortir « du néant » que sont le passé, l’éloignement et l’absence, tout en laissant leur liberté à la fuite et aux secrets : « Ne serait-il pas préférable de laisser autour de soi des terrains vagues où l’on puisse s’échapper ? ».

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr

 

25/10/2021

Souvenirs choisis

revue, autobiographie, francophone, suisse, roumanie,  le persil, marius daniel popescu, jean-pierre longreMarius Daniel Popescu, Le Persil n° 187, juin 2021

Marius Daniel Popescu, dans un élan permanent d’altruisme littéraire, ouvre habituellement les pages de son Persil à toutes sortes d’écrivains, de Suisse romande ou d’ailleurs, confirmés ou débutants, connus ou méconnus. Une fois n’est pas coutume : le numéro 187 est consacré uniquement à des textes inédits de sa propre plume. Et l’on n’est pas déçu. Dans la ligne de La symphonie du loup et de Les couleurs de l’hirondelle, mais aussi de ses Arrêts déplacés, les quatre récits d’inégale longueur qu’il nous offre ici fouillent dans les souvenirs d’un « tu » qui ne dévoile pas son identité, que l’on devine tout de même, des récits dont, la plupart du temps, l’action se déroule dans « le pays du parti unique » ou dans ce qu’il est devenu, et dont on devine aussi le nom…

revue, autobiographie, francophone, suisse, roumanie,  le persil, marius daniel popescu, jean-pierre longre« Promotion d’un pion » évoque le travail d’été d’un étudiant en sylviculture qui, pour gagner de l’argent, s’est fait engager pour trois mois au « Bureau de Tourisme pour la Jeunesse », accueillant des vacanciers venus visiter la belle ville de l’Église Noire entourée de montagnes et cherchant, pour une somme modique, à loger dans un foyer d’étudiants. Nous sommes au temps du « parti unique », des petites et grandes compromissions, de l’appauvrissement du peuple : « La crise du pays transforme les individus en marchands de corruption, les denrées alimentaires de base sont devenues monnaie d’échange et objet de favoritisme. » C’est le règne des petits chefs auxquels « tu » résiste obstinément, se voyant agir comme s’il était spectateur de lui-même : « Tu vis une sorte de pièce de théâtre dans laquelle tu as le rôle de réceptionniste d’un hôtel minable, tu t’entends parler ». Le récit se termine par une aventure désopilante aux limites du tragique, comme la Roumanie de naguère en avait le secret.

Dénouement d’un humour aussi surprenant pour le récit suivant, qui commence pourtant d’une manière dramatique, puisque le « parti unique » a décidé de détruire la maison du grand-père, qui demande à son petit-fils de l’aider à déménager ses meubles – ce qui se fera avec l’aide clandestine d’un oncle et d’un ami chauffeur : « Cet homme faisait souvent des transports illégaux, il était de mèche avec des policiers du parti unique, le pays était devenu un pays au noir. » Mais où entreposer les meubles ? C’est à ce propos que le même « tu » trouve une idée à la fois pratique, drôle et poétique, à l’occasion de Noël. Le lecteur découvrira ce garde-meubles original.

Le troisième texte, dont l’action se déroule après la chute du « parti unique », est paradoxalement le plus triste, puisqu’il relate la mort soudaine d’un ami survenue dans le « Musée d’Art de la Ville » : « Tu le connais depuis tes études universitaires en sylviculture, tu le connaissais depuis trente-six ans. Il n’a pas pu se faire opérer, dans ton pays de là-bas les médecins demandent des pots de vin pour des bricoles et pour des choses importantes ». Mais c’est l’occasion de quelques réflexions sur la mort (« La mort a une faiblesse, elle nous unit, elle est toujours embarrassée par les liens qu’elle crée entre nous »), sur l’amitié et sur la complicité rieuse – car au-delà de l’idée de la mort, le rire bien arrosé ponctue la vie et même la littérature : allusion au « persil » (plante ou journal littéraire) : « Les bières, elles étaient pour ta soif, il fallait que le persil soit arrosé régulièrement. » Malgré cela, malgré les blagues et les facéties, l’ami « est parti dans l’au-delà ».

Dans le quatrième texte, très bref, nous revenons dans « le pays d’ici », celui où vit maintenant l’auteur, avec une belle histoire de solidarité et de générosité. Et c’est une confirmation de ce qui court, en filigrane ou en clair, tout au long de la prose de Marius Daniel Popescu : la générosité, humaine et verbale (les deux vont ensemble). Les descriptions précises, le soin mis à entrer dans le détail des gestes, des objets, des relations humaines, le souci de tout dire, d’emplir la page de mots précis relèvent de l’intérêt pour les autres et du désintéressement fertile qui président aux publications – périodiques ou livresques – de l’auteur, ainsi que de l’ardeur existentielle : « La vie nous offre plein de mauvaises surprises, il faut survivre à tout, il faut toujours être capable de partir de zéro. »

Jean-Pierre Longre

www.facebook.com/journallitterairelepersil  

Le persil journal, Marius Daniel Popescu, avenue de Floréal 16, 1008 Prilly, Suisse.

Tél.  +41.21.626.18.79.

E-mail : mdpecrivain@yahoo.fr

Association des Amis du journal Le persil lepersil@hotmail.com

05/10/2021

Les affres du voisinage

Roman, francophone, Julia Deck, Les éditions de minuit, Jean-Pierre LongreLire, relire... Julia Deck, Propriété privée, Les éditions de minuit, 2019, Minuit "double", 2021

Dans l’esprit contemporain, c’est un lieu parfait : une allée bordée de huit maisons mitoyennes, quatre de chaque côté, « entièrement autonome en énergie », située dans une banlieue proche du RER et des commodités. Eva et Charles Caradec réalisent leur rêve en emménageant en toute confiance dans cet écoquartier. Ce faisant, ils mettent un doigt dans un engrenage fatal : à côté d’eux vient s’installer un couple avec bébé et gros chat rouquin, les Lecoq ; elle, Annabelle, provocante et sans-gêne ; lui, Arnaud, agent immobilier affairiste et sûr de lui – tous deux envahissants, ignorant tout scrupule, toute vergogne et toute discrétion.

Ainsi résumé, ce début pourrait inaugurer une banale histoire de voisinage comme il y en a beaucoup, tragique et risible à la fois. Mais même si Julia Deck a choisi d’utiliser le registre réaliste (à décrypter tout de même au second degré), ne passant sous silence ni le portrait de tous les résidents, ni les relations fluctuantes qu’ils entretiennent entre eux, ni les déboires qu’ils ont avec le système de chauffage collectif, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît. Charles, qui souffre de « troubles compulsifs » et voit périodiquement sa psychiatre, ne travaille pratiquement pas et reste le plus souvent replié sur lui-même. Eva, dont la narration s’adresse à son mari, est une architecte d’avant-garde qui travaille sur un projet parisien destiné à « densifier le bâti pour maximiser le rendement foncier », autrement dit à supprimer de la verdure et à chasser les habitants de leur quartier… Couple particulier, donc, qui va devoir se frotter à d’autres couples particuliers, forgés par leurs habitudes et leurs contradictions.

roman,francophone,julia deck,les éditions de minuit,jean-pierre longreTout cela se déroule d’une manière plus ou moins bancale, jusqu’au jour où l’on découvre le chat des Lecoq éventré, à la grande satisfaction de Charles, qui (on l’apprend dès les premières lignes) avait fomenté le projet de ce forfait, sans toutefois passer à l'acte. L’atmosphère devient irrespirable, et le couple Caradec pense à revendre sa maison. Annabelle, qu’on n’a pas revue depuis un certain temps, semble avoir disparu, tandis que son mari vit sa vie quasi normalement. Questions, soupçons dans l’allée, et un jour la police vient arrêter Charles, arguant de faits troublants dans son emploi du temps. Enquête, avocat, examen de coïncidences, révélations de voisins… Eva ne sait plus comment sortir son mari de ce piège et se sortir elle-même du cauchemar. « Je participais à un drame terrifiant, il altérait mes perceptions ». Et jusqu’à la fin, particulièrement explosive, nos perceptions à nous, lecteurs, s’altèrent de plus en plus. Car Propriété privée (titre manifestement ironique), récit aux fausses allures feuilletonesques et policières, tient plutôt du roman parodique dans le ton, le lexique, le style et la teneur, dénonçant les bonheurs factices et les aberrations sociales de notre époque.

Jean-Pierre Longre

www.leseditionsdeminuit.com

29/09/2021

Ambitions et illusions

Roman, francophone, Suisse, Florian Forestier, Belfond, Jean-Pierre LongreFlorian Forestier, Basculer, Belfond, 2021

Daniel Fresse a disparu dans le massif des Écrins. Mais par la magie de l’artifice romanesque et du changement de point de vue, nous savons qu’il est tombé dans une crevasse, et que du fond de cette crevasse il retrace les péripéties de sa vie de jeune énarque circulant, malgré sa soif d’aventures lointaines, entre les sphères du pouvoir politique et son intérêt pour des groupes alternatifs, sur fond de crise sanitaire. En début de carrière, il avait comme ses amis des espoirs : « Le désir d’infléchir un tant soit peu les choses et les projets de carrière se mêle en un même avenir, que leur nomination comme sous-directeurs commence à esquisser. » De l’énergie, de l’ambition, des illusions sans doute.

Florian Forestier, qui semble bien connaître ce qui se passe dans les cabinets ministériels français, chez les éminences grises, les attachés, les communicants, nous fait pénétrer avec une once d’ironie dans ce microcosme et ses arcanes. Mais il ne s’agit pas que de faire la satire des arrière-boutiques du jeu politique. Il s’agit de montrer comment le « basculement » s’opère, à l’occasion d’une pandémie et du dérèglement climatique, mais aussi à cause de l’envahissement galopant des réseaux sociaux, où se multiplient les commentaires sur le moindre événement. « Il y a ceux qui trouvent qu’on n’en fait pas assez. Ceux qui s’indignent. Et tous les De Gaulle des réseaux sociaux qui lancent leur petit appel du 18 juin. La plupart se contentent de quelques lignes. » D’autres se répandent longuement, lancent des insultes… À côté de Daniel s’agitent maints personnages, femmes et hommes dont les ambitions sont réelles, bien que diverses, et qui jouent parfois leur réputation et leur vie à tenter de les satisfaire. Vies personnelles et vies publiques s’imbriquent, se répondent, s’entrechoquent – et au-delà du foisonnement de détails sur ces vies et les illusions qui les accompagnent, nous sentons que c’est l’existence humaine qui est en jeu, comme l’existence de Daniel dans sa crevasse.

Avec ce premier roman, Florian Forestier, philosophe suisse qui travaille « sur les enjeux des transitions numérique et écologique », ne se contente pas de mettre ses connaissances au service de la fiction et de proposer un récit où se mêlent réalisme et suspense politico-écologique. Il manifeste un vrai talent littéraire, faisant voisiner l’analyse de la fébrilité sociale et médiatique avec les évocations symboliques et poétiques, urbaines ou montagnardes. « Il a coupé droit à travers les roches qui jalonnent le haut du plateau. Ainsi, il a rejoint un col creusé comme un trône de pierre entre deux falaises. Sous lui, très bas, s’étendent des collines et des bois s’abîmant vers le creux de la vallée centrale. » On bascule d’un monde à l’autre, dans le temps comme dans l’espace.

Jean-Pierre Longre

www.belfond.fr

25/09/2021

L’enfant et l’homme-oiseau

Roman, francophone, Roumanie, Sylvie Germain, Albin Michel, Jean-Pierre LongreLire, relire... Sylvie Germain, Le vent reprend ses tours, Albin Michel, 2019, Le livre de poche, 2021

Nathan, enfant inattendu, venu au monde comme un intrus, un « fantôme », a été élevé non sans soins, mais sans véritable amour, par sa mère Elda. En grandissant, il se met à fuir les autres, pris d’une sorte de bégaiement qui le laisse « bouche entrouverte, les yeux embués, l’air ahuri », et qui en fait la risée de ses congénères. Or au cours de sa dixième année, sa mère remarque que son « trouble » disparaît. « L’enfant timoré et bredouillant est même devenu plus ouvert, presque bavard et enjoué par moments, utilisant des mots insolites, des tournures biscornues ou inhabituelles, citant des vers dont elle n’était pas sûre qu’il en saisît toujours le sens. ». L’explication de cette renaissance ? Il a rencontré Gavril, « saltimbanque monté sur des échasses », débiteur de syllabes incongrues, tripatouilleur de mots et de poèmes qu’il murmure à travers une espèce de tube qu’il nomme « poèmophone », homme-orchestre, joueur d’ « olifantastique » et autres instruments étranges…

roman,francophone,roumanie,sylvie germain,albin michel,jean-pierre longreUne amitié complice naît entre eux, et alors commencent pour Nathan les « années Gavril », homme au passé tourmenté, qui a connu les dictatures, la violence, l’exil, et qui vivote de boulots précaires tout en versant du côté de la joie de vivre et de la fantaisie avec ses spectacles de rue. Sa fréquentation assidue bien qu’irrégulière a permis au garçon d’échapper « à l’ennui, à la routine, et surtout à la solitude et à l’inquiétude », et de développer son imagination, de « dynamiser ses pensées, ses rêves ».

De nombreuses années plus tard, en 2015, alors que la morne vie de Nathan ne s’est pas remise de ce qu’il croyait être la mort de son « homme-oiseau » dans un accident de moto dont il se juge responsable, il apprend que Gavril, qui était resté en vie, vient de disparaître de l’hôpital où il végétait, et qu’il est mort noyé dans la Seine. Taraudé par le remords de n’avoir rien su, à cause d’un mensonge, pense-t-il, de sa mère, il entame une longue enquête rétrospective sur son vieil ami, grâce notamment aux enregistrements effectués par l’assistante sociale qui l’avait pris sous son aile. Son ascendance mi allemande mi tsigane, sa vie en Roumanie, l’oppression, le pénitencier, la fuite en France… Et voilà Nathan parti sur les traces de Gavril dans son pays d’origine : Timişoara et les villages du Banat, Bucarest, l’ « enfer carcéral » de Jilava, le Bărăgan, le delta du Danube… Autant de découvertes qui entrent en résonance avec ce que les deux amis avaient vécu ensemble.

La mémoire des événements rapportés ou vécus libère celle des mots et de la poésie. Car c’est elle, la poésie, qui, transcendant les joies et les souffrances de la vie, est le vrai fil conducteur du roman de Sylvie Germain. Depuis le bégaiement involontaire de l’enfant jusqu’au bégaiement « volubile » du poète roumano-français Ghérasim Luca (lui aussi mort, comme son ami Paul Celan, noyé dans la Seine), depuis les désarticulations verbales que Gavril opérait sur les textes de Rimbaud, Apollinaire, Ronsard, Queneau, Prévert, Mallarmé, Hugo (on en passe) jusqu’au souvenir de Benjamin Fondane et aux vers d’Ana Blandiana, c’est, par « les voix des poètes morts », le fond véritable de la vie humaine qui passe à travers la respiration du langage, et c’est « l’espoir oublié » qui renaît.

Jean-Pierre Longre

www.albin-michel.fr

www.livredepoche.com 

20/09/2021

Fuir, désespérément

Roman, francophone, Olivier Adam, Robert Laffont, Pocket, Jean-Pierre LongreOlivier Adam, Les roches rouges, Robert Laffont, 2020, Pocket, 2021

Ils se sont rencontrés au Pôle emploi. Il y a des lieux plus exaltants pour commencer une histoire d’amour. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Leila, séduite à 14 ans par Alex, son prof de sport, chassée par ses parents, trop jeune mère d’un petit garçon, vit sous la coupe tyrannique de son compagnon devenu violent. Antoine, tout juste sorti de l’adolescence, a arrêté ses études, s’est laissé prendre par la drogue, vit au crochet de ses parents… Il y a des destinées plus heureuses pour poursuivre une histoire d’amour. C’est pourtant toujours de cela qu’il s’agit, puisque malgré leurs différences (d’âge, de tempérament, de passé, de classe sociale), Leila et Antoine, fuyant la fureur d’Alex qui a découvert leur relation, se sauvent en catastrophe avec Gabi, le fils de Leila.

Destination « Les roches rouges », à Agay, où se trouve la maison de famille d’Antoine. La mer, le soleil, le paysage méditerranéen, la tranquillité – apparemment. Mais la maison est déjà occupée par Lise, la sœur d’Antoine ; celui-ci va devoir confier à Leila le secret qui pèse sur ses épaules, qui avait causé le départ de sa sœur et qui va rendre la cohabitation difficile. De son côté, Leila cherche sa sœur disparue – autre secret familial. Le tout sur fond d’angoisse, à la pensée qu’Alex peut surgir à tout moment, car ils savent bien qu’il n’abandonnera pas la partie.

Olivier Adam sait mener une intrigue, ménager le suspense sans laisser de répit au lecteur, camper des personnages d’une grande humanité parce qu’ils ne sont pas tout d’un bloc, que chez eux l’espoir côtoie la détresse, que pour eux les promesses de l’avenir doivent composer avec les tares du passé. « Il ne sert à rien de ressasser tout ça. Les causes. Les conséquences. L’enchaînement des événements. », se dit Leila, alors qu’Antoine s’était dit : « Je sais qu’il est temps. De passer aux aveux. De payer une partie de l’addition. De purger une autre partie de ma peine. » Le procédé qui consiste à faire monologuer tour à tour, chacun selon son point de vue, les deux protagonistes, les rend d’autant plus attachants qu’on les comprend mieux ainsi. Palpitant et profond, un beau récit à deux voix.

Jean-Pierre Longre

www.lisez.com/robert-laffont/2  

www.lisez.com/pocket/15  

08/09/2021

Le poids des armes

Nouvelle, francophone, Nicolas Mathieu, Actes Sud, Babel, Jean-Pierre LongreNicolas Mathieu, Rose Royal suivi de La retraite du juge Wagner, Actes Sud / Babel, 2021

La nouvelle se distingue du roman par sa brièveté, mais pas seulement. Il y a la densité de la narration, l’unité d’action, le réalisme des personnages, la rapidité du dénouement… Les deux récits réunis dans ce volume répondent à ces critères, et la commune noirceur des sujets justifie leur voisinage, sans parler d’un protagoniste essentiel à chacune des histoires : le révolver, qui dans les deux cas joue un rôle majeur.

Rose, la cinquantaine, divorcée, des enfants qui ne se manifestent guère, a déjà beaucoup vécu et ne croit plus à l’amour. C’est d’ailleurs pour se protéger de ses pièges qu’elle garde sans cesse un révolver sur elle. Elle s’est résignée à mener une vie professionnelle sans ambitions, une vie sexuelle en pointillés, une vie sociale réduite à des fins de journées au Royal, un bistrot où elle boit et bavarde avec les habitués, dont son amie Marie-Jeanne. C’est ici qu’elle va rencontrer Luc, lui aussi désabusé, bon buveur comme elle. « Ils se contentaient de vider leurs verres et apprenaient à se connaitre. […] À force, ils avaient fini par se dire que pour eux, c’était plié, que leur tour était passé, qu’il faudrait désormais se contenter de durer, en profitant à la marge. Et ils se retrouvaient là, le regard dans le regard, preuve que non, il restait à vivre finalement. » Mais l’espoir va être de courte durée. Luc a de l’argent, Rose beaucoup moins ; il va vouloir compenser son manque de vigueur sexuelle par une sorte de chantage à la survie : « Autrefois, Luc lui faisait peur. Il lui faisait mal. Maintenant, c’était pire. Il lui faisait sentir qu’elle ne tenait qu’à un fil. Sa dépendance était telle, elle se trouvait si loin dans la servitude désormais, qu’un mot suffisait pour la renvoyer au néant. » Violence mentale, violence muette, mais violence réelle. Le couple aura beau faire des tentatives pour retrouver un semblant de bonheur (en oubliant, par exemple, le bistrot du « Royal » lors d’un séjour dans un autre « Royal », le grand hôtel d’Évian), c’est la violence ultime qui triomphera.

Quant au juge Wagner, il coule une retraite que l’on croirait paisible, mais qui ne l’est pas. Il a beaucoup jugé, condamné en conséquence – ce qui lui vaut des inimitiés, et même des menaces de mort de la part d’un clan corse qu’il n’a pas ménagé. C’est pour cette raison que lui aussi garde un révolver qui lui vaudra une rencontre avec Johann, un petit jeune un peu paumé qui s’est laissé entraîner dans quelques coups tordus. « Dans le tas, Johann surtout l’avait touché, avec son côté suiveur, cette maladresse dans le zèle, une certaine prudence aussi qui ressemblait presque à du discernement. » Une amitié complice s’instaure entre eux, avec quelques confidences et des silences, jusqu’à un dénouement brusque, sans concessions.

Ce petit livre se lit d’une traite (disons de deux), et Nicolas Mathieu, en un style délicat mais sans fioritures, mène le lecteur dans le dédale d’existences abîmées, sans se départir d’un attachement communicatif pour ses personnages, Cet attachement qu’on avait déjà décelé dans Leurs enfants après eux.

Jean-Pierre Longre

www.actes-sud.fr  

03/09/2021

Paradis cannibale

Roman, francophone, Marc Villemain, Éditions Les Pérégrines, Jean-Pierre LongreMarc Villemain, Ceci est ma chair, Éditions Les Pérégrines, 2021

Nous sommes à Marlevache, dans le duché de Michão, seul État à « avoir fait sa révolution cannibale ». C’est ainsi que ses habitants, les « Restaurés », se sont mis au ban du monde pour avoir voulu remédier au surpeuplement et au manque de nourriture – et aussi, il faut bien le dire, pour avoir pris goût à la saveur de la chair humaine : au fil des chapitres les scènes de banquets foisonnent, où se dégustent maints morceaux savoureux – steaks, saucisses, boudin, cervelle, andouillettes, brochettes etc. –, le tout accompagné des meilleures bouteilles de vin coupé d’un peu de sang, et dûment préparé dans le « complexe carnologique » (ou « vianderie ») fondé et dirigé par Valère de l’Ondine et employant « mille travailleuses travailleurs : deux cents chercheurs et ingénieurs y préparent l’avenir de la cryogénie, de la thérapophagie, de la prophylaxie de la viande et de ses modes de conditionnement, et pas moins de huit cents ouvriers et techniciens y travaillet d’arrache-pied, nuit et jour et sept jours sur sept. » Bref, tout est organisé pour que les habitants de Marlevache ne manquent pas de chair humaine, prélevée selon une règle précise : « Le deuxième enfant d’une fratrie est constitutionnellement sacrifié lorsqu’il accède à la majorité, soit le jour de ses quatorze ans, âge auquel la chair, en sus de ses qualités gustatives assez remarquables, procure les meilleurs avantages comparatifs. » Grand honneur pour le sacrifié et sa famille !

On l’aura compris, le duché assure le bonheur de ses habitants grâce à une organisation impeccable selon laquelle tout est prévu, même les cas particuliers (femmes stériles, jumeaux, tri des morceaux comestibles ou non, règles de sécurité publique, choix des « Bienheureux » candidats au « dit-don de soi » etc.). Ce qui n’empêche pas que les agapes fassent l’objet de beuveries, voire d’orgies, au cours desquelles le « Spirite » Basile de Blaise, maître religieux, tente vainement de faire entendre ses chants, tel le barde des albums d’Astérix.

Tout semble donc parfaitement huilé (comme la viande embrochée en public), lorsqu’un attentat détruit entièrement le « complexe carnologique », faisant de nombreuses victimes. Terrorisme « anticannibale » ? La population s’affole, et Loïc d’Iphigénie, le « dépariteur », est chargé de mener l’enquête sous la houlette de Gustave de Gonzague, « départiteur judiciaire », et rassurons-nous, l’enquête aboutira.

Ceci est ma chair serait donc un polar bien mené sur fond d’utopie ou de dystopie (question de point de vue) ? Oui, mais c’est bien plus que cela. Marc Villemain, dont la plume acérée, tour à tour gouailleuse et chantournée, joueuse (sur les mots) et méthodique, s’en donne à cœur joie dans différents registres : la satire socio-politique et religieuse, l’érotisme carné (voir la concupiscence ambiguë de certains mâles devant les corps féminins), la parodie (voir quelques paroles de chansons bien senties adaptées aux circonstances). Et ce faisant, il se livre, comme le firent jadis Rabelais, Diderot, Balzac et quelques autres, à une fine description des relations et des comportements humains.

Jean-Pierre Longre

www.editionslesperegrines.fr

www.marcvillemain.com  

26/08/2021

Effrayants mécanismes

Récit, Histoire, francophone, Éric Vuillard, Actes Sud, Jean-Pierre LongreLire, relire... Éric Vuillard, L’ordre du jour, Actes Sud, 2017, Babel, 2021

Prix Goncourt 2017

Il n’est pas fréquent de rencontrer dans ces pages des livres qui figurent en tête des ventes en librairies. Je ferai pourtant une exception pour le Prix Goncourt 2017, qui est lui-même une exception dans sa catégorie, puisqu’il ne s’agit pas d’un roman, mais d’un « récit », qui plus est d’un récit bref (150 pages). Mais si l’on admet que la littérature aide, entre autres, à débusquer la vérité cachée derrière les leurres, les masques, le voile des apparences, alors oui, L’ordre du jour, dans son exploration des bas-fonds de l’Histoire, est une véritable œuvre littéraire. « La vraie pensée est toujours secrète, depuis l’origine du monde. On pense par apocope, en apnée. Dessous, la vie s’écoule comme une sève, lente, souterraine. », écrit l’auteur à propos des jeunes filles qui, à Vienne en 1938, accueillirent Hitler dans l’enthousiasme : « Comment séparer la jeunesse que l’on a vécue, l’odeur de fruit, cette montée de sève à couper le souffle, d’avec l’horreur ? Je ne sais pas. ».

récit,histoire,francophone,Éric vuillard,actes sud,jean-pierre longreOn l’aura compris, il s’agit ici de l’Anschluss, de ses prémices, de ses secrets, de ses effrayants mécanismes, de ce qui ne se raconte pas habituellement. Le récit commence par la rencontre, en 1933, des grands industriels allemands, Krupp en tête, avec Goering et Hitler venus leur demander de verser leur contribution pour aider le parti nazi à conquérir définitivement le pouvoir – ce qu’ils s’empressent de faire, chacun à sa mesure. Il se termine avec les mêmes industriels qui, à la fin de la guerre, ont largement augmenté leur fortune en utilisant une main-d’œuvre des plus rentables : les déportés de Buchenwald, Auschwitz, Dachau, Dora, Mauthausen (etc.), qui littéralement mouraient à la tâche (l'auteur de ce compte rendu se sent particulièrement concerné, puisque son oncle maternel Pierre Penel, résistant, arrêté sur dénonciation à Lyon, torturé, déporté, est mort d'épuisement et de maladie au camp de Dora)

Entre ces deux évocations, tout le processus de l’Anschluss est démonté. On n’en reprendra pas ici les différents épisodes (les concessions, les manœuvres, les menaces…), épisodes connus mais qui sont minutieusement détaillés, avec des gros plans permettant d’en distinguer les rouages malsains et malfaisants. On apprend aussi que l’armée allemande envahissant l’Autriche était loin d’être opérationnelle (« une armée en panne, c’est le ridicule assuré »), et que si les nations européennes (France et Grande-Bretagne en particulier) n’avaient pas alors pratiqué une « politique d’apaisement » avec l’Allemagne, celle-ci n’aurait peut-être pas fait le poids.

Le livre d’Éric Vuillard, comme les précédents, est un retour sur l’Histoire, avec des épisodes méconnus, des digressions significatives, des ralentis et des arrêts sur image qui révèlent, dans un style saisissant, les réalités que beaucoup ont eu intérêt à dissimuler. « La vérité est cachée dans toute sorte de poussières », les poussières de la violence, de l’impuissance, de l’effroi et de l’horreur. Et c’est toujours à « l’ordre du jour ». À méditer, ici et maintenant.

Jean-Pierre Longre

www.actes-sud.fr

15/08/2021

Survivre au malheur

Roman, francophone, Patrice Gain, Le mot et le reste, Le livre de poche, Jean-Pierre LongrePatrice Gain, Denali, Le mot et le reste, 2017, Le livre de poche, 2021

Matt Weldon a quasiment tout perdu : son père a disparu dans l’ascension du Denali (anciennement Mont Mc Kinley, plus haut sommet de l’Alaska), après quoi sa mère s’est laissée dépérir. Sa grand-mère, qui l’a recueilli, se tue accidentellement, et son frère Jack se met à mal tourner – drogue, violence et ce qui s’ensuit… Voilà beaucoup de malheurs pour le jeune garçon, qui cherche cependant à retrouver le passé, à percer les mystères qui ont entouré la vie et la mort de son père, et qui malgré tout garde sans cesse le souci de son frère.

Roman, francophone, Patrice Gain, Le mot et le reste, Le livre de poche, Jean-Pierre LongreIl n’a que peu de soutien dans sa quête et ses tentatives pour survivre dans le ranch de sa grand-mère au milieu de ses fantômes, perdu au cœur du Montana sauvage, où il s’adonne à la pêche et à la préservation du bien familial : « De temps à autre j’arrivais à me persuader que je pouvais encore être heureux, mais cette illusion ne durait jamais bien longtemps. » Il faut dire que Matt va revenir de loin, et qu’il a un sacré tempérament, toujours lucide sur les événements qui lui tombent dessus : « Quand les choses tournent mal, on pense souvent qu’on ne peut pas vivre pire. Mais quand le pire arrive, on le sait tout de suite. On en prend immédiatement la mesure. »

Entre évocations sensibles de la nature et accumulation de péripéties dramatiques, le récit file bon train, dans un style alerte, hâtif et efficace, à l’américaine. Roman noir, oui, mais aussi roman de la forêt, de l’eau et de la montagne. La montagne, Patrice Gain en est un fervent connaisseur, et c’est elle qui conduit le fil de l’intrigue. Tout part d’elle (le Denali, et aussi une ascension périlleuse dans l’Himalaya), tout revient à elle. Et Matt, l’ayant retrouvée, va pouvoir rompre avec le passé, conquérir et suivre sa voie, et ainsi survivre au malheur.

Jean-Pierre Longre

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08/08/2021

« Personne n’est à l’abri du succès »

Roman, francophone, Paul Fournel, P.O.L., Jean-Pierre LongrePaul Fournel, Jeune-Vieille, P.O.L., 2021

Paul Fournel connaît bien le monde de l’édition, et Jeune-Vieille, comme une suite de La liseuse et de Jason Murphy, toujours dans le registre romanesque, en témoigne avec empathie et humour. Geneviève (qu’un camarade de classe original, Gabert, surnomme « Jeune-Vieille »), passionnée de cinéma et de littérature, rêve d’écrire. Au grand dam de sa mère, elle entame des études de Lettres, fréquente un groupe de jeunes gens intéressés par la littérature, fait les belles découvertes d’une vie estudiantine… Ses premières vraies pages, elle les écrit un matin pour faire passer un mal de ventre, et ça marche. Certes, c’est encore de l’amateurisme : « J’ai écrit une dizaine de pages en poussant devant moi des personnages imaginaires comme des troupeaux d’oies, sans vraiment savoir ce que j’écrivais ou ce que je désirais écrire au moment où je le faisais. » (allusion malicieuse à Raymond Queneau, que Paul Fournel connaît bien aussi…).

Et tout s’enchaîne. « Un matin de juillet 1986 », une simple petite idée lui fait commencer un roman, qu’elle tape en continu sur la machine à écrire Valentine offerte par son père, puis, offert par le même, sur un Macintosh. Rupture avec Marc, le petit ami, changement d’apparence, manuscrit porté chez quatre éditeurs, une lettre de refus, et enfin un rendez-vous donné par Robert Dubois, un éditeur à l’ancienne, un vrai, qui aime la littérature, ses auteurs, la bonne chère et les avertissements en forme de paradoxe, du genre : « N’oublie jamais que tout peut arriver dans ce métier et que personne n’est à l’abri du succès. »

Elle publie donc son premier livre, puis les suivants sous la houlette bienveillante et exigeante de Robert, tout en menant une « double vie » ; sa réalité d’épouse et de mère, et les évasions romanesques guidées par l’imaginaire. Des articles dans la presse générale ou spécialisée, des signatures un peu erratiques dans des salons du livre, un succès d’estime. Comme le lui dit son camarade Gabert, qui donne dans le « polar rural » et qu’elle a retrouvée lors de ces signatures : « Les ventes, c’est plutôt comme le Loto, un coup tu gagnes, mille coups tu perds. C’est le gâteau sous la cerise. […] Le succès, c’est la cerise. » Un jour, elle va se laisser séduire par les promesses du président d’un puissant groupe éditorial, un fort bel homme, d’ailleurs, ce président hyperaffairé, toujours entre deux avions, qui lui annonce des dizaines de milliers de ventes pour son roman, et au bout du compte une adaptation cinématographique. Et c’est l’engrenage.

Elle a bien sûr le sentiment d’avoir trahi Robert Dubois, qui apparemment ne lui en veut pas, ou voit cela d’un œil ironique et désabusé. Mais quand même il y a le succès, le vrai ! « Ayant été adoubée par la télé, Geneviève changea de camp et appartint à la race des seigneurs. Elle se retrouvait de façon systématique dans cette cohorte d’écrivains qu’on promène chaque week-end comme une colo, de fête du livre en fête du livre, pour les asseoir derrière les tables dans la cohue, mais cette fois avec une file de lecteurs qui l’attendaient pour faire signer leur livre et qui l’avaient vue dans le poste. » Et il y a le tournage du film, qui va peut-être lui ouvrir les yeux. On laissera au lecteur le soin de découvrir le dénouement. Disons simplement que l’auteur décrypte finement, en se mettant dans la tête de son héroïne, en prenant son point de vue et sa plume, l’opposition entre deux mondes éditoriaux, l’un traditionnel et solide, qui garantit la qualité sans forcément assurer la fortune (le côté « vieille »), l’autre, moderne et pailleté, qui considère les écrivains comme des producteurs d’objets éphémères (le côté « jeune »). Ce faisant, Paul Fournel nous fait comprendre et aimer « Jeune-Vieille », attachant personnage, tout en pratiquant le détachement ironique qui le caractérise.

Jean-Pierre Longre

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16/07/2021

Quand tout se délite

Roman, francophone, Karine Tuil, Gallimard, Folio, Jean-Pierre LongreKarine Tuil, Les choses humaines, Gallimard, 2019, Folio, 2021

Jean Farel est un homme puissant, qui ne demande qu’à « durer » dans ce qu’il estime être l’essentiel : « Rester avec sa femme ; conserver une bonne santé ; vivre longtemps ; quitter l’antenne le plus tard possible. » Journaliste charismatique et populaire côtoyant le gratin de la politique, il a séduit et épousé Claire, jeune franco-américaine, essayiste féministe reconnue. Leur fils Alexandre, brillant élève, polytechnicien, est promis à un bel avenir aux États-Unis.

Tout semble lisse, malgré une tentative de suicide d’Alexandre en proie à la pression sociale et surtout paternelle. La vie de cette famille médiatique se poursuit sans encombre apparent, jusqu’au jour où Claire s’éprend d’Adam, professeur issu d’une communauté juive traditionnelle, marié et père de famille, qui tombe lui aussi amoureux de Claire. Séparations, couples reformés (Jean, qui a par ailleurs une maîtresse attitrée, va se remarier avec une toute jeune collègue), puis tout va se déliter lorsque Mila, la fille d’Adam, va accuser Alexandre de viol.

Roman, francophone, Karine Tuil, Gallimard, Folio, Jean-Pierre LongreDès lors, le roman est consacré à cette affaire : l’accusation, l’arrestation du jeune homme, puis le récit détaillé du procès, avec les témoignages à charge et à décharge, les plaidoiries des avocats, le jugement. L’occasion pour l’autrice, qui s’inspire de la réalité, de nous faire entrer dans la vie sentimentale, sexuelle, familiale, amicale, professionnelle de personnages qui ne s’attendaient pas à devoir ainsi dévoiler leur intimité. L’occasion de nous faire pénétrer sur « le territoire de la violence » et de décortiquer les « rapports humains » et leurs ambiguïtés, de montrer combien la vérité est complexe, de pointer les contradictions inhérentes à la psychologie et à l’activité d’hommes et de femmes ambitieux, d’illustrer le passage de la force à l’impuissance.

D’autant qu’il n’y a pas de réponse définitive aux questionnements. Mais comme le pense Claire à l’issue du procès de son fils : « Vivre, c’était s’habituer à revoir ses prétentions à la baisse. Elle avait cru pouvoir contrôler le cours des choses mais rien ne s’était passé comme prévu. ».

Jean-Pierre Longre

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09/07/2021

Huit siècles de commerce du livre

Essai, francophone, Patricia Sorel, La fabrique éditions, Jean-Pierre LongrePatricia Sorel, Petite histoire de la librairie française, La fabrique éditions, 2021

Du Moyen Âge à nos jours, c’est une histoire complète du commerce du livre que nous raconte Patricia Sorel. Dès le treizième siècle, des « stationnaires » et des « libraires » (on découvrira la différence dans les premières pages) sont chargés de fournir les manuscrits nécessaires aux étudiants, tant à Paris qu’en province. Et bien sûr, l’invention de l’imprimerie et sa diffusion en France à partir de 1470 vont « profondément bouleverser » la vente des livres et le métier de libraire, qui va subir des variations au gré des conditions culturelles, sociales et politiques, des réglementations, du succès de tel ou tel type d’ouvrage, des goûts des lecteurs, des choix des éditeurs…

Cinq grandes étapes rythment cette histoire : « La librairie sous l’Ancien Régime », « Le développement de la librairie au XIXe siècle », « Une profession ancrée dans la tradition (fin XIXe siècle – 1945) », « La modernisation à marche forcée » (1945-1981) », « La librairie sous le régime du prix unique », le tout complété par des considérations sur la concurrence actuelle du commerce en ligne, par un index fort utile et par une bibliographie dite « sommaire », mais déjà bien fournie.

On peut bien sûr s’intéresser aux statistiques, aux chiffres détaillés, aux références précises qui jalonnent ces pages semées d’illustrations, devantures ou intérieurs de librairies connues (celles d’Adrienne Monier ou de Sylvia Beach par exemple) ou moins connues. S’intéresser aussi aux fluctuations économiques, aux modes de gestion des stocks, aux relations entre éditeurs, lecteurs, législateur et libraires. Mais les passages les plus prenants sont ceux qui relatent les grandes batailles : contre les différentes formes de censure (ouverte ou insidieuse), entre les grandes surfaces et les véritables librairies, et bien sûr celle du « prix unique » du livre, demandé de longue date par certains, finalement instauré sous la présidence de François Mitterrand et le ministère de Jack Lang le 1er janvier 1982, malgré les vives résistances de forces commerciales comme la Fnac et Édouard Leclerc, qui a cherché par tous les moyens mais finalement sans succès à conserver le statu quo. Des épisodes quasiment épiques qui, comme tout cet ouvrage, nous montrent que la salutaire croissance actuelle du nombre de librairies indépendantes n’est pas due au hasard, mais à une longue lutte pleine de péripéties, de négociations, d’espoirs, de désespoirs, d’abnégation. Cette « petite ( ?) histoire » met les pendules culturelles à l’heure.

Jean-Pierre Longre

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26/06/2021

Le défi de la langue

Lire, relire... Agota Kristof, L’analphabète, récit autobiographique. Éditions Zoé, 2004, rééd. 2021

 

autobiograhie,francophone,agota kristof,Éditions zoé,jean-pierre longreDans Le grand cahier, premier volume de sa trilogie romanesque composée aussi de La preuve et Le troisième mensonge, Agota Kristof fait écrire aux deux jumeaux, narrateurs et protagonistes se donnant à eux-mêmes des leçons de « composition » : « Pour décider si c’est "Bien" ou "Pas bien", nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie. Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons ». Et quelques lignes plus loin : « Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues, il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire à la description fidèle des faits ».

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Dans L’analphabète, Agota Kristof semble appliquer à son écriture autobiographique les règles qu’elle a imposées à ses personnages fictifs : tout y est « vrai », c’est-à-dire, à coup sûr, conforme à la réalité telle que la mémoire peut la restituer, mais aussi indemne de toutes les déformations que l’expression de la sensibilité personnelle et de l’autoanalyse provoquent généralement dans le jeu des souvenirs. Suivant la structure adoptée dans ses romans – une marqueterie de courts chapitres reproduisant de petites scènes significatives – , l’auteur raconte sans fioritures, sans états d’âme apparents (ce qui n’exclut nullement, au contraire, les non-dits intimes du scripteur et l’émotion secrète du lecteur), les étapes importantes de sa vie, surtout de sa vie en littérature : la découverte de la lecture, de la parole, de l’écriture par la petite fille écoutant les leçons données aux plus grands par son père instituteur, les premiers poèmes, la fuite et l’exil en Suisse, le travail en usine, la maternité, la rivalité des héros (Staline contre Thomas Bernhard), la rivalité des langues (le hongrois contre les « langues ennemies », singulièrement le français – finalement adopté pour la création littéraire), les débuts d’une « carrière » d’écrivain…

Un écrivain « analphabète » ? Le titre paradoxal annonce la fin même du récit, où se pose la question taraudant sans doute tous ceux qui écrivent dans une langue non « maternelle ». Les dernières lignes, avec les mots de l’évidence, l’énoncent clairement :

 « Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance, mais je l’écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux. […]

   Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi.

   Le défi d’une analphabète. »

Agota Kristof, avec sa lucidité modeste et l’économie de ses moyens, dans son style implacable, est de ces écrivains venus d’ailleurs, rongés par le doute littéraire, qui donnent inlassablement force et nouveauté à la littérature de langue française.

 

Jean-Pierre Longre

 

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23/06/2021

Un astronome original

Récit, biographie, francophone, Tycho Brahe, Nicolas Cavaillès, Éditions Corti, Jean-Pierre LongreNicolas Cavaillès, Le Temps de Tycho, Éditions Corti, 2021

Nicolas Cavaillès a l’art de dénicher des sujets et des personnages à la fois méconnus et porteurs de questionnements sans précédents, ouvrant de nouveaux horizons. Il y a eu la vie aventureuse de Monsieur Leguat, les destins particuliers des enfants Schumann, le tour de l’île Maurice par un âne portant un cadavre sur le dos, les sauts mystérieux des baleines (On trouvera sur http://jplongre.hautetfort.com/tag/nicolas+cavaill%C3%A8s des chroniques sur les ouvrages et les traductions de Nicolas Cavaillès)… Cette fois, c’est Tycho Brahe, astronome danois du XVIe siècle, qui occupe la centaine de pages d’un ouvrage tenant de la biographie et de la réflexion sur le rythme du temps.

Récit, biographie, francophone, Tycho Brahe, Nicolas Cavaillès, Éditions Corti, Jean-Pierre LongreImpressionné tout jeune par une éclipse solaire, Tycho se passionna pour les mathématiques et l’astronomie, délaissant les études de droit auxquelles il était voué, et publia un petit livre qui lui valut « l’attention de ses pairs » et du roi du Danemark. Celui-ci lui octroya l’île de Hven, près d’Elseneur, sur laquelle, installé avec femme et enfants, Tycho construisit des observatoires et passa vingt ans à mener ses études astronomiques et « s’échina en effet, le premier dans l’histoire de l’humanité, à faire retentir le balancier d’une trotteuse ; d’abord, tic, dans la silencieuse salle des cadrans d’Uraniborg, tac, puis dans tout l’observatoire, tic, et sur l’ensemble de l’île, tac, depuis les eaux glaciales de la Scandinavie, tic, jusques aux confins de l’univers, tac, une trotteuse prodromique enclenchée au printemps de l’année mil cinq cent soixante-dix-sept et qui ne s’arrêta plus ensuite, indestructible et exponentielle ».

L’auteur ne s’en tient pas à l’histoire. Du récit de la vie et des trouvailles de son héros, il tire des anecdotes où il est question de Giordano Bruno, de Copernic, de Johannes Kepler (qui fut « l’un de ses proches collaborateurs »), et même de Shakespeare, puisque se pose la question de savoir si la Tragédie du prince Hamlet n’aurait pas quelque rapport avec le destin de Tycho… Bref, voilà un ouvrage à la fois savant et savoureux qui, dépassant le sujet d’une biographie déjà intéressante en soi et même d’une méditation sur le découpage temporel, nous mène vers des sphères insoupçonnées.

Jean-Pierre Longre

à paraître le 26 août 2021

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17/06/2021

Apollinaire vit toujours

Revue, poésie, francophone, Apollinaire, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreApollinaire n° 22, revue d’études apollinariennes, éditions Calliopées, 2021

« Après une longue période d’absence », comme l’écrit l’éditrice Sylvie Tournadre, voici un numéro exceptionnel d’une revue qui, sous la houlette de son comité de rédaction (Jean Burgos, Pierre Caizergues, Claude Debon, Daniel Delbreil, Étienne-Alain Hubert, Gérald Purnelle), garde toujours vivant « le flâneur des deux rives ». Numéro exceptionnel par son contenu, sa densité, sa diversité.

Diversité générique, puisqu’on a le choix : poésie, théâtre, étude de manuscrit, analyse comparative… D’abord un poème « de circonstance » offert par Serge Pey, « Rue des Polinaires » (les « polinaires » étaient « des artisans du métal », comme les poètes sont des artisans de la langue) ; apprécions cet hommage au demeurant très apollinarien, et semé de citations, allusions « clins d’œil » rythmant les strophes. Les pages suivantes présentent le premier acte de Chut, comédie « en vers dégagés » d’André Rouveyre, dont l’action se passe « dans le pigeonnier de Guillaume » et qui, sous les apparences du canular et de la plaisanterie, révèle, comme l’écrit Claude Debon, qui a découvert le texte dans les dossiers de Michel Décaudin, « l’histoire triste, dramatique parfois et en même temps rocambolesque de la publication des lettres et poèmes envoyés par Apollinaire à ses deux égéries, Lou et Madeleine ».

Suivent un article de Jacques Houbert (décédé en 2017) sur le manuscrit de « La Chanson du mal-aimé », relevant des variantes inédites et faisant sensiblement avancer l’édude de la genèse du poème. Puis, par Christa Dohmann, une analyse précise tendant à prouver, citations à l’appui, que Les Exploits d’un jeune don juan est la traduction partielle d’un ouvrage allemand, Kinder-Geilheit / Geständnisse eines Knaben (Lubricité des enfants / Confessions d’un garçon).

La vaste dernière partie est consacrée aux nombreuses informations réunies par Claude Debon : publications, événements, notamment ceux qui se sont déroulés autour de l’année 2018, anniversaire de la publication de Calligrammes et de la mort du poète. Impossible ici de reprendre et de résumer toutes ces informations, mais on peut mettre l’accent sur la Correspondance générale et les Lettres reçues par Guillaume Apollinaire éditées par Victor Martin-Schmets (Honoré Champion, 2015 et 2018) et sur l’impressionnant Dictionnaire Apollinaire, deux volumes publiés en 2019 sous la direction de Daniel Delbreil (Honoré Champion). On le voit, ce numéro 22, particulièrement substantiel et semé d’illustrations colorées, nous donne de belles nouvelles d’un Apollinaire toujours à découvrir.

Jean-Pierre Longre

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10/05/2021

Les vibrations du destin

Roman, musique, francophone, Japon, Akira Mizubayashi, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Akira Mizubayashi, Âme brisée, Gallimard, 2019, Folio, 2021

Ils sont quatre musiciens amateurs jouant sous la houlette de Yu Mizusawa, unis par l’art malgré la guerre entre la Chine et le Japon. Car nous sommes en 1938 à Tokyo, Yu est japonais et les trois autres sont des étudiants chinois. Mais la brutalité guerrière de l’expansionnisme japonais va avoir le dessus : lors d’une répétition ils sont brusquement interrompus par l’arrivée de soldats qui vont emmener les quatre musiciens, non sans avoir brisé le violon de Yu, dont le fils Rei, alors petit garçon, a assisté à la scène caché dans une armoire. Par bonheur, un lieutenant nommé Kurokami, homme cultivé et délicat malgré ses fonctions, recueille le violon et le confie à l’enfant.

roman,musique,francophone,japon,akira mizubayashi,gallimard,folio,an-pierre longreLe destin de Rei se construit à partir de ce drame fondateur. Recueilli et adopté par un ami français de son père, il deviendra Jacques Maillard, choisira de faire un apprentissage de luthier à Mirecourt, haut lieu de la lutherie française, puis plus longuement à Crémone. En exerçant son métier, il passera des années à reconstruire le violon démembré de son père, qui de ce fait deviendra un nouvel instrument – qui lui aussi connaîtra un destin exceptionnel, renaissant sous les doigts virtuoses de Midori, la petite-fille du lieutenant qui jadis sauva le petit garçon et le violon. En outre, au cours de ses études, Rei / Jacques rencontre Hélène, archetière, qui deviendra sa compagne.

Le récit d’Akira Mizubayashi est profondément touchant. Au-delà du jeu sur le mot « âme » (celle du violon, élément vital pour les vibrations et la sonorité, celle des humains, qui la perdent parfois dans la haine et la violence, qui la retrouvent dans l’harmonie), la littérature et la musique s’y épanouissent dans une langue à la fois fraîche et précise. L’auteur, qui ne l’oublions pas a délibérément choisi d’écrire en français, navigue comme son héros entre deux cultures : « Se sentant aimé et protégé par ses parents français, domptant vaille que vaille la peur dissimulée, inavouée, refoulée qu’il portait au fond du cœur, Jacques fit des progrès fulgurants en français à tel point qu’il figura en quelques années parmi les meilleurs élèves de la classe. Et c’est alors que lui revint petit à petit le désir de garder près de lui la langue de son père disparu. ».

Les quatre mouvements du roman (Allegro ma non troppo, Andante, Menuetto : Allegretto, Allegro moderato) sont ceux d’une sonate ou d’une symphonie, et les mots, souvent, tentent de restituer la musique en descriptions analytiques et poétiques, que cette musique soit celle, notamment, de la Gavotte en rondeau de la Troisième partita pour violon seul de Jean-Sébastien Bach ou du premier mouvement du quatuor de Schubert Rosamunde, que l’on entend littéralement à plusieurs reprises aux moments décisifs de la narration. « Après les deux premières mesures qui sonnaient comme d’obscurs clapotements d’eau stagnante, le violon de Midori, qui réunissait autour de son âme trois autres âmes au moins – celle de Yu Misuzawa, celle du lieutenant Kurokami et celle aussi de Rei Misuzawa –, entrait délicatement, en pianissimo, dans l’ample et profonde mélancolie schubertienne. ». Retour à l’âme polyphonique, qui par le verbe et les sons restitue les vibrations du destin et répand le souffle vital.

Jean-Pierre Longre

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09/05/2021

Nouvelles à écouter

Littérature, francophone, nouvelle, audio, lire sans les yeux, voxebook, rue saint-ambroiseVoxebook et la revue « Rue St Ambroise » présentent : Toute une histoire…le premier collector !

Présentation:

Vous n’en croirez pas vos oreilles en vous retrouvant plongés dans les univers singuliers et variés de quatorze histoires brèves et prenantes, toujours étonnantes, souvent émouvantes, parfois amusantes nées de l’imaginaire et de la plume de leurs autrices et auteurs respectifs !

Tour à tour, vous écouterez leur captivante narration quelquefois enrichie de dialogues et, comme dans toute œuvre littéraire, vous entrerez dans les pensées, les sentiments et émotions de leurs personnages… et partagerez la grandeur comme la bassesse de leur humanité, leur amour, leur tendresse, leur jalousie ou leur vengeance, mais aussi leurs voyages, leur poésie, leurs petits ou grands travers ou encore leurs rêves ou réalités de vies qui vous feront sourire, rire, pleurer ou frissonner…

Ce premier « collector » réunit les 14 « Nouvelles de la semaine » sélectionnées et vocalisées au cours du quatrième trimestre de l’année 2020 dans le cadre du partenariat établi entre Vox_eBook et la Revue de la Nouvelle « Rue Saint Ambroise ».

Cette première compilation a été réalisée par les studios  VoxeBook.

  • Interprétations effectuées par les lectrices et lecteurs de l’association « Lire sans les Yeux » (lisy) :  Annie Brault-Théry, Christiane Eliard, Audrey Meyer, Yolande Schmitt, Isabelle Spanagle, Bernadette Wild, Serge Cazenave,Georges Collardé, Pascal lefèvre, Marc Nonnenmacher, Pierre-Alain Widemann.
  • Sélections musicales et montage des voix : Marc Nonnenmacher.
  • Mixage, mastérisation et conception de la jaquette : Pascal Lefèvre.


- Tragédie d'un confinement ordinaire - Sonia Gravier
- Hésiode bouquiniste - Jean-Pierre Longre
- Les herbes sèches - Alain Nocus
- La pomme d'or - Louis Kervégant
- Festival - HP Lovecraft
- Une croix en or - Marie Chotek
- Sixième jour de dengue - Claire Laurent
- La maîtresse tricote - Tess Bénédicte
- Retour à la maison - Michèle Gerber-Claret
- Sur la plage - Julie Russias
- Abondannce - Roland Goeller
- Mon petit oiseau - Marie-Claire Reppel
- Portrait d'une inconnue - Gilles Lucas
- La méditation d'Alice - Alice Dumontier-Loiseau

Pour commander : https://voxebook.fr/1434909-toute-une-histoire-001.html

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08/05/2021

Hystériques, vraiment ?

Roman, francophone, Victoria Mas, Albin Michel, Jean-Pierre LongreLire, relire... Victoria Mas, Le bal des folles, Albin Michel, 2019, Le Livre de poche, 2021

Que se passait-il, à la fin du XIXème siècle, derrière les murs de la Salpêtrière ? C’est ici que règne le fameux docteur Charcot, figure fondatrice de la neurologie moderne, mais figure ambiguë de mandarin qui n’hésite pas à faire ses expériences sur l’hystérie en prenant comme cobayes les pensionnaires de son hôpital. Pensionnaires ? Plutôt prisonnières en proie à la misogynie ambiante et aux convoitises du personnel masculin, enfermées pour des raisons aussi diverses que contestables, même si leur comportement échappe parfois au contrôle de la raison. « Loin d’hystériques qui dansent nu-pieds dans les couloirs froids, seule prédomine ici une lutte muette et quotidienne pour la normalité. ».

roman,francophone,victoria mas,albin michel,Le livre de poche,jean-pierre longreParmi elles, le récit s’intéresse à Louise, adolescente traumatisée par un viol, à Thérèse, ancienne prostituée qui voit dans son enfermement un refuge, et surtout à Eugénie, qui sans le chercher voit des défunts proches lui apparaître et lui parler, et que son intraitable père, soucieux de son statut social et qui ne veut plus entendre parler de sa fille, a emprisonnée dans cet « hôpital » où elle se sent à part. Il y a aussi Geneviève, qui a jusqu’à présent mené toute sa carrière à la Salpêtrière, admiratrice de Charcot, férue de sciences et en particulier d’anatomie, surveillante rigoureuse de ces femmes parfois imprévisibles. Mais voilà que Geneviève se prend à ne pas être insensible au sort d’Eugénie, ni aux pouvoirs que lui a donnés la nature ; un jour elle autorise Louis, le frère compatissant de la jeune fille, à lui faire passer un ouvrage décrié par la médecine officielle, Le Livre des Esprits. C’est là le début de la complicité entre la froide infirmière et la jeune fille éprise d’indépendance. Tout se dénouera à l’occasion du fameux « bal des folles », où à la mi-carême les pensionnaires, qui ont passé des semaines à préparer leurs costumes, sont exposées comme bêtes curieuses aux yeux des invités venus du monde « normal » dans le but de contempler et de commenter l’attitude de ces « aliénées ».

Roman soigneusement construit, Le bal des folles se lit à la fois comme une fiction et comme un document terrible, comme l’histoire de destinées brisées par les circonstances, la société patriarcale et les rigidités de la médecine. C’est aussi, à travers le combat d’Eugénie contre l’oppression paternelle et de Geneviève contre elle-même, le récit d’une lutte pour la liberté des femmes.

Jean-Pierre Longre

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07/05/2021

Les routes convergentes de l’exode

Roman, francophone, Pierre Lemaitre, Albin Michel, Jean-Pierre LongreLire, relire... Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines, Albin Michel, 2020, Le Livre de poche, 2021

Pierre Lemaitre est un remarquable narrateur, qui a l’art de laisser ses lecteurs accrochés en continu à ses romans, juste le temps de les laisser reprendre leur souffle et, de temps en temps, faire le point. Miroir de nos peines, troisième volet d’un fameux triptyque, ne déroge pas à la règle. Nous sommes à la fin de la « drôle de guerre », entre avril et juin 1940, en compagnie de personnages aux tempéraments et aux destins (apparemment) fort différents les uns des autres, et dont les histoires particulières vont être versées dans le creuset de l’Histoire collective, au moment de l’invasion allemande.

roman,francophone,pierre lemaitre,albin michel,jean-pierre longreLes personnages, donc. D’abord Louise, jeune institutrice qui, outre son travail et après une vie mouvementée, aide M. Jules dans son café, et qui reçoit une étrange proposition d’un client régulier, le docteur Thirion – proposition qui va avoir de fâcheuses conséquences. Puis Gabriel et Raoul, postés comme beaucoup d’autres militaires sur la ligne Maginot, qui vont ensuite participer brièvement aux combats avant d’être incarcérés pour malversations, au grand dam de l’honnête Gabriel, qui a suivi malgré lui Raoul, petit malfrat et grand débrouillard. Il y a aussi Désiré, imposteur caméléon, qui profite des situations dans lesquelles il se trouve pour se couler dans des personnages aussi divers qu’improbables – avocat surprenant, professionnel de l’information, prêtre exalté au service des réfugiés –, et qui chaque fois se tire d’affaire au moment où sa supercherie va être découverte. Quant à Fernand et Alice, couple aimant, ils ont du mal à se séparer alors que Fernand, garde mobile, doit partir en service et qu’Alice, dont la santé est chancelante, va se réfugier chez sa sœur, en province.

On n’expliquera pas ici comment tous ces protagonistes vont se croiser, se rencontrer d’une manière ou d’une autre, se transformer aussi, alors que les routes se remplissent de réfugiés venus de Belgique, du Nord de la France, de Paris… On ne dira pas à la suite de quels concours de circonstances ces routes, « miroirs de nos peines » (puisque, comme l’a écrit Stendhal, « un roman est un miroir qui se promène sur une grande route »…), vont voir se tisser des liens entre des personnages disparates et cependant unis par la complexité des quêtes humaines. Mais on recommandera de lire un roman aux multiples facettes, qui par la fiction reconstitue les grands drames et les petits bonheurs d’une période pleine d’incertitudes et de tourments.

Jean-Pierre Longre

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Une année désarticulée

Dubois.gifLire, relire… Jean-Paul Dubois, Les accommodements raisonnables, Éditions de l’Olivier, 2008. Points, 2009, rééd. Points, 2021

 

Le titre est presque une redondance, et il résonne dans le livre d’échos multiples : comment s’accommoder « raisonnablement » des aléas de l’existence ? Paul Stern – l’anti-héros favori de Jean-Paul Dubois – est confronté à des difficultés conjugales et familiales. Sa femme Anna souffre de dépression, son père, naguère patriarche rigide, va devenir un galopin septuagénaire et sacrifier à la mode bling-bling, les enfants et petits-enfants vivent leur vie.

 

roman,francophone,jean-paul dubois,l’olivierAlors, comment raison garder ? En pédalant 31,4 kilomètres par jour dans la campagne toulousaine ? Surtout, en sautant sur l’occasion de s’évader vers Hollywood pour y écrire un scénario aussi vain que convenu. Abandonnant Anna à sa maison de repos, son père à sa nouvelle épouse et à sa nouvelle jeunesse, Paul va connaître l’existence artificielle des milieux cinématographiques, chez ces étranges Américains adeptes « de religiosité spongieuse, de verroterie spirituelle, de macédoine sociale », qui croient qu’un champignon saumâtre peut changer la vie, et pour qui le mensonge vaut bien la réalité. C’est là, dans les bureaux de la production, qu’il rencontre le sosie d’Anna, de 30 ans plus jeune, en la personne de Selma Chantz, avec laquelle il se surprend à retrouver sa jeunesse, ou à faire semblant.

 

Tout se bouscule, jusqu’à la perte de soi : « Comme si la réalité ne valait plus la peine d’être vécue. Comme si la vie véritable pouvait être remise à plus tard et que l’on m’enjoignait, illico, de sauter dans les tramways de la fiction, de jouir du divertissement perpétuel. Comme si je devais suivre la cadence des algorithmes, ne plus effleurer cette terre, perdre le contact avec le sol de ma mémoire, oublier d’où je venais et vers quoi je tendais ». Le scénario de Désarticulé (c’est le titre du film, qui va si bien aux personnages) se forgera tant bien que mal, et Paul finira par s’en sortir, au prix d’efforts éprouvants. L’histoire (enfin, l’auteur) fait bien les choses : tout se passe au moment où, aux USA, les scénaristes mènent une grève dure et où, en France, arrive au pouvoir un petit homme incarnant la toute-puissance de l’argent, de l’inculture et de la vulgarité, un « vrai baltringue », inaugurant son règne par « cette soirée de gougnafiers et de gandins, cette piteuse nouba fondatrice de la République de la gaudriole ». La satire n’est pas gratuite : dans ce rapprochement entre France et Amérique, ce sont bien les nuages de la poudre aux yeux et les rouages de l’artifice qui sont ici dénoncés.

 

De cette année « désarticulée », Paul Stern retiendra que la vigilance reste de mise. S’accommoder, certes, mais ne pas sombrer dans l’illusion. « Il me fallut un certain temps pour comprendre que ma famille venait de vivre une année singulière, une période que nous n’avions jamais connue jusque-là et qui nous avait tous amenés à nous enfuir droit devant nous, pareils à des animaux qui détalent devant un incendie. […] L’origine de cette étrange épidémie rôdait quelque part en nous-mêmes. Les accommodements raisonnables que nous avions tacitement conclus nous mettaient pour un temps à l’abri d’un nouveau séisme, mais le mal était toujours là, tapi en chacun de nous, derrière chaque porte, prêt à ressurgir ». Pas de méprise toutefois : Jean-Paul Dubois ne nous fait pas la morale, ne nous donne pas une leçon absolue d’existence. Au lecteur de se faire ses propres idées, tout en se ménageant le plaisir que l’on éprouve à lire un roman bien articulé.

Jean-Pierre Longre

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03/05/2021

Frappes poétiques

Poésie, francophone, Jean-Jacques Nuel, La boucherie littéraire, Jean-Pierre LongreJean-Jacques Nuel, Hermes Baby, ma machine à écrire, La boucherie littéraire, 2021

Bien pratique : c’est un petit carnet rouge avec plein de pages blanches pouvant accueillir vos notes, pensées, courses à faire, humeurs, croquis, poèmes… Mais c’est aussi un objet d’art : en plein cœur du dit carnet, vous trouvez des pages aussi rouges que la couverture, qui contiennent le recueil de Jean-Jacques Nuel consacré à sa « petite machine à écrire » d’autrefois et à quelques autres considérations à caractère (c’est le cas de le dire) littéraire.

Comme souvent avec l’auteur, l’apparente simplicité de l’écriture poétique, narrative et descriptive révèle, si l’on y prête attention, des souvenirs et des confidences dont l’Hermes Baby (« nom magnifique ») est un élégant truchement, « secrétaire » à la fois peu encombrante et infatigable, à laquelle l’écrivain débutant pouvait se fier sans souci. Et il le dit carrément : « j’aurais dû la prendre / pour modèle », lui qui s’imaginait « une vie / différente » de celle qu’il vivait à l’époque, « prenant mes envies et mes rêves / pour des projets ».

Voilà que ces révélations ouvrent les vannes d’une imagination teintée d’humour (voir par exemple les tribulations d’un éditeur se mettant à la recherche fiévreuse de l’auteur d’un tapuscrit anonyme), ou d’un pessimisme mortifère : « as-tu remarqué / qu’un livre a la même forme / rectangulaire / qu’une tombe / et que la plupart du temps / il reste aussi fermé / qu’un tombeau ». Et dans les deux cas, la machine à écrire est restée dans la mémoire un émouvant instrument de frappes poétiques et de formules percutantes : « nous sommes tous des travailleurs / de force / quant nous sommes forcés / de travailler ».

Jean-Pierre Longre

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16/04/2021

Les murs du silence

Roman, francophone, Santiago H. Amigorena, P.O.L., 2019, Folio, Jean-Pierre LongreSantiago H. Amigorena, Le ghetto intérieur, P.O.L., 2019, Folio, 2021

Dans un entretien accordé à Thierry Guichard (Le Matricule des Anges n° 2016, septembre 2019), Santiago H. Amigorena disait : « Enfance laconique, jeunesse aphone, adolescence taciturne, maturité coite, vieillesse discrète… le silence fait partie de ma vie comme de mon écriture, et je savais, depuis de longues années, qu’il me faudrait un jour écrire sur le silence de Vicente Rosenberg, mon grand-père maternel. Mais ce n’est qu’il y a deux ans, en lisant les lettres que mon arrière-grand-mère lui avait écrites depuis le ghetto de Varsovie et Los Abuelos, un livre écrit par mon cousin, Martin Caparrós, que l’ai compris la forme et le ton que pourrait prendre Le ghetto intérieur. »

C’est en effet l’histoire de ce grand-père qui est ici racontée. Juif polonais arrivé en Argentine en 1928, Vicente Rosenberg se marie avec Rosita, issue d’une famille juive ukrainienne, a des enfants, une belle-famille accueillante, des amis, un magasin de meubles… Bref, la vie semble lui sourire, « mais quelque chose de pire que tout ce qu’il avait imaginé était en train d’arriver – et il ne pouvait rien faire. » L’occupation de la Pologne, Varsovie aux mains des nazis, sa famille restée là-bas, sa mère enfermée dans le ghetto, les lettres de plus en plus déchirantes qui mettent des mois à arriver… Alors Vicente, rongé par la culpabilité de n’avoir pas assez fait pour sauver sa mère, pour la faire sortir du pays, s’enferme lui aussi entre des murs, ceux du silence et de l’absence apparente de toute réaction à l’amour de sa femme et de ses enfants, à la compagnie de ses amis, aux exigences de son travail. Ce sont les fuites nocturnes du domicile familial, le jeu jusqu’à l’aube, acharné à perdre « tout ce que le magasin rapportait », les cauchemars au cours desquels il se voit enserré entre des murailles de plus en plus oppressantes…

L’écriture de Santiago H. Amigorena pénètre jusqu’au fond des choses : les ressassements intérieurs d’un homme qui semble vouloir rester sourd non seulement aux autres, mais à lui-même, à la vérité de l’horreur, à ses propres vérités, sont relatés avec l’émotion et l’empathie d’un écrivain que l’on sent intimement concerné. Et les questions existentielles, les considérations historiques sur le nazisme, sur l’industrie de la mort, sur l’aveuglement des démocraties, sur la Shoah viennent à l’appui des préoccupations personnelles de Vicente et de Santiago, qui a lui aussi quitté son pays, l’Argentine, pour fuir la dictature, et « pour retourner en Europe. » Mais lui, pour tenter d’exorciser la souffrance, a recours aux mots.

Jean-Pierre Longre

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07/04/2021

Aventures littéraires et cinématographiques

Zone critique couverture-zc-scaled.jpgZone critique n° 2, 2021. "Aventure"

Une belle et copieuse revue de littérature et de cinéma, une généreuse et savante "invitation au voyage", des contributions de vrais connaisseurs qui illustrent parfaitement la devise: "Rendre la culture vivante".

Articles, études, entretiens, dossiers, critiques, portraits... Plus de 400 pages pour voyager à travers les livres et les films. "Pour s’évader avec Cendrars, Stendhal, Corto Maltese ou encore Bob Morane, Akira Kurosawa, Werner Herzog… ", sans oublier Saint-Exupéry, Catherine Poulain, Fernando Pessoa, Josh et Benny Safdie, bien d'autres encore...

Sébastien Reynaud, Rédacteur en chef et fondateur de Zone Critique, Pierre Poligone, Rédacteur en chef adjoint, Corentin Destefanis Dupin, Rédacteur en chef Cinéma, Ariane Issartel, Rédactrice en chef Théâtre, Arthur Bitaud, Rédacteur en chef Littérature...

Et… Louise Granat, Marie Gué, Pierre Chardot, Lise Laniepce, Pierre Poligone, Corentin Destefanis Dupin, Sébastien Reynaud, Marion Bauer, Marion Broudin, Lise Laniepce, Théo Bellanger, Pierre Chardot, Louise Granat, Romain Debluë, Marion Bet, Camille Pech de Laclause, Lyvann Vaté, Jean-François Vernay, Marion Bauer, Clotilde Garreau, Solène Vary, Sylvain Teil-Salanova, Hélène Davoine, Claire Massy-Paol,, Hélène Boons, Axel Biglete, Léa Merle, Theodore Anglio-Longre, Blaise Marchandeau, Manon Boyer, Claire Saumand, Noé Rozenblat, Baptiste Dancoisne, Yannaï Plettener, Cassandre Morelle, Solène Reynier, Alexandre Soulabail, Samuel Vitel

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05/04/2021

Comique existentiel

Chroniques, récit, humour, francophone, Jean-Paul Dubois, Points, Jean-Pierre LongreJean-Paul Dubois, Parfois je ris tout seul, Points, 2021

Le titre l’atteste : Jean-Paul Dubois a dû bien s’amuser en écrivant ces mini-textes (une page chacun au maximum) parus initialement en 1992 chez Robert Laffont, puis en 2007 aux éditions de l’Olivier. C’est un fait : on rit franchement à la réponse que font les parents (la mère surtout) à la question sur les raisons qui font que les chiens se montent dessus et restent collés l’un à l’autre, au dialogue de deux mécanos évoquant Picasso en se disputant sur la couleur d’un manche de tournevis, à des souvenirs culinaires et bien écœurants de cantine d’école religieuse, ou à des propos de comptoir du genre : « T’es vraiment le cousin du pape ? » Et on apprécie à juste titre certaines surprises finales, par exemple dans la confrontation d’un rêve ou d’un fantasme à la réalité, ou dans la réponse acerbe à une question : « Tu me demandes ce que je voudrais ? Ce que j’attends de toi ? Qu’au moins une fois dans notre vie, tu te comportes comme un être humain. »

Mais comme souvent chez l’auteur, la plaisanterie cache des réflexions et des états d’âme plus profonds qu’il n’y paraît. Le tragique n’est pas toujours loin, lorsqu’il s’agit de dire que « la vérité c’est une chose avec laquelle il ne faut pas rigoler. » Et surtout, les questions existentielles forment une trame régulière, en rapport avec les sensations physiques et la maladie : « Je suis toujours tendu, anxieux. […] J’ai l’impression que quelque chose grésille en moi, la sensation d’avoir la poitrine remplie de hannetons. » Et lorsqu’on s’interroge sur la santé des mouches, on se doute qu’il s’agit de celle des humains. En rapport aussi avec le sentiment amoureux, souvent déçu. Peut-on être heureux ? Oui, si l’on en croit le destin de cet homme (« mon père ») qui se transforme en gitan (sur une remarque de sa femme) en achetant une « Chevrolet Bel Air Power Glide 1957, noire, pavillon blanc », ou si l’on apprécie avec le narrateur de rouler tranquillement au volant de sa voiture et de s’allumer une cigarette…

Il y a donc le choix. Chacun peut se promener à sa guise et à sa façon dans cette forêt livresque, glaner çà et là telle ou telle bribe, y voir de l’humour, de l’inquiétude, de l’insolite, des problèmes irrésolus, des réponses improbables, du plaisir, du bonheur, du malheur… Avec toujours dans un coin de la tête cette question qui clôt une page commençant par « T’as aucune morale » : « Le problème avec toi, c’est qu’on sait jamais quand tu déconnes. »

Jean-Pierre Longre

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04/04/2021

Les paradoxes du malheur

roman, francophone, jean-paul dubois, éditions de l’olivier,  jean-pierre longreJean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, Éditions de l’Olivier, 2019, Points, 2021

Prix Goncourt 2019

Une ou deux fois ne sont pas coutume. Il est rare dans ces pages de trouver une chronique sur un livre récompensé par le prix Goncourt. Mais en 2019, ouf ! Nous avons échappé à une intarissable fabricante de best-sellers qui se veut magicienne des Lettres et qui n’a pas besoin d’afficher des prix pour remplir les têtes de gondole. Bref, des deux, c’est bien Jean-Paul Dubois qui méritait la récompense, même si à juste titre on avait déjà beaucoup parlé de son roman.

roman,francophone,jean-paul dubois,éditions de l’olivier,jean-pierre longreCette notoriété m’évitera de donner un résumé de Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon. Résumé qui d’ailleurs aurait du mal à rendre compte de toutes les aventures qui arrivent à Paul Hansen, et dont il fait lui-même le récit depuis sa cellule d’une prison de Montréal. Pourquoi est-il en prison, lui qui est l’altruisme même, au plein sens du terme ? On ne le saura que sur le tard (stratégie du suspense) ; disons que c’est l’aboutissement (heureusement non définitif) d’un long processus mouvementé : enfant toulousain d’un père danois et pasteur qui perd la foi, d’une mère magnifique, militante et lointaine, Paul va naviguer vers l’âge adulte en suivant son père au Canada, où il deviendra pour de nombreuses années « superintendant » (c’est-à-dire homme à tout faire) de L’Excelsior, une résidence sécurisée à l’américaine pour privilégiés actifs ou retraités – où il aura des amis, mais aussi un ennemi acharné qui le fera sortir de ses gonds. Une compagne idéale, une chienne affectueuse, un métier qui lui plait, qui lui permet de s’adonner à son empathie naturelle et à « son envie de réparer les choses, de bien les traiter, de les soigner, de les surveiller. »... L’auteur combine à merveille l’art du récit à rebondissements, l’art du portrait juste et révélateur, l’art de la surprise et du paradoxe. La cohabitation de Paul, par exemple, avec le détenu Patrick Horton, « un homme et demi qui s’est fait tatouer l’histoire de sa vie sur la peau du dos », un passionné de Harley Davidson qui a vraisemblablement assassiné un Hells Angel, pourrait être un enfer ; eh bien non, Patrick, cette force de la nature qui souffre pourtant de phobies inattendues, est d’une bienveillance toute protectrice… Le tout à l’avenant : le père, pasteur en pays catholique, se prend d’une passion fiévreuse et destructrice pour les jeux de hasard, le cinéma d’art et d’essai de la mère est devenu une salle spécialisée dans les films porno, la compagne d’origine algonquine pilote audacieusement un antique aéronef au-dessus des immensités glacées, le seul véritable ami (outre la chienne Nouk) que Paul se fait à l’Excelsior est « casualties adjuster », chargé d’évaluer le prix des morts pour les compagnies d’assurance…

Mais les faits, les situations et les personnages ne sont paradoxaux qu’en apparence. Jean-Paul Dubois possède tout à la fois le sens de la construction narrative, l’audace du réalisme, l’ardeur de l’imagination et la richesse de la sensibilité. Certes, pour lui, d’une manière générale, la destinée humaine est vouée à l’échec et au malheur : « À l’intérieur d’un immeuble ou d’une communauté, le malheur s’installe généralement par période. Pendant plusieurs mois, il va rôder dans les étages, oeuvrant de porte en porte, croquant d’abord le faible, ruinant les espérants. Et puis, un jour, changer de rue, de quartier, poursuivant à l’aveugle son travail d’artisan. ». Progression similaire pour tous les individus. Mais l’écriture de Jean-Paul Dubois convoque toutes les ressources de la générosité, de l’amitié, de l’amour, de l’humour. Et la pilule passe à merveille. Chaleureuse et euphorisante.

Jean-Pierre Longre

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28/03/2021

Manuel de rébellion littéraire

essai, francophone, maxime decout, Les éditions de minuit, Jean-Pierre LongreMaxime Decout, Éloge du mauvais lecteur, Les éditions de minuit, 2021

Le titre, paradoxal, pourrait sonner comme une provocation de la part d’un universitaire censé enseigner la « bonne lecture ». Mais justement : si l’adjectif « mauvais » « signale un écart par rapport à une norme intellectuelle », il annonce aussi et surtout une activité productrice de sens et esthétiquement créatrice. De manière réjouissante et familière, dans le style enlevé qu’on lui connaît et qui n’empêche pas la rigueur intellectuelle et le sens de la pédagogie, Maxime Decout s’adresse directement à nous (bons ou mauvais lecteurs ?) pour faire un tour exhaustif des types de « mauvaise lecture ».

On connaît les « dangers de l’identification » symbolisés fictivement par Don Quichotte, Emma Bovary et quelques autres, ou réellement, entre autres, par les suicides qui ont suivi le succès des Souffrances du jeune Werther de Goethe. En rester là serait stérile, et ne permettrait de garder des théories de la lecture que ce qu’Umberto Eco appelle « Lecteur Modèle ». Heureusement, l’ouvrage fait renaître (ou naître) le vrai « mauvais lecteur », qui est en réalité multiple, puisque l’on va de l’identification positive à la réécriture littéraire, en passant par maintes étapes précises au long des quatre larges chapitres du livre. Comment « redevenir un mauvais lecteur » ? En s’adonnant à l’interprétation, entre « immersion » et « intellection », comme cela se passe par exemple avec le roman policier et certaines œuvres de Georges Perec, ou à la « lecture contrefactuelle », c’est-à-dire en lisant un texte « en dépit de ses paramètres visibles », voire en allant jusqu’à la « lecture aberrante ». La « mauvaise lecture » peut pencher du côté du fétichisme, de la monomanie, jusqu’à l’envie pressante d’écrire en imitant telle œuvre ou tel auteur idolâtrés. Tout est fertile, rien n’est interdit : ni la « lecture haineuse », ni la « lecture névrotique », ni les fantasmes qu’elle peut induire. Le dernier chapitre répertorie « les pratiques du mauvais lecteur », qui ressortissent à deux attitudes principales : « lire le nez en l’air » (se promener dans un livre, par exemple, en sautant des passages ou en pensant à autre chose) et « lire en tous sens » (lecture puzzle ou labyrinthe, notamment). Déconstruire, donc, mais pour reconstruire, recomposer, réécrire…

La rébellion plus ou moins consciente que représente la « mauvaise lecture » aboutit donc à la création. Ce que nous dit ici Maxime Decout, et que grâce à lui nous prenons conscience de pratiquer régulièrement, passe par de nombreux exemples, des références variées (des grands classiques aux contemporains, des œuvres méconnues à la littérature policière). Un ensemble à la fois précis, documenté, richement illustré, d’où l’humour n’est pas exclu, loin de là. Voyez : quelle est « la plus grande marque de respect qu’un auteur peut recevoir » ? Eh bien : « Être kidnappé ou assassiné par son propre lecteur ». Et pour celui-ci, en tout cas, le livre de Maxime Decout est un bel encouragement à la lecture libre et fructueuse. 

Jean-Pierre Longre


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25/03/2021

Une journée de retrouvailles

Roman, francophone, Lionel Duroy, Julliard, Jean-Pierre LongreLire, relire...Lionel Duroy, Nous étions nés pour être heureux, Julliard, 2019, J'ai lu, 2021

« On arrive avec trente ans de retard, c’est certain, ça te paraît même peut-être complètement ridicule, mais crois-moi : nous sommes tous désireux de réparer ce qui peut l’être. ». Voilà ce que disent deux des frères de Paul à Claire, l’une de ses filles. Que réparer ? Beaucoup de choses. D’abord l’impéritie et la folie des parents, qui ont fait le malheur de leurs neuf enfants en leur faisant vivre la déchéance matérielle et morale ; ensuite les livres dénonciateurs dans lesquels Paul relate les désastres familiaux ; enfin la brouille de toute la famille avec l’écrivain : « À partir du jour où mon livre a été publié vous ne m’avez plus adressé aucun signe. Ni un mot ni un coup de téléphone. Vous n’avez plus jamais invité mes enfants. ».

roman,francophone,lionel duroy,julliard,jean-pierre longreComment réparer ? Paul a décidé de réunir tout le monde, ses enfants et petits-enfants, ses frères et sœurs, ses deux ex-femmes, pour une journée particulière dans sa maison provençale, au pied du Mont Gardel. À une exception près, chacun se rend à l’invitation, et le livre raconte, en dialogues animés, ces retrouvailles semées de souvenirs, d’aveux sincères et parfois honteux, de bienveillance, de jeux et de mots d’enfants. Retrouvailles émouvantes, qui reconstituent en quelques heures des vies pleines d’embûches, de drames, de hontes, des vies qui se sont plus ou moins bien reconstruites. Et l’on revient sur cette brouille qui, pour beaucoup, est issue de malentendus, d’incompréhensions, à commencer par celle de l’écriture, sans laquelle Paul n’aurait pu survivre : « Comment peut-on exister sans écrire ? songe-t-il. Sans consigner inlassablement le mouvement de la vie ? Écrire est au contraire la plus sûre façon de ne rien rater de la vie, d’en débusquer les ressorts secrets invisibles à l’œil nu, de s’y ancrer ». Certains, comme son frère Nicolas, dont il fut très proche, reviennent sur les pouvoirs de nuisance de la famille : « Au nom de “l’esprit de famille”, cette valeur de merde, je me suis laissé entraîner, et je n’ai plus vu Paul. Notre qualité de frères l’a emporté sur notre amitié, alors que ç’aurait dû être le contraire. Je n’aurais jamais dû lâcher Paul, sous aucun prétexte, et surtout pas au nom d’une quelconque solidarité familiale. Il est là, le vrai scandale ! ».

Nous étions nés pour être heureux est, si l’on veut, un roman à clés, mais là n’est pas le plus important. Si on reconnaît Lionel Duroy dans le personnage de Paul, si tous les personnages correspondent à des personnes réelles, si les lieux (la région du Ventoux) sont reconnaissables et si les faits évoqués ont bien eu lieu, la condensation fictionnelle et quasiment théâtrale de l’action et des sentiments confère au roman une tension, une authenticité que le pur récit autobiographique ne pourrait pas apporter.

Jean-Pierre Longre

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05/03/2021

Dash chez Pinkerton

Nouvelle, francophone, anglophone, policier, François Guérif, Stéphanie Benson, Benjamin Guérif, Julien Guérif, Jérôme Leroy, Marcus Malte, Jean-Hugues Oppel, Benoît Séverac, Marc Villard, Tim Willocks, Natalie Beunat, Syros éditions, Points, Jean-Pierre LongreCollectif, Hammett Détective, Syros, 2015, Points, 2021, avec une préface inédite de François Guérif.

Il y a soixante ans mourait Dashiel Hammett, maître du roman noir américain. C’était, volontairement ou non, l’occasion de rééditer Hammett Détective, qui, lors de sa première parution en 2015 chez Syros, « fêtait le centenaire de l’arrivée de Dashiell Hamett chez Pinkerton. » Cette nouvelle édition chez Points est augmentée d’une préface de François Guérif, à qui l’on peut se fier en matière de polar… Il s’agissait donc de demander à neuf auteurs d’écrire une nouvelle dont « Dash » serait le héros, détective débutant chez Pinkerton, la fameuse agence.

Stéphanie Benson, Benjamin et Julien Guérif, Jérôme Leroy, Marcus Malte, Jean-Hugues Oppel, Benoît Séverac, Marc Villard, Tim Willocks (traduit par Natalie Beunat) apparaissent ainsi comme les successeurs de leur protagoniste, mettant en scène l’écrivain en jeune homme, ou en homme mûr racontant ses souvenirs, alors qu’il se sent accablé par le poids du passé, condamné pour ses opinions. « Dashiell se sentait si vieux aujourd’hui, alors qu’il avait à peine soixante ans : il avait vu trop de choses. Et son enfance et sa jeunesse lui semblaient loin, tellement loin… « Mais non, se dit-il intérieurement, un homme ne voit jamais trop de choses. J’ai connu tous les milieux et j’ai essayé d’en parler dans mes livres. » » Le voilà donc au centre des histoires, entouré de partenaires incontournables comme James Wright, directeur adjoint de l’agence, qui lui confie avec une bienveillance bourrue et une confiance bonhomme ses premières enquêtes, confronté à des personnages, bandits ou victimes, sur lesquels il doit se renseigner, qu’il doit rencontrer en évitant les gros dommages, et se référant périodiquement à d’illustres prédécesseurs comme Edgar Poe…

Autant de plumes différentes, autant d’histoires différentes, bien sûr et heureusement. Il y a les enquêtes, mais aussi des péripéties inattendues, des aventures périlleuses, soutenues par des évocations et des descriptions de lieux souvent urbains et glauques, parfois ruraux et froids, dans lesquels évoluent des êtres dont les mystères ne sont jamais complètements levés, même si les récits ont un dénouement. Et toujours Dash du côté des victimes, des innocents, des opprimés, Dash l’incorruptible anticipant sur son avenir littéraire, social, politique. Au-delà de la diversité des thèmes et des styles, ce qui fait l’unité du volume, c’est non seulement le personnage central, mais aussi l’atmosphère qui émane de toutes ces nouvelles – celle du roman noir américain.

Jean-Pierre Longre

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04/03/2021

Un très honorable délateur

Roman, francophone, Romain Slocombe, NIL, Pocket, Le Masque, Jean-Pierre LongreLire, relire... Romain Slocombe, Monsieur le Commandant, NIL, 2011, Pocket, 2013, Points, 2021, avec une préface inédite de Jérôme Leroy

Paul-Jean Husson, archétype de l’homme de lettres conscient de son talent, de son entregent et de sa notoriété, respectable académicien et notable respecté dans la sous-préfecture normande où il vit, est aussi le modèle du collaborateur, pétainiste de la première heure, admirateur de l’ordre nazi, antisémite acharné, xénophobe virulent, partisan de la fermeture des frontières, n’hésitant pas à dénoncer « l’immense flot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs slaves, de l’affreuse misère andalouse, de la semence d’Abraham et du bitume de Judée » (ce n’est qu’un exemple).

roman,francophone,romain slocombe,nil,pocket,le masque,points, jérôme leroy,jean-pierre longreL’excès de ces convictions provoque son drame personnel et familial : un fils qui va rallier la France Libre à Londres, une belle-fille d’origine allemande, dont une enquête secrète révèle qu’elle est juive (et que ses petits-enfants, donc, sont juifs aussi…), et dont il ne peut s’empêcher, malgré tout, de tomber passionnément amoureux. Le drame tourne au cauchemar – sans entamer pour autant son antisémitisme viscéral et son pro-nazisme exacerbé. Comment résoudre le dilemme ? Comment sortir de la nasse ? Tout bien pesé, en écrivant, dans le style impeccablement académique que lui prête l’auteur, une longue missive au « Sturmbannführer » de la ville – en trahissant, d’une manière aussi odieuse qu’hypocrite, ses propres sentiments, et en sacrifiant sa famille, ceux qu’il est censé aimer.

Roman, francophone, Romain Slocombe, NIL, Pocket, Le Masque, Jean-Pierre LongreD’aucuns ont vu dans le livre de Romain Slocombe un appel à la compréhension, voire à la bienveillance pour quelqu’un qui s’est rangé du côté des bourreaux. À y regarder de près, il n’en est rien. Les moments d’épanchement et d’apparente sociabilité ne font que mettre en valeur la foncière nocivité du personnage. Sous des dehors sensibles, c’est la brute qui se cache à peine, et qui ne sommeille pas. Derrière l’élégance du style, implosent l’insulte et l’injure. Et soixante-dix ans après ces événements, à l’heure où le fascisme se loge derrière des façades blanchies, où il se targue de compter parmi ses adeptes des notables bien mis et des jeunes gens bon genre – sans pour autant pouvoir passer sous silence sa violence fondamentale et sa haine viscérale de l’étranger –, il est utile de rappeler (qui plus est, comme ici, sous la forme d’un roman aussi complexe que terrifiant), que les pires horreurs, cautionnées par la peur sociale et économique, sont parfois perpétrées par des hommes cultivés et talentueux.

Jean-Pierre Longre

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Et à relire encore…

Roman, francophone, Romain Slocombe, NIL, Pocket, Le Masque, Jean-Pierre LongreRomain Slocombe, Mortelle Résidence, Le Masque, 2008

 « Ah, quel drame ! Quel lieu, Lyon… Quelle énergie…Ça m’inspire ! ». Cette réflexion de l’un des personnages résume en quelque sorte la teneur et l’esprit de ce livre foisonnant, qui entrecroise en Rhône et Saône les récits semi-historiques et semi-fictionnels, toujours sanguinaires et terriblement humains. De la Terreur (et même en deçà) à nos jours en passant par l’occupation nazie, du Chili à la France en passant par les camps d’extermination, des pires bains de sang au « performances » du pseudo art contemporain, Mortelle Résidence laisse à peine le temps de souffler. A flux tendu, certains hauts lieux lyonnais du passé et du présent, réels ou à peine déguisés (telle cette « Délivrance » dans laquelle les autochtones reconnaîtront les « Subsistances ») sont le théâtre d’épisodes qui ne laissent pas indifférents. A lire d’un élan, si possible.

JPL