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14/12/2023

Promenades littéraires

Nouvelle, francophone, Black Herald Press, Jean-Pierre LongreJean-Pierre Longre, Un an de solitude et autres histoires livresques, Black Herald Press, 2023

Présentation : Les nouvelles rassemblées dans ce recueil, promenades livresques qui traversent les siècles sur les traces de personnages tantôt imaginaires tantôt ancrés dans une réalité historique et esthétique à peine romancée, nous emmènent d’Uzès au Pont-Euxin en passant par Lyon et, bien sûr, par quelques librairies ; chacun des récits entre nécessairement en résonance avec les autres au cours de cette foisonnante exploration profondément humaine et érudite qui transcende l’espace, le temps et les genres littéraires et qui, en filigrane, esquisse une définition de la nature véritable de deux inséparables : la littérature et la lecture.

 « Jean-Pierre Longre est un lecteur furieux. Toujours, il lit. Et même quand il écrit, il lit encore. Son jeune homme fatigué des aridités du Sud ne peut être que Jean Racine, l'écrivain débutant qui admire Queneau est fatalement Perec, lorsque le Bourguignon érudit descend à Lyon, on est forcément au XVIe siècle pour y croiser une poétesse, lorsqu'un personnage voyage, c'est évidemment un voyage à la Rimbaud... Tous les récits sont entrelacés de lectures, mais, attention, ce sont aussi des histoires et des personnages, comme ces amoureux des livres qui sont aussi des amoureux tout court sur leur lit de délices. »

Paul Fournel

« Concilier l’humilité et une certaine forme d’arrogance n’est pas une gymnastique très confortable. Le jeu consiste d’abord à se provoquer soi-même en se refusant l’une après l’autre toutes les facilités, toutes les habiletés qu’autorisent l’expérience de la plume et la fréquentation des bons auteurs. À ce jeu, d’emblée Jean-Pierre Longre est passé maître. Mais il est passé en force. Avec à ses côtés cette puissance occulte : la littérature. »

Alain Gerber

Une recension de Radu Bata dans ActuaLitté (14 novembre 2023): voir ici

Et une autre de Marc Villemain: voir

www.blackheraldpress.com

En vente ici : https://www.blackheraldpress.com/unandesolitude 

ou dans les librairies :

Librairie du Tramway,

92 Rue Moncey, 69003 Lyon

 https://lalibrairiedutramway.com

 

et aussi : 

L'Esperluète

10 rue Noël Ballay, 28000 Chartres

 

Vendredi

67 rue des Martyrs, 75009 Paris

Anima
3 rue Ravignan, 75018 Paris

Librairie Elisabeth Brunet

70, rue Ganterie, 76000 Rouen

Texture
94 Avenue Jean Jaurès, 75019, Paris

Compagnie
58, rue des Ecoles, 75005 Paris

L'Orange bleue

23, rue Caristie, 84100 Orange

Librairie Actes Sud
Place Nina-Berberova, 13200 Arles

Les Journées suspendues

23, avenue Borriglione, 06100 Nice

L’Autre Rive
19 rue du Pont Mouja, 54000 Nancy

Le silence de la mer 

5 Place Saint-Pierre, 56000 Vannes

L’herbe entre les dalles
7 rue de la Barillerie, 72000 Le Mans

08/12/2023

L’écriture contre l’effacement

Essai, francophone, Maxime Decout, éditions Corti, Jean-Pierre LongreMaxime Decout, Faire trace, les écritures de la Shoah, éditions Corti, 2023

Le projet du « Reichsführer-SS » Heinrich Himmler, exécuteur des basses œuvres de Hitler, était non seulement d’exterminer les Juifs, de « faire disparaître ce peuple de la terre », mais aussi d’éliminer toute trace de cette extermination, d’emporter le secret « dans la tombe ». « L’entreprise nazie […] relève d’une triple destruction : destruction d’un peuple, destruction de sa mémoire, destruction des traces de son anéantissement. » Maxime Decout, dans son livre, propose de montrer comment la littérature lutte contre l’effacement, et il le fait avec une précision particulièrement documentée, issue de recherches concernant des textes de toutes sortes.

Il s’agit d’abord  de « cerner la part occultée de l’extermination » à partir d’« œuvres survivantes » telles que les écrits d’André Schwartz-Bart et de Tadeuz Borowski, ou les images de Claude Lanzmann dans Shoah ; ce sont aussi les œuvres parvenues « par-delà la mort de leur auteur » (la plus célèbre étant le journal d’Anne Frank), et qui « ouvrent un espace de résistance essentiel dans lequel l’écriture s’est dressée contre une extermination si généralisée qu’elle la mettrait elle-même en péril. » Dans un deuxième temps, l’auteur étudie ce qu’il appelle « un puissant mal d’archive », posant entre autres la question du rapport entre fiction et « authenticité du témoignage », ainsi que celle des sources. Car le document se transformant en œuvre littéraire devient plus visible, plus intense, tentant ainsi de dire l’indicible. L’exemple de Charlotte Delbo qui, plus tard que Rousset et Antelme, livre son témoignage sous forme de constat morcelé, en « paragraphes disloqués » confinant à la poésie, est particulièrement significatif. Une importante section consacrée à Perec et à son autobiographie W ou le souvenir d’enfance pose la question du rôle de la construction littéraire dans la « réhabilitation » des faits. De même Modiano, qui aborde le problème tour à tour par le biais de la fiction (Voyage de noces) et par celui du récit de quête (Dora Bruder). La quête, en outre, peut suive « la trame générale d’une histoire collective et les destins singuliers des individus sur lesquels elle porte. »

Au fil de l’ouvrage, particulièrement riche en références d’œuvres et d’auteurs, Maxime Decout insiste ouvertement ou en filigrane sur le rôle du lecteur, qui doit endosser une double mission : « relayer à son tour l’éradication des faits par le génocide et faire survivre le texte. » Mieux que le « tourisme mémoriel » consécutif à « l’industrie de la mémoire », c’est dans l’art et la littérature que nous trouverons la capacité d’affronter « le monstre de la mémoire et l’effacement des traces. »

Jean-Pierre Longre

www.jose-corti.fr  

02/12/2023

Queneau de nouveau

Roman, francophone, Raymond Queneau, Henri Godard, Jean-Philippe Coen, Jean-Pierre Longre, Suzanne Meyer-Bagoly, Gilbert Pestureau, Emmanuël Souchier et Madeleine Velguth, Gallimard, Bibliothèque de la PléiadeRaymond Queneau, Œuvres complètes II, Romans tome I. Édition publiée sous la direction d'Henri Godard avec la collaboration de Jean-Philippe Coen, Jean-Pierre Longre, Suzanne Meyer-Bagoly, Gilbert Pestureau, Emmanuël Souchier et Madeleine Velguth, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, n° 485, 2002, rééd. 2023

Appendices : Textes et documents inédits relatifs aux romans publiés dans ce volume - Technique du roman. Le Chiendent - Gueule de pierre - Les Derniers jours - Odile - Les Enfants du limon - Un Rude hiver - Les Temps mêlés - Pierrot mon ami.

Présentation:

Queneau n'est pas un romancier comme les autres. Il l'est si peu qu'on ne pense pas toujours spontanément à lui comme à un romancier, bien qu'il ait publié treize romans. Peut-être est-ce dû à son parti pris du rire et du jeu, à sa volonté d'amuser le lecteur et de s'amuser lui-même. Queneau ne serait-il pas un écrivain sérieux ? Le ton drolatique qu'il adopte a pu parfois dissimuler les autres facettes de sa personnalité de romancier : sa volonté d'être le témoin du monde et de l'histoire de son temps, ou son besoin de donner figure par l'imaginaire à des interrogations existentielles. Il est non moins vrai que l'on trouve au cœur même de ses romans des orientations moins évidemment « romanesques » : par certains côtés, Queneau reste surréaliste malgré sa rupture avec le groupe de Breton ; il est aussi philosophe, et en particulier un philosophe de la langue et des mathématiques ; et il est passionné d'anthropologie, de psychanalyse, d'histoire des religions - sans parler de son attirance, sans doute moins connue, pour le gnosticisme et l'ésotérisme.

https://www.la-pleiade.fr

https://www.gallimard.fr

16/11/2023

La poésie des titres

Poésie, francophone, Christophe Gilot, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreChristophe Gilot, Quatrains de bouquiniste, Cactus Inébranlable éditions, 2023

La poésie peut naître de multiples façons. Souvent, c’est le regard posé sur le monde, sur les choses qui par la magie du verbe s’élargit vers les espaces de l’imagination, en un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur. C’est le cas ici, avec comme point de départ ce que l’auteur, bouquiniste de son état, a sous les yeux à longueur de journée : des titres de livres. Il les range quatre par quatre sur la page, donc en « quatrains de bouquiniste » – un rangement malicieux, qui ne doit rien au hasard.

Car il y a toujours, plus ou moins explicites, des rapports thématiques entre les titres superposés. Ce peut être le temps qui passe (« Je me souviens / l’invention du passé, / ce fragile aujourd’hui / dans un mois dans un an. »), le feu (« Fragments d’une poétique du feu / Nous sommes l’incendie / les combustibles / je sais, oui : les fleurs rouges, là-haut… »), un jeu (« Pierres noyées / sur la route du papier, / les ciseaux du couchant / dans ma main »), la fabrique même de la poésie (« En rêvant à partir de peintures énigmatiques, / devine ce que je vois ? / La couleur des mots / dormir au soleil. ») etc. Inutile de multiplier les exemples, il faut juger sur pièces, jusqu’au point suspendu du dernier quatrain qui se termine par « Temps zéro » d’Italo Calvino.

Il faut préciser que chaque titre de livre est assorti du nom de son auteur, ce qui crée chaque fois une sorte de quatrain secondaire d’où, pourquoi pas, peut naître une poésie seconde formée de noms parfois inconnus, l’exotisme du nom propre jouant son rôle ; au hasard : « Alexandria Marzano-Lesnevich / Sophie Tal Men / Tom Drury / Ella Silloë ». Ultime remarque : si chaque quatrain est autonome, quelques fils conducteurs s’insinuent dans les espaces vides en rapprochant certains titres comme « À même la peau », « À fleur de peau », « La mémoire dans la peau ». Voilà donc une espèce inhabituelle de poésie tenant du haïku, qui donne à imaginer ce que sont les livres ici évoqués sans qu’on ait à les ouvrir… Un nouvel art de lire, qui n’empêche pas, tout de même, d’aller y voir de plus près.

Jean-Pierre Longre

https://cactusinebranlableeditions.com

09/11/2023

Les révoltés du delta

roman, francophone, laurine roux, les éditions du sonneur, folio, jean-pierre longreLaurine Roux, L’autre moitié du monde, Les éditions du Sonneur, 2022, Folio, 2023

Sous la plume hypersensible de Laurine Roux, le delta de l’Èbre n’et pas seulement un monde où la nature sauvage – eaux, roseaux, oiseaux – prend ses aises ; c’est aussi un monde où les grands propriétaires exploitent les rizières en faisant travailler à toute force des paysans mal payés et mal traités. Nous sommes dans les années 1930, et les rapports sont quasiment féodaux, les premières victimes de l’injustice étant les femmes, que le fils de la « Marquise », jeune imbécile brutal et sans scrupules, n’hésite pas à traiter en objets sexuels. Dans cet enfer, Toya, gamine vive et débrouillarde, connaît le coin comme sa poche. « Elle pense à l’Èbre qui chemine coûte que coûte, à cette langue de boue, grasse et fertile, née pour atteindre l’embouchure, capable d’engrosser la mer de ses alluvions. »

Analphabète comme les autres, elle va peu à peu, grâce à Horatio, l’instituteur du village, s’ouvrir au monde de la lecture, de l’écriture, et aussi de l’amour. Elle va assister aux révoltes des paysans contre les puissants et leurs acolytes – disons le capitalisme, le sabre et le goupillon –, et par la même occasion nous, lecteurs, devenons partie prenante dans la complexité de ces révoltes, faites de spontanéité et de plans élaborés, de violence directe et de calculs politiques, de destructions et de tentatives de construction.

Une activité d’hommes, dira-t-on. Mais si ceux-ci sont des combattants, les femmes, cette « autre moitié du monde », victimes parmi les victimes, telle Pilar, la mère de Toya, sont aussi des héroïnes parmi les héros. On le voit à travers Toya, que Luz, étudiante antifranquiste des années 1960, va retrouver bien après la guerre qui a déchiré le pays. 1936 – 1968, deux tentatives d’émancipation radicale. Le cheminement de la jeune fille devenue femme fidèle au delta, en est un témoignage magnifique et terrible, dans lequel l’émotion, le courage, l’obstination, la sensualité, la colère sont des forces vitales. « Parfois, après la classe, Toya va sur la tombe de sa mère. Elle s’assoit à côté du monticule, reste le plus souvent sans rien dire. De temps à autre, l’adolescente raconte ses progrès en classe, les bêtes qu’elle a attrapées, la clôture de la marquise. Puis elle embrasse la terre, Je te le promets, tu seras vengée. »

Jean-Pierre Longre

www.editionsdusonneur.com

www.folio-lesite.fr 

02/11/2023

Miroirs du confinement

Roman, francophone, Sylvie Germain, Albin Michel, Jean-Pierre LongreLire, relire... Sylvie Germain, Brèves de solitude, Albin Michel, 2021, Le livre de poche, 2023

« En se dissociant ainsi de son image perturbée et surtout perturbante, elle se déleste du malaise qu’elle vient de ressentir. Elle se lève et relègue aussitôt dans l’anecdotique cette inquiétude produite par son reflet, elle revient à son habituelle relation au temps, fluide, rythmée et fantaisiste ». Ce que ressent Magali en plein confinement dû à la pandémie, tous les personnages de ce roman habilement et harmonieusement mené le ressentent, chacun à sa manière, alors que la solitude les assaille et que le disque de la pleine lune forme comme un immense miroir.

roman,francophone,sylvie germain,albin michel,le livre de pochejean-pierre longreIls sont d’abord présentés tour à tour dans un unique lieu, un square où ils se croisent, en marche ou assis, en promenade ou de passage. Il y a là Joséphine, une vieille dame qui regrette amèrement le passé ; Guillaume, qui note dans un carnet des bribes de l’Apocalypse ; Magali, qui veut profiter de la vie après avoir lutté contre la maladie ; Anaïs, jeune femme qui sur sa tablette s’accroche à un article plutôt philosophique ayant trait aux parfums ; Xavier, frappé par le drame d’un de ses élèves ; Stella, fine observatrice qui accompagne la vieille Mme Georges ; Serge, qui va être privé des visites à sa mère friande de pâtisseries ; le petit Émile, qui envoie « valdinguer son ballon » un peu n’importe où ; et puis, rythmant ces portraits vivants (dont les lignes ci-dessus ne donnent qu’un trait incomplet), apparaissant entre chacun d’eux, un « individu » auquel s’appliquent de nombreux qualificatifs (« le bizarre », « l’indéfini » etc.), et dont on comprend qu’il est un migrant, un naufragé de l’existence, qui n’a que son corps comme abri.

En miroir de la première partie (« Autour d’un silence »), la deuxième (« Lune solitudes ») nous fait retrouver chaque personnage sous un angle différent, confiné dans son logement, confronté à ses pensées, à ses rêves, à ses souvenirs, à ses observations, à ses petites et grandes douleurs, à ses fantasmes, confronté à soi-même, à son image. Ces Brèves de solitude sont de circonstance, certes, témoignages d’une période bien particulière. Mais c’est aussi et surtout un roman qui, dans sa rigoureuse construction symétrique, livre un portrait pluriel, tout en délicatesse, plein d’empathie pour le genre humain.

Jean-Pierre Longre

www.albin-michel.fr

www.livredepoche.com

26/10/2023

Un « habitus clivé »

Roman, francophone, Fabrice Caro, Gallimard, Folio, Jean-Pierre LongreFabrice Caro, Samouraï, Gallimard, 2022, Folio, 2023

Après le départ de Lisa, qui l’a quitté pour un universitaire fort sérieux, Alan a deux tâches principales à accomplir : surveiller la piscine des voisins partis en vacances, et écrire un « roman sérieux », sur les injonctions de ladite Lisa, ce qui pourrait « susciter chez elle une admiration qui, durant ces longs mois, lui a fait défaut, et tant pis si c’est trop tard. » Sa première grande idée, tout de suite soumise à son éditrice : « un livre somme, un livre fleuve » racontant, d’une manière romancée, l’épopée de ses grands-parents espagnols arrivés en France pour fuir le régime de Franco ; il se voit, dès la parution, invité dans de prestigieuses émissions littéraires, jouant le grand écrivain…

Hélas, rien ne marche ; la page reste blanche, tandis que la piscine des voisins devient verte, de plus en plus, une piscine « horriblement verte » à la surface de laquelle apparaissent de drôles de bestioles qui ont tendance à se multiplier. Une autre idée de roman ? La disparition, dans les environs, d’une jeune femme sur laquelle il imagine un récit-enquête. Évidemment, la première page restera blanche.

Il faut dire qu’Alan n’est pas fait pour la réussite. Ni en amour (les jeunes femmes que lui présentent avec insistance ses amis pour remplacer Lisa, même s’il les trouve bien sous tous rapports, n’ont pas l’air d’emporter son adhésion sentimentale), ni en littérature (son roman précédent n’a eu aucun succès, et l’actuel est mal parti), ni en société (par rapport à laquelle il se sent toujours en décalage), ni en bricolage (il faut voir son absolu complexe d’infériorité face au vendeur de Bricorama, qui ne cache pas son mépris)…

Tout cela donne un récit à l’humour parfois corrosif, parfois doux, courant en filigrane sous la prose ou explosant franchement en formules éclatantes. Une amie diagnostique par exemple un « habitus clivé » pour notre narrateur désemparé chez qui on perçoit « un déséquilibre permanent entre son soi social d’origine et son soi social d’adoption ». Dans Samouraï comme ailleurs, l’humour de Fabrice Caro est impayable mais non gratuit.

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr  

19/10/2023

Observateurs observés

Essai, art, photographie, sciences sociales, chanson, Gilles Bonnet, Éditions Universitaires de Dijon, Presses Universitaires de Provence, Jean-Pierre LongreGilles Bonnet, La photophonie au musée, Éditions Universitaires de Dijon, 2023

Pendant longtemps, il fut interdit de photographier les œuvres exposées dans les musées. Grand contraste avec ce qui se passe actuellement, le téléphone mobile, dans sa version photo (d’où le mot « photophonie » remplaçant celui de « photographie ») étant devenu, chez beaucoup de visiteurs, une sorte de prolongement, voire de suppléant du regard. Gilles Bonnet, qui pour l’occasion a dépassé les frontières de ses recherches littéraires, s’est fait savant et lucide observateur de « visiteurs-photographes, aux pratiques photophoniques aussi diverses que massives » – se faisant lui-même photographe de ces pratiques et de ces pratiquants. En cinquante textes, tous accompagnés d’un cliché, il analyse chaque type d’approche.

Ce qui ressort de ces commentaires illustrés, détaillés, érudits, richement documentés (voir l’abondante bibliographie finale), c’est principalement la double idée d’appropriation à caractère autobiographique et de partage social : « La photophonie, au musée comme ailleurs, on le sait bien, instaure une séquence de gestes successifs, dont le principal est probablement le partage. Le cliché est souvent pris et pensé, dès le départ, comme devant être envoyé aux « amis » des applis et à leur communauté. » Ce cliché, qui plus est, peut être retouché, recadré, transformé : « Transgression tactile : pouvoir manipuler ce qui, parce qu’œuvre, est devenu irrémédiablement intouchable. »

Les analyses ne reculent pas devant la complexité des processus enclenchés par l’usage muséal du smartphone, instrument de communication et de fixation, instrument à la fois personnel et collectif, « qui nous donne à voir, littéralement et dans tous les sens, selon que le pronom « nous » se fait COI ou COD : accès à l’infini des connaissances comme à la diversité des communautés en même temps qu’aspirateur à données personnelles capable de tracer la moindre de nos activités. » L’auteur se fait volontiers sociologue, au plus près des individus et des groupes qu’il donne à voir, eux-mêmes en train de voir. Il y a un « consensus social » dans cette activité qui réunit bourgeoisie et classes populaires via l’instrument utilisé. Et ce constat d’apparente « symétrie des classes » n’entraîne aucune critique, au contraire, de l’attirance « touristique » pour les « tableaux-stars » que, malgré la « reconnaissance du déjà vu », chacun veut et peut s’approprier. Un peu d’humour, dans ce contexte, se glisse entre clichés et textes, par exemple lorsque des mains que l’on croirait sculptées par Rodin se referment sur un smartphone, ou lorsqu’on voir un corps se plier à de drôles de mouvements voulus par la prise d’une vidéo…

Étude esthétique, psycho-sociologique, d’où les considérations techniques ne sont pas exclues, La photophonie au musée est un essai indispensable pour qui s’intéresse aux mœurs d’aujourd’hui.

Jean-Pierre Longre

Essai, art, photographie, sciences sociales, chanson, Gilles Bonnet, Éditions Universitaires de Dijon, Presses Universitaires de Provence, Jean-Pierre LongrePour rappel : Gilles Bonnet, qui n’hésite pas à fréquenter les marges littéraires et artistiques, a publié en 2021 un ouvrage sur les œuvres littéraires écrites par des chanteurs du début du XXe siècle : Auteur-Compositeur-Interprète-Écrivain, L’âge de l’ACIÉ (2000-2020), aux Presses Universitaires de Provence. Ne pas oublier ce livre-carrefour qui n’exclut aucune zone culturelle.

 

http://eud.u-bourgogne.fr

https://presses-universitaires.univ-amu.fr

12/10/2023

Une jeune Lyonnaise dans le Yunnan

Récit, journal, correspondance, Histoire, Guillemette Laferrère, La Route de la Soie-Éditions, Jean-Pierre LongreGuillemette Laferrère, Derrière la muraille de briques, « Journal d’une Chine encore maoïste », La Route de la Soie-Éditions, 2023

Août 1981 : Guillemettre Laferrère, 25 ans, diplômée de l’INALCO, débarque à Kunming, dans la pointe sud-ouest de la Chine, en tant qu’ « experte » : elle va enseigner le français à des adultes (enseignants, étudiants en ingénierie, futurs interprètes…). Par la même occasion, elle ira passer le CAPES de Chinois à Hong-Kong, et elle pourra « assouvir sa soif d’aventures ». Ayant tout récemment retrouvé le pays, et mesurant les « changements radicaux » qu’il a subis en quarante ans, elle a décidé d'attiser ses souvenirs grâce au journal qu’elle a tenu à l’époque et aux courriers envoyés à ses proches.

Cela donne un fort volume empli d’anecdotes émouvantes ou drôles, de descriptions pittoresques, de remarques personnelles ou générales, de réflexions sur la société, la politique, la culture, de tableaux pris sur le vif, de portraits attachants ou incisifs, de récits variés… Le lecteur suit avec un intérêt toujours renouvelé le cheminement quotidien de cette jeune femme en découvrant avec elle les us et coutumes du pays, les types de relations entre et avec les autochtones, les paysages urbains et ruraux, montagnards ou désertiques (au cours de ses escapades et de ses voyages).

Comment choisir ? Il y a les usages auxquels il faut se plier (par exemple, pour les femmes, ne pas être en nu-pieds, ne pas s’étonner devant la manière d’aspirer la nourriture, ne pas se scandaliser devant la mauvaise volonté des employés de commerce ou d’administration, se sortir indemne des bousculades et des coups reçus dans les côtes, n’entraînant pas la moindre excuse…), et ceux auxquels elle décide de s’opposer (demander aux étudiants de ne pas cracher par terre pendant les cours). Il y a le sentiment (fondé) d’être sans cesse espionné, dans le travail, la vie quotidienne, les trajets, et d’être dans un pays fermé : « D’après un étudiant, le seul service efficace en Chine est le service de sécurité. » Un pays fermé par la « muraille de briques », symbolisée par « le mur de briques qui s’élève autour de la maison » où résident les « experts » étrangers. Il y a les aléas du climat (montagnard et tropical), les difficultés de la vie quotidienne, avec son manque d’hygiène, la pollution, l’exiguïté des logements, la pauvreté, le nationalisme politique, mais il y a aussi l’amitié inoubliable de certaines personnes, les découvertes telles que la chirurgie sous acupuncture, les marchés grouillant de nourriture et d’odeurs, les séances de cinéma, les discussions, les visites familiales, les vastes paysages admirés au cours de randonnées, d’ascensions ou de longs voyages en train relatés dans la deuxième partie de l’ouvrage…

Voilà un document foisonnant de détails sur la vie en Chine dans les années 1980, à partir d’une expérience et d’une plongée personnelles au plus profond de cette vie. Mais ce n’est pas tout : la narration, fort bien menée, débouche sur une vision d’ensemble, une mise en perspective qui, malgré la modestie revendiquée du propos, pousse à la réflexion, à l’appui du texte et des photos très parlantes qui occupent les dernières pages : l’évolution technologique du pays, l’élévation du niveau de vie, mais aussi la dictature, la répression (celle des Ouïghours notamment), et plus généralement la question de savoir si les Chinois endurent toutes les vicissitudes de leur vie par passivité ou par endurance. Une interrogation qui dépasse d’ailleurs le cas particulier, et qui est laissée à la méditation de tous.

Jean-Pierre Longre

www.laroutedelasoie-editions.com

08/10/2023

Le labyrinthe du passé

Roman, francophone, Patrick Modiano, Gallimard, Jean-Pierre Longre

Lire, relire... Patrick Modiano, Chevreuse, Gallimard, 2021, Folio, 2023

S’il fallait schématiser globalement l’œuvre de Patrick Modiano (entreprise hasardeuse, voire impossible), c’est l’image de la spirale qui pourrait venir à l’esprit : des retours incessants à un passé réel, rêvé ou fantasmé, un passé qui n’est jamais vraiment le même, et des passages périodiques en des lieux toujours nommés qui ne sont pourtant pas toujours identiques, avec des personnages parfois récurrents. L’impression de tourner en rond, mais en découvrant chaque fois, d’étape en étape, de livre en livre, quelque chose de nouveau, ajoutant une couche supplémentaire à la matière romanesque.

roman,francophone,patrick modiano,gallimard,jean-pierre longreChevreuse n’échappe pas à cet embryon d’analyse. Entraîné par une certaine Camille « Tête de mort », puis par une autre femme, Martine Hayward, le protagoniste, Jean Bosmans, va circuler dans un espace compris entre Chevreuse, Auteuil et Paris (avec tout de même une parenthèse dans le sud de la France) et entre trois périodes, l’enfance, la jeunesse et un passé tout récent. Il va croiser quelques personnages louches (Guy Vincent, Michel de Gama – ou Degamat –, René-Marco Heriford, Philippe Hayward) qui ont l’air de vouloir s’en prendre à lui, parce qu’autrefois il aurait assisté à une scène qu’il n’aurait pas dû voir dans une « maison de la rue du Docteur-Kuzenne » à Jouy-en-Josas ; il va se rendre à plusieurs reprises dans un appartement d’Auteuil où le reçoit une jeune femme, Kim, à la fois accueillante et réservée, qui garde un enfant – un appartement où, la nuit, il se passe de drôles de rencontres… Des mystères, donc, entretenus par le silence de Camille (« Dès leur première rencontre, il avait remarqué chez Camille une grande aptitude au silence. Il avait vite compris qu’elle garderait toujours le silence sur son passé, ses relations, son emploi du temps, et peut-être aussi ses activités de comptable. Il ne lui en voulait pas de cela. On aime les gens tels qu’ils sont. »), des mystères qu’il tente de percer en sondant le passé, et même en esquissant des tableaux récapitulatifs, « comme pour se guider dans un labyrinthe. »

Bien sûr, on suit des fils qui se débobinent, mais qui finissent par s’entremêler, pour le lecteur comme pour Bosmans, « qui depuis des années avait l’habitude de vivre sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve, et de les laisser s’éclairer l’un l’autre, et quelquefois se mêler », et qui tente de creuser « en profondeur », afin de découvrir « un réseau autour de [lui] qui se développe à l’infini. » Vie vécue, oui, mais désormais dans les pages que Bosmans-Modiano écrit, dans le livre que compose le personnage, vie qui ne se maintient que par la grâce de l’écriture : « Il n’était plus le même, désormais. Pendant qu’il rédigeait son livre et que les pages se succédaient, une période de sa vie fondait, ou plutôt se résorbait dans ces pages comme dans du papier buvard. » Comme ceux de Raymond Queneau et de quelques autres, les personnages de Modiano s’animent et disparaissent au gré du temps, et surtout au gré de l’existence littéraire que leur confère l’auteur : « Les rues de Paris de ces mois-là resteraient pour lui grises et noires elles aussi, à cause de son livre, dans lequel il s’était inspiré de ces personnes. Il leur avait volé leurs vies, et même leurs noms, et elles n’existeraient plus qu’entre les pages de ce livre. » Seuls quelques écrivains, dont Patrick Modiano, parviennent à accomplir ce genre de miracle littéraire.

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr 

roman,francophone,patrick modiano,gallimard,Folio,jean-pierre longre

Et bientôt une chronique sur La danseuse, dernière parution de Patrick Modiano...

 

01/10/2023

Les massacres et les silences

Roman, Histoire, francophone, Roumanie, Lionel Duroy, Miallet-Barrault, Jean-Pierre LongreLionel Duroy, Mes pas dans leurs ombres, Mialet-Barrault, 2023

Son nom de famille est Codreanu, et pourtant Adèle, dont les parents ont émigré en France à l’époque de Ceauşescu, ne s’est jamais vraiment intéressée à la Roumanie. C’est à l’occasion d’un reportage à Bucarest, où l’envoie son rédacteur en chef, que la journaliste va découvrir l’histoire de son pays d’origine, ainsi que le passé trouble de son ascendance : son grand-père, qui fut un haut responsable communiste, n’a-t-il pas été auparavant un militant de l’extrême-droite antisémite sous le général Antonescu ? C’est en tout cas ce que vont lui révéler des habitants de Iaşi, la ville de sa famille.

Prise de passion pour ses recherches sur les massacres de Juifs, dans les années 1940, entre la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine, confortée par la lecture des livres d’Aharon Appelfeld et d’Edgar Hilsenrath, elle va parcourir les lieux de ces massacres et se poser des questions sur leur oubli : « Découvrant au même moment ce qu’avait été l’existence des Roumains sous le communisme (dont je n’avais rien voulu savoir de la part de mes parents) et le massacre des Juifs par ces mêmes Roumains, je confondais les époques, passais de l’une à l’autre comme si elles étaient liées. J’ai cherché à comprendre pourquoi mon cerveau établissait ce lien et je suis parvenue à me le formuler : des Juifs avaient été tués sous le régime fasciste du général Antonescu (combien ? je n’en savais rien) et ils l’avaient été une deuxième fois sous le régime communiste par l’interdiction de se souvenir d’eux, par l’effacement de leurs noms des mémoires et des livres d’histoire. »

Périple historique (le livre donne beaucoup de précisions sur les lieux et les dates), il s’agit aussi d’un périple individuel et initiatique : les découvertes faites par Adèle bousculent sa vie sentimentale (elle se sépare de son mari, trouve un nouvel amour en Moldavie), sexuelle (sa frénésie d’exploration du passé rejaillit en quelque sorte sur ses désirs charnels), familiale, puisqu’elle dévoile à son père le passé de son grand-père, probablement complice de massacres de Juifs (« En plus d’être un menteur, ton père était probablement un salaud, peut-être même un assassin […]. Je me demande même si, au fond, tu le savais mais préférais que cela reste enfoui ») et citoyenne, puisque la Moldavie et la Roumanie, malgré le passé tu, malgré tout, semblent devenir son propre pays. Lionel Duroy, qui avec Eugenia avait déjà fait des pogroms (celui de Iaşi en particulier) un thème dramatique, historique et romanesque, élargit ici le champ de vision, en passant toujours par les yeux et les mots d’une héroïne à fleur de peau.

Jean-Pierre Longre

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24/09/2023

« Car la mer et l’amour ne sont point sans orage »

Roman, francophone, Pascal Quignard, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Pascal Quignard, L’amour la mer, Gallimard, 2022, Folio, 2023

On connaît le goût de Pascal Quignard pour l’écriture fragmentaire ; on sait aussi qu’il maîtrise parfaitement l’art de la narration continue ; et que la musique, particulièrement la musique baroque, est l’un de ses sujets de prédilection. Ajoutons à tout cela l’amour, la mort et bien sûr la mer (le titre l’annonce), et nous avons la forme et la matière de ce beau roman qu’est L’amour la mer.

Nous sommes au XVIIème siècle, et comme dans La comédie humaine de Balzac nous retrouvons des personnages dont nous avons fait la connaissance dans de précédents ouvrages. Par exemple Meaume le graveur, dont les tribulations étaient contées dans Terrasse à Rome ; ou Monsieur de Sainte-Colombe, fameux violiste, rendu encore plus fameux par Tous les matins du monde, et qui détruisit par le feu ses rouleaux de partitions… Bien d’autres artistes venus de différentes régions d’une Europe en effervescence peuplent les pages du livre, parmi lesquels le claveciniste allemand Jakob Froberger et son élève Hanovre, le luthiste Hatten et son amante Thullyn, violiste qui aime « le sable trempé de l’estran qui brille » et « l’eau lumineuse de la mer » ; amour de l’homme, amour de la mer… C’est d’ailleurs avec elle, grâce à elle que l’on peut accéder au cœur du propos : « Thullyn lisait les cartes, où elle était sans pareille à découvrir la chance. / Elle aimait la musique et s’abandonnait entièrement à la douleur qui naissait d’elle. / Telles étaient ses deux passions si on oublie la mer puisqu’elle venait des îles du bout du monde. / Enfin elle avait une peur absolue de la mort. Cela faisait quatre couleurs. L’amour, la mer, la musique, la mort. »

roman,francophone,pascal quignard,gallimard,folio,jean-pierre longre

Roman, francophone, Pascal Quignard, Gallimard, Jean-Pierre LongreOn pourrait aussi évoquer « les épidémies, les bûchers des renégats, les émeutes des affamés, des révoltés, les barricades des parlementaires, les fumées des guerres religieuses » qui se dissipèrent « à la fin du monde baroque » avec, notamment, les « Suites de danses » de Froberger, que Bach reconnut plus tard comme son maître ; ou le château de Montbéliard où aimait se réfugier la princesse Sybille von Württenberg ; ou les sauts dans le temps qui nous font assister à la disparition des violes, à l’apparition des violons, altos, violoncelles, des piano-forte et des pianos ; ou même les confidences du narrateur sur son enfance… On entend toutes les voix, dialogues et monologues, on perçoit la multiplicité des points de vue, on se réjouit à lire la prose de Pascal Quignard, érudite sans pédanterie, musicale sans confusion. Et l’on se prend à imaginer que ce long récit aux multiples ramifications est une vaste extension du célèbre sonnet de Pierre de Marbeuf (1596-1645) qui commence ainsi :

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

 

Jean-Pierre Longre

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En lire plus sur Pascal Quignard :

http://jplongre.hautetfort.com/apps/search/?s=Quignard

Quignard et la peinture : Le regard et le silence. Terrasse à Rome de Pascal Quignard. .pdf

Quignard et la musique : Les oreilles n'ont pas de paupières... La haine de la musique de P.Q..pdf

19/09/2023

Les révélations du train de nuit

Roman, francophone, Philippe Besson, Julliard, Pocket, Jean-Pierre LongrePhilippe Besson, Paris-Briançon, Julliard, 2022, Pocket, 2023

Les trains font partie des lieux propices aux rencontres de hasard, à l’émergence d’affinités insoupçonnées, éphémères ou durables, sait-on jamais. L’Intercités de nuit n° 5789, qui fait le trajet de Paris-Austerlitz à Briançon en passant par Valence, Crest, Die, Luc-en-Diois, Veynes, Gap, Chorges, Embrun, Mont-Dauphin-Guillestre et L’Argentière-les-Écrins en fait partie, et Philippe Besson dirige son objectif sur une dizaine de voyageurs que rien, au départ, ne relie. Les chapitres du début sont consacrés aux portraits individuels : un médecin généraliste, un jeune moniteur de ski, une jeune femme et ses deux enfants, un couple de retraités militants syndicalistes, un VRP bon vivant, une petite bande de jeunes étudiants.

Les personnages ainsi campés avec un art consommé du portrait et une empathie sous-jacente mais évidente, les liens se nouent, les confidences s’échangent, la sensibilité émerge sous la carapace des apparences ; le huis-clos agit comme un cocon propice à l’expression de l’intimité, des secrets, de la sensualité, comme un révélateur de ce qui sans ce voyage serait resté enfoui dans les mémoires, les cœurs et les esprits, comme lorsqu’Alexis, le médecin, avoue ses difficultés familiales à Victor, le jeune sportif, ou lorsque Julia, la jeune femme, se confie entièrement à Serge, le VRP : « Il ne s’attendait pas à ça. Dans son interrogation entraient de la sympathie et le désir d’entamer une discussion puisqu’ils sont voués à rester un bout de temps dans cet habitacle et que le sommeil est loin de les gagner, mais il n’envisageait pas que cette femme viderait son sac, encore moins avec une telle rapidité. » Ou encore lorsque Catherine, la retraitée, dévoile la maladie de son mari à ses jeunes voisins de compartiment…

Moments de confiance, presque de bonheur, si l’on ne sentait pas planer sur tout cela une menace. Quelques phrases disséminées çà et là annoncent un malheur : « Difficile de croire que c’est une nuit pour mourir », ou « Ce qui est terrible, c’est de savoir comment tout cela va finir. » Laissons donc au lecteur la découverte du dénouement tragique, qui ne bénéficiera même pas de la compassion requise, à cause de notre « époque vulgaire, où plus rien n’est privé, où tout est spectacle, et surtout la souffrance, surtout la désolation, où la décence pèse si peu devant la prétendue « priorité à l’information », où le goût de l’immédiateté prive de tout discernement, où les dommages collatéraux constituent un détail dérisoire. », de notre « époque accusatoire où il faut nommer des coupables, souvent sans preuves, les traîner dans la boue, les offrir à la vindicte populaire, et qu’importe s’il est démontré in fine qu’ils n’y étaient pour rien. » Voilà des ressentiments clairement ciblés, qui mettent en relief la magnifique leçon d’humanité que nous donne Paris-Briançon.

Jean-Pierre Longre

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17/09/2023

De la mort à l’amour

Roman, francophone, Marc Villemain, éditions Joëlle Losfeld, Jean-Pierre LongreMarc Villemain, Il faut croire au printemps, Éditions Joëlle Losfeld, 2023

Il y a l’intrigue, et il y a tout le reste. En ce qui concerne l’intrigue, pas de véritable suspense : les premières pages racontent comment le protagoniste, musicien de jazz, jette le cadavre de sa compagne du haut d’une falaise d’Étretat, leur bébé blotti dans son couffin sur la banquette arrière de la voiture. Et l’on connaîtra peu à peu les circonstances du drame : l’amour pour cette femme qui venait l’écouter jouer tous les soirs, la dégradation progressive, celle de la femme et celle du couple, les disputes, jusqu’à la plus violente de part et d’autre et ses conséquences. Voilà le point de départ, la cause de « tout le reste » qui fait l’objet du roman.

Dix ans ont passé, accompagnés du sentiment de culpabilité et du mensonge constant, puisque tout le monde croit à la disparition, non à la mort. Quelqu’un ayant cru voir sa compagne en Bavière, il joue le jeu de la vérité fictive et va voir sur place, accompagné de son fils ; là-bas, il va rencontrer Mado, serveuse dans l’hôtel où ils sont descendus, Mado qui, avec sa simplicité et son sourire de belle jeune femme, fait la conquête du père et du fils. Mais ceux-ci doivent repartir, car on leur a signalé que leur compagne et mère serait allée en Irlande, dans le comté de Cork. Nouveau départ, donc, nouveaux paysages, nouvelles rencontres, dont celle de Marie, avocate séduisante, qui s’occupe dans la région d’une affaire médiatique de meurtre (transposition romanesque d’une affaire réelle qui, en 1996, a défrayé la chronique). Marie, compréhensive et déterminée, fait à son tour la conquête du père et du fils…

Ainsi l’intrigue meurtrière est-elle devenue périple européen, quête itinérante d’un fantôme plus qu’improbable. Et finalement, c’est encore tout le reste qui compte le plus : la musique, amie de tous les instants, sombres ou lumineux, plus indispensable encore que les mots : « Les mots, ça engage trop, et après tout la musique peut bien servir à cela – à s’en jouer, des mots : la musique comme trompe-l’œil, comme camouflage, comme un présent à ceux auxquels précisément les mots font peur, pour les autoriser à se déclarer, à déclarer leurs flammes, leurs peines, leurs remords ou leurs espoirs, sans qu’ils aient à rougir, ni à souffrir l’affreuse sensation de mise à nu. » Et aussi la relation complexe, riche de tendresse et de compréhension, entre le père et son fils de 10 ans : « Entre eux il s’étonnait toujours de correspondances naturelles, pour ainsi dire magiques. Étrangement, il aimait chez lui ce contre quoi il luttait en lui-même : une disposition à la réclusion, au mutisme et à la rêverie. Il aimait que son fils ne souffrît pas des fascinations ordinaires de ceux de son âge et ne fût pas dupe de l’écume des choses. À quoi d’ailleurs il n’était pour rien : l’enfant était né ainsi. Il n’emmagasinait pas seulement le monde alentour, il s’y ouvrait et le laissait jeter en lui ses racines. » Et enfin l’amour, qui se dit ou ne se dit pas, pétri de pudeur ou hérissé de sensualité.

Au-delà de quelques détails malicieux, qui nous font par exemple retrouver quelques noms rencontrés dans des romans antérieurs (Géraldine Bouvier, Mado, Marc Villemain lui-même), Il faut croire au printemps est un roman au style délicat et précis (qui au passage ne rechigne pas devant l’emploi du subjonctif imparfait, et c’est justice), un roman plein de sensibilité, de confiance dans le genre humain (une confiance qui ferait presque oublier le mensonge initial), un roman qui traque et saisit les émotions irrépressibles d’un homme à qui le destin a apporté, inséparables de la vie, le cauchemar et l’espoir, le malheur et le bonheur.

Jean-Pierre Longre

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14/09/2023

Un festin pour toutes les papilles

Nouvelle, francophone, anglophone, Yvan Fauth, Belfond, Jean-Pierre LongreDéguster le noir, sous la direction d’Yvan Fauth, Belfond, 2023

L’avantage d’un recueil de nouvelles, c’est que l’on peut déguster l’une, faire une pause, passer à une autre et ainsi de suite. À la carte, pour ainsi dire. Et ici, « déguster » et « faire une pause » sont véritablement de mise : prendre plaisir à la lecture, un plaisir quasiment physique, et prendre le temps de la digestion entre deux textes. Car certains de ceux-ci n’y vont pas avec le dos de la cuiller pour les épices persistantes, les sauces fortement relevées, les viandes bien saignantes, les saveurs étourdissantes…

Les treize auteurs choisis par Yvan Fauth, le maître-queux, ont des recettes bien particulières, légères ou copieuses, pour combler les convives. Il y a là des personnages de toutes sortes, perspicaces ou naïfs, des goûteurs conscients des risques qu’ils courent, des cuisiniers originaux, voire bizarres, des criminels endurcis, des victimes, des monstres… Et autour du thème commun de la nourriture, une grande variété de sujets et de registres : boulimie ou anorexie, agueusie ou pléthore gustative, franche horreur ou humour noir, délicatesse ou cannibalisme, fantastique ou réalisme… Avec, en apothéose, un terrible dessert servi avec brio par R.J. Ellory. Après Écouter le noir, Regarder le noir, Toucher le noir, Respirer le noir, Déguster le noir est un festin composé de treize plats qui contentera des papilles délicates et robustes, intrépides et persévérantes, néophytes ou endurcies.

Les auteurs : Nicolas Beuglet, Christian Blanchard, Pierre Bordage, Patricia Delahaie, Sonja Delzongle, R. J. Ellory (traduit par Fabrice Pointeau), Jacques Expert, Jérémy Fel, Nicolas Jaillet, Anouk Langaney, Ian Manook, Bernard Minier, Cédric Sire.

Jean-Pierre Longre

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06/09/2023

Hors normes, survivre, revivre

Roman, francophone, Sandrine Collette, JC Lattès, Jean-Pierre LongreLire, relire... Sandrine Collette, On était des loups, JC Lattès, 2022, Le livre de poche, 2023

Prix Jean Giono 2022, Prix Renaudot des Lycéens 2022

Ils sont trois : Liam, le narrateur, « chasseur par nécessité » (pour la viande et les peaux de bêtes), mais aussi par choix, Ava, qui l’a suivi par amour jusque dans sa montagne isolée, loin de tout et de tous, et Aru, le petit garçon, venu au monde malgré les réticences du père à faire vivre un enfant au fin fond des forêts. Ava s’occupe du « môme » et de la maison, Liam part souvent pendant plusieurs jours à la poursuite des bêtes sauvages, et la vie suit ainsi son cours jusqu’au jour où l’homme, revenant chez lui, ne voit pas son fils courir à sa rencontre comme il le fait d’habitude. Et il le découvre caché, protégé sous le cadavre de sa mère tuée par un ours.

roman,francophone,sandrine collette,jc lattès,le livre de poche,jean-pierre longreC’est au-delà du chagrin, au-delà des pleurs, au-delà de l’amour même. « Avec Ava qui n’est plus là c’est déjà la moitié de mon monde qui s’est écroulé et si je n’arrive pas à chasser alors. N’importe qui le dirait qu’on n’emmène pas un gosse de cet âge dans cette vie il ne ferait que me gêner, il ne faut pas en arriver à ce point pour lui et pour moi. Je ne peux pas me mettre à le détester. Je n’ai pas la force. » Liam a enterré sa femme, puis est parti à la ville, à plusieurs jours de marche, avec ses chevaux et son fils dans le but de confier celui-ci à son oncle et à sa tante, qui refusent tout net. Il décide donc de faire avec lui une sorte de pèlerinage au lac lointain dont rêvait Ava.

Commence un long périple, d’abord le long des routes où foncent des camions et où ils croisent des gens intrigués par cette drôle de mini caravane – un homme des bois sans même un téléphone, un petit garçon et deux chevaux… Puis c’est la forêt solitaire, où l’on perçoit au loin, « par ricochet », le hurlement des loups. « Le chant des loups nous appelle parce que c’est notre chant et aussi loin qu’on puisse remonter il y a l’éclat d’un animal en nous, c’est pour ça que ça m’émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. » Et c’est le lac d’Ava, où l’histoire a failli finir cruellement, ensuite le long du chemin ce sont quelques masures dont les habitants peuvent parfois fournir un peu de nourriture et, aux abords de la montagne, le frôlement monstrueux de la mort évitée de justesse. Aru, petit garçon de cinq ans et demi qui paraissait être un poids pour son père, devient celui qui le sauve dans la soudaineté du danger, et le fait revivre avec l’aide de rares et fidèles amis.

Récit plein de violence et d’émotion, tantôt lent tantôt haletant, On était des loups est un chant d’amour conquis sur le chagrin, la colère, la dureté de la vie, de la nature et des hommes ; un chant d’amour de l’homme pour la montagne sauvage, ses forêts et ses animaux, un chant d’amour de Liam pour Ava et finalement pour Aru, l’enfant qui parvient à apprivoiser son père. Le style de Sandrine Collette est d’une poésie rude et libre, aussi rude et libre que ses héros, un style en marge des règles communes de la syntaxe officielle ; il est l’expression poignante d’existences hors normes, elles aussi en marge des règles communes de la vie ordinaire.

Jean-Pierre Longre

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Juifs contre bétail

récit, histoire, francophone, Roumanie, Sonia Devillers, Flammarion, Jean-Pierre LongreLire, relire... Sonia Devillers, Les exportés, Flammarion, 2022, J'ai lu, 2023

Ils s’appelaient Harry et Gabriela, et Sonia, leur petite-fille, les a bien connus. Juifs sans le vouloir, mais obligés de l’être. « Je savais qu’ils étaient juifs, mes grands-parents. Je savais aussi qu’ils n’y accordaient aucune importance, qu’ils ne portaient même plus de nom juif. » Ils ne parlaient pas de ce qu’ils avaient vécu avant et pendant la guerre, accréditant ainsi l’idée que l’antisémitisme n’avait pas sévi en Roumanie, le pays où ils habitaient. Et pourtant… Pogroms, emprisonnements, déportations, tout cela avait bien eu lieu. Mais pour Harry et Gabriela Greenberg, qui prirent le nom de Deleanu parce qu’ils se sentaient plus roumains que juifs, « la franche horreur se situait ailleurs, dans cet exil forcé de 1961, ce voyage si terrorisant de Bucarest à Paris, vécu par ma mère lorsqu’elle avait quatorze ans. »

récit,histoire,francophone,roumanie,sonia devillers,flammarion,j'ai lu,jean-pierre longreLe livre relate toutes les étapes, ô combien éprouvantes, accidentées, périlleuses que sa famille maternelle (son arrière-grand-mère, ses grands-parents, sa mère, sa tante) dut franchir, eux qui avaient eu foi dans le communisme et qui devinrent des parias, pour parvenir à fuir la dictature et les sévices et arriver à Paris, échangés contre… des machines agricoles et du bétail (en particulier des porcs). Car la Roumanie de 1960-1961 avait grandement besoin de renforcer son matériel agricole et son cheptel. Un homme, trafiquant habile, aventurier ambigu et sans grands scrupules (qui pourtant rendit de grands services à nombre de Juifs roumains, dont la famille Deleanu), Hongrois devenu Ukrainien puis Britannique, Henry Jacober, fut la cheville ouvrière de ce troc. Un chapitre entier est consacré à la reproduction (traduite) de documents que Sonia Devillers a trouvés dans les dossiers de la Securitate, et qui dressent la liste des « personnes autorisées à quitter le pays » en échange de vaches, cochons, moutons, taureaux (tous de bonne race), ainsi que de machines agricoles performantes – listes à l’appui là aussi. Cette période plutôt artisanale fut suivie, après l’arrivée au pouvoir de Ceauşescu, d’un commerce identique et même accéléré, mais avec comme monnaie d’échange des centaines de milliers de dollars…

Le témoignage familial de Sonia Devillers, plein d’anecdotes émouvantes, est au cœur du récit. Mais il est l’occasion d’une véritable enquête historique sur les Juifs roumains du XXe siècle, où l’autrice s’appuie non seulement, en journaliste chevronnée, sur les témoignages directs et sur les archives, mais aussi sur des ouvrages comme ceux de Mihai Sebastian, Matatias Carp, Radu Ioanid, Ion Pacepa, qui montrent que la succession des régimes (notamment fascisme puis communisme), n’a jamais épargné les Juifs, quels qu’ils soient. Les statistiques sont formelles : « À la fin des années1930, la Roumanie comptait 750 000 juifs roumains. Au cours de la seconde guerre mondiale, la moitié d’entre eux furent assassinés. » Ajoutons à cela les 130 000 qui, vivant en Transylvanie, furent déportés à Auschwitz. « Au sortir de la guerre, la Roumanie ne comptait plus que 350 000 citoyens d’origine juive. […] Quatre décennies plus tard, lorsque Nicolae Ceauşescu fut renversé en 1989, les juifs étaient moins de 10 000 dans le pays. Ils avaient physiquement disparu. La Roumanie était bel et bien devenue un pays sans juif. » Ce récit est aussi l’occasion d’une réflexion sur l’exil, les racines, la langue : la mère de Sonia, Marina, arrivée adolescente de Roumanie, épousa ensuite un Français, et ne parla à sa fille qu’en français ; celle-ci parle donc sa « langue paternelle » - sauf si l’on considère la langue maternelle comme celle de la mère patrie… Finalement, évoquant la figure, le sort et les écrits de Georges Perec, elle interroge une judéité qu’elle ne ressent pas, et le sentiment de l’exil : « Je suis étrangère à quelque chose de moi-même. » Familial, pathétique, historique, dramatique, Les exportés résonne aussi comme un questionnement personnel dans lequel le lecteur ne peut se sentir que profondément impliqué.

Jean-Pierre Longre 

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18/08/2023

Avant-garde et singularité

Art, Poésie, essai, francophone, Roumanie, Paul Paon, Paul Păun, Librairie Métamorphoses, Jean-Pierre LongrePaul Paon / Paul Păun, Chimères, Métamorphoses, 2023

Dans la première moitié du XXe siècle, la Roumanie fut le théâtre d’une grande effervescence culturelle, d’une intense activité avant-gardiste qui passa largement les frontières et apporta un souffle nouveau au monde de l’art. Légèrement après la génération de Tristan Tzara ou Benjamin Fondane, à côté de figures notoires comme celles de Ghérasim Luca ou Gellu Naum, Paul Păun (1915-1994) joua un rôle déterminant dans le renouveau artistique et intellectuel de cette période, dans son pays natal jusque dans les années 1950, puis en exil à l’étranger (Italie, Israël, avec des incursions en France, le pays dont il avait adopté la langue.)

Art, Poésie, essai, francophone, Roumanie, Paul Paon, Paul Păun, Librairie Métamorphoses, Jean-Pierre Longre« Dessinateur, poète, écrivain, polémiste (mais aussi médecin et chirurgien) », devenu Paul Paon ou Paul Paon Zaharia après son départ de Roumanie, il fut l’un des membres fondateurs du groupe surréaliste de Bucarest (avec Ghérasim Luca, Gellu Naum, Trost, Virgil Teodorescu), et son œuvre écrite et graphique est marquée à la fois par cette appartenance et par une sensible singularité, d’où peut-être la discrétion avec laquelle elle s’est épanouie. Une exposition rétrospective, donnant une vision globale et néanmoins précise du travail de l’artiste, était donc salutaire – et la librairie Métamorphose s’est chargée de cette présentation, dont a été tiré un très beau catalogue intitulé Chimères, et dont la consultation donne des ouvertures infinies.

Art, Poésie, essai, francophone, Roumanie, Paul Paon, Paul Păun, Librairie Métamorphoses, Jean-Pierre LongreAprès une préface de Denis Moscovici et un parcours biographique de Monique Yaari mêlé de souvenirs (il était son oncle), et avant un bien utile tableau chronologique, quatre grandes sections composent l’ouvrage : la première et la plus importante (en longueur et en beauté), une vue significative et chronologique des dessins commentée par Radu Stern, spécialiste des avant-gardes ; puis une transcription du Carnet écrit par l’artiste entre 1984 et 1991, suivie de reproductions de livres, tracts, lettres et manuscrits donnant une idée fidèle de ses publications individuelles et collectives ; en troisième lieu, le rappel, documents à l’appui, d’expositions et de catalogues antérieurs (de Bucarest à Londres en passant par Tel-Aviv, Jaffa, Paris, Marseille etc.) ; enfin, des dessins, photographies et documents évoquant des souvenirs amoureux (avec des portraits de « Réni », sa femme) et amicaux (Ghérasim Luca et plusieurs autres).

Chimères suscitera la curiosité, le désir, l’intérêt tant des spécialistes que du grand public, à propos d’un artiste que cachèrent partiellement et involontairement les statures de certains de ses compagnons plus célèbres. La succession de dessins, de documents et d’écrits présente le cheminement d’un novateur qui, tout en restant fidèle à l’esprit de l’avant-garde surréaliste, a créé une œuvre originale : Radu Stern analyse finement la manière dont Paul Păun, « entièrement autodidacte en arts visuels », est passé de la « plastique » à ce que Trost appelle « l’aplastique », plus simplement d’images « reconnaissables » à des « images méconnaissables », dessins en mouvements, en traces et ombres entremêlées (selon un itinéraire, toutes précautions prises, à celui de Christian Dotremont avec ses logogrammes). Remarquable par sa densité et son esthétique, ce livre, plus qu’un catalogue, revêt toutes les dimensions d’une monographie artistique complète.

Jean-Pierre Longre

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14/08/2023

L’envers des Lumières

Roman, francophone, Nicolas Cavaillès, éditions Corti, Jean-Pierre LongreNicolas Cavaillès, Les ombres opposées, éditions Corti, 2023

Ils ont beau être « opposés », les hommes que Nicolas Cavaillès a choisis comme protagonistes de son roman ont des points communs : tous deux ont bel et bien existé, fruits du Siècle des Lumières qui recèle tant de personnages méconnus, de passions disparates et de contradictions fructueuses ; tous deux sont originaires de Pont-de-Veyle, bourgade située non loin de Mâcon, côté Bresse, et traversée par la grande et la petite Veyle. Là s’arrêtent les similitudes. Car « l’un ne se mêla de rien, l’autre refit le monde ».

Le premier, Antoine de Ferriol, comte de Pont-de-Veyle, naquit avec à son chevet les privilèges de la noblesse, et n’en fit pas grand-chose – sans ambition sociale, aimant les loisirs, le théâtre, profitant de l’amitié de Voltaire et de madame du Deffand, de son lien familial avec madame de Tencin, de modestes dons pour la chanson et l’écriture comique, justifiant son existence sociale par quelques charges sans contraintes qui lui furent octroyées et lui permirent de préserver son indépendance, enfouissant son ennui dans le divertissement et son inutilité dans les fréquentations mondaines. Le second, Jean-Louis Carra, « jamais ne s’ennuya, lui. » Il mena une vie aventureuse, parcourut l’Europe de l’Angleterre à la Russie, de la Pologne à la Roumanie, participa activement à la Révolution, vota la mort du roi et, objet (selon lui) de calomnies, accusé de trahison, fut condamné à mort et guillotiné. Disciple de Rousseau, confrère de Chamfort, idéaliste sans doute, vantard et hâbleur à coup sûr, il mourut en se proclamant victime de la corruption, de « l’atmosphère empestée » de son époque.

La mise en regard de ces deux personnalités si différentes – différence accentuée par le traitement stylistique des deux biographies, puisque la première est narrée par une instance externe d’apparence objective, la seconde sous la forme d’un discours à la première personne –, cette mise en regard, donc, est pleine d’enseignements sur l’Histoire, les mouvements de la société (passée et présente) et la condition humaine. Nicolas Cavaillès, qui sait tirer de destins historiques méconnus l’essence romanesque, morale et philosophique de la vie, l’écrit magistralement : « Ainsi de Jean-Louis Carra et d’Antoine Ferriol, dit Pont-de-Veyle, derniers fruits acides et stériles de l’Ancien Régime, deux ombres opposées dans lesquelles les Lumières françaises se résorbèrent avec ironie. » Les « Lumières françaises » n’ont pas fini de laisser leurs ombres s’allonger sur l’humanité.

Jean-Pierre Longre

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12/08/2023

Affrontements aux États-Désunis

Roman, anglophone, Douglas Kennedy, Chloé Royer, Belfond, Jean-Pierre LongreDouglas Kennedy, Et c’est ainsi que nous vivrons, traduit de l’anglais (États-Unis) par Chloé Royer, Belfond, 2023

C’est l’histoire, racontée par elle-même, de Samantha Stengel, agente secrète de la République Unie, l’une des deux faces ennemies des anciens États-Unis d’Amérique. Nous sommes en 2045, et le pays est depuis plusieurs années coupé en deux par une frontière qui ressemble étrangement à l’ancien rideau de fer européen. D’un côté, cette République Unie où tout a été organisé dans le sens de l’égalité sociale, de la sécurité pour tous, de la libéralisation des mœurs – avec, revers radical de la médaille, une surveillance constante des citoyens par le « Système » grâce à une puce Chadwick (du nom de son inventeur). De l’autre côté, la Confédération Unie, mélange de maccarthysme et de trumpisme, gouvernée par les « Douze apôtres », regroupe les États les plus conservateurs du point de vue des mœurs et de la religion, avec punitions allant jusqu’à la peine de mort pour les récalcitrants. Entre les deux, une « zone neutre » permettant, au prix de démarches complexes, de passer d’un côté à l’autre.

Dans ce contexte, Samantha doit mener à bien une mission périlleuse, et qui l’implique personnellement, de l’autre côté de la frontière. Personnalité indépendante, qui a appris à maîtriser ses émotions, ses réactions et ses paroles, sans toutefois négliger les plaisirs de la vie, elle ne peut cependant échapper ni aux ordres qui lui sont donnés, ni à son passé familial ni aux ruses de l’adversaire. D’où la violence de ses aventures et les surprises que ménage le récit, qui prend ainsi des allures de roman d’espionnage, avec tous les ingrédients requis.

Si Et c’est ainsi que nous vivrons se lit comme un thriller, il revêt d’autres dimensions : celles d’un récit d’anticipation dystopique, où l’on retrouve, bien sûr, des réminiscences du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (le côté inhumain), de 1984 de George Orwell (le côté « Big Brother »), de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (le côté anti-culturel) ou de La ballade de Lila K de Blandine Le Callet (le côté pathétique), mais aussi celles d’un manifeste politique dénonçant les abus qui pointent largement dans les civilisations actuelles, que ce soit la dictature répressive des idéologies religieuses et de la morale réactionnaire, ou celle, plus insidieuse, de la surveillance constante des citoyens. Douglas Kennedy, qui maîtrise parfaitement, comme on le sait, l’art de la narration à rebondissements, laisse ainsi éclater les angoisses caractéristiques de notre époque.

Jean-Pierre Longre

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06/08/2023

Insaisissable bestiaire

Poésie, francophone, Philippe Jaffeux, Atelier de l’agneau, éditions Paraules, Jean-Pierre Longre Philippe Jaffeux, De l’abeille au zèbre, Atelier de l’agneau, 2023

Ils sont 499, les animaux que Philippe Jaffeux recense à sa manière. Des animaux connus (tels les abeilles et le zèbre qui ouvrent et ferment le défilé) ou inattendus (connaissez-vous l’anhinga, le binturong, le kétoupa, le nilgaut ou le saïmiri ? J’en passe quelques dizaines). La dédicace au prolifique poète franco-picard Ivar Ch’Vavar n’est d’ailleurs pas sans rappeler que la langue (les langues) offre(nt) d’infinies possibilités lexicales.

Et aussi des possibilités sémantiques, sur l’ambiguïté desquelles l’auteur joue sans scrupules : chaque animal est, dans son évocation, l’objet d’une trituration entre caractéristiques concrètes et abstraites. Prenons par exemple la girafe : elle « étire sa conscience pour mesurer la hauteur d’une contemplation » ; parfois s’y ajoute un jeu de mots : « Une fissure cimente la morsure d’un lézard qui ensoleille la paresse d’un mur ». Nous ne sommes pas loin de ce que les savants en matière de stylistique nomment zeugma sémantique.

Mais si leur apparence didactique n’est pas contestable, il n’y a rien de monotone dans ces pages. Les animaux, leurs gestes, leurs attitudes, leurs aspects sont sources de poésie – poésie des sens conjugués comme avec le bouvreuil qui « déploie son chant avec ses couleurs pour envelopper son envol », poésie de l’espace comme avec le canard qui « surmonte une fresque suspendue à l’élévation d’un pharaon solaire », ou du temps comme avec le papillon dont la métamorphose « attrape un instant avec la légèreté d’une idée », ou des deux à la fois (« Un saumon affronte des courants pour remonter le temps renversé »). Une poésie qui, comme chez René Char, repose aussi sur le contexte : « Le destin d’un ver luisant se synchronise avec la substance d’une nuit éblouie ». Une poésie qui, en outre, n’est pas exempte d’humour, dont l’objet peut être l’animal (« Une bécasse déplumée par un peintre sauve la nature de l’art avec son cul »), l’auteur lui-même jouant sur son prénom (« Philippe bride son étymologie avec un dada dompté par un cheval »), l’étymologie, justement (« Un furet caché derrière son étymologie vole l’origine de sa domestication ») ou l’homonymie (« Un bouddhiste se réincarne dans un lama qui rumine une homonymie sacrée »). Présente aussi, la dénonciation des cruautés (« Un poussin broyé par une machine hante la consommation d’un cauchemar ») ou du colonialisme capitaliste (« Une colonie de fourmis ouvrières libère une terre occupée par des exploiteurs »).

Bestiaire qu’il faudrait pouvoir saisir dans toutes ses dimensions, De l’abeille au zèbre est un vaste poème à lire à sa guise : dans sa continuité (favorisée par l’absence de ponctuation) ou par minuscules séquences. L’initiative est laissée au lecteur. C’est le propre des bons livres.

Jean-Pierre Longre

Poésie, francophone, Philippe Jaffeux, Atelier de l’agneau, éditions Paraules, Jean-Pierre Longre Dans le registre expérimental, Philippe Jaffeux a publié aux éditions Paraules un ouvrage intitulé Livres,  qui « tente d’évoquer la présentation de deux livres en un seul. » Chaque page est complétée par la page située en regard. Là encore, le lecteur joue un rôle important, et c’est tant mieux.

 

 

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30/07/2023

Vers quelle destination ?

Poésie, francophone, Jean Miniac, éditions Conférence, Jean-Pierre LongreJean Miniac, Notre traversée, Éditions Conférence, 2023

Destination, destinée, destin… Si comme on le dit la vie est un voyage, Jean Miniac nous emmène dans une « traversée » qui va bien au-delà du cliché. Dans les vingt et un chants de son épopée, une Odyssée d’aujourd’hui et, tout bien réfléchi, de tout temps, les vers, les phrases, les mots, les rythmes, les sons nous poussent au « souffle venu du large », sur « cette eau / insinuante / insinuée », comme Ulysse dans sa navigation louvoyante vers Ithaque.

Destination… destin… Toutes les composantes du « désir / de vivre » sont là : l’amour, bien sûr, qui « n’est pas une réponse ; / Il ouvre des corridors de questions / Dans lesquels on s’engage, tremblant » ; la solitude qui accompagne la douleur et la maladie ; la mort même, dont l’incertitude inquiète ; mais aussi la bonté, l’attention aux autres, particulièrement à ceux que l’on dit « problématiques » ; une attention aux « visages / Où plonger ». Car « De limite il n’y en a pas. / C’est la mer vivante / […] Nous effectuons – à la mesure de nos erreurs, nos tâtonnements – / Notre traversée. De l’autre. / Des autres. »

Surtout, ne l’oublions pas, cette « traversée » est un vaste poème, dont les vers libres (libres comme les navigateurs) ou les amples versets (amples comme la navigation) sont des composantes vivantes, qui peuvent avancer à grandes enjambées (« Car un semblant d’amitié nous retient malgré tout / De rompre, définitivement, / Avec ce que nous serions tentés d’appeler / Notre pauvre vie… ») ou faire halte pour s’extasier sur une merveille naturelle (« Le murmure des eaux est cerné de silence »). S’arrêter parfois, oui, mais momentanément ; et il faut laisser l’initiative à la jeunesse : « La jeunesse n’a rien à raconter, car elle a tout à vivre ; / Elle édifie la syntaxe vivante de ses actes ». Et c’est ainsi qu’on peut le penser : « Il n’y a pas de fin au poème ». Au poème de la vie.

Jean-Pierre Longre

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15/07/2023

« Sais-tu ce que je suis ? »

roman, anglophone, Nigeria, Akwaeke Emezi, blandine longre, gallimard, jean-pierre longreAkwaeke Emezi, La Mort de Vivek Oji, traduit de l’anglais (Nigeria) par Blandine Longre, Gallimard, « Du monde entier », 2023

« Je ne suis pas ce qu’on croit. […] Et, jour après jour, j’avais du mal à vivre en sachant que les autres me voyaient d’une certaine façon, en sachant qu’ils se trompaient, qu’ils se trompaient lourdement, que le vrai moi était invisible à leurs yeux. » Ainsi s’exprime Vivek, à l’un des moments où sa voix se fait entendre dans le récit où s’expriment tour à tour le jeune protagoniste, son cousin et confident Osita et l’instance narrative extérieure.

Différent, donc, Vivek l’est, cachant à ses parents sa vraie nature que ne connaissent qu’Osita et leurs jeunes amies chez qui il se réfugie régulièrement. Ses parents, Kavita et Chika, le voient dépérir peu à peu, et sa mère se laisse peu à peu persuader par sa belle-sœur Mary de le faire « délivrer » par un pasteur, dans un exorcisme brutal. Échec, bien sûr, et brouille familiale. Finalement, un jour d’émeutes et d’incendie du marché, les parents vont découvrir le cadavre de leur fils mystérieusement déposé devant la porte de leur habitation. Que s’est-il passé ? Sont-ils indirectement responsables de sa mort ? Kavita a-t-elle manqué d’amour pour son fils ? « Ce n’est qu’une fois qu’il était devenu un homme qu’elle prit conscience qu’elle ne pouvait plus l’atteindre, qu’il s’en était allé, si loin que son corps était désormais privé de souffle. Nul autre qu’elle ne pouvait éprouver cette perte de toute une vie. » C’est seulement après sa mort que les parents de Vivek sauront qui était vraiment leur fils.

La construction complexe du roman, dans ses va-et-vient temporels et dans le croisement des voix qu’il fait entendre, est à l’image de la société nigériane qu’il dépeint dans sa diversité et sa vivacité, dans sa langue même (le glossaire final est à cet égard bien utile), une société faite de non-dits et de paroles sincères, de gestes coutumiers et d’attitudes modernes. Surtout, cette construction donne à ressentir le plus crucialement les émotions des âmes, le pathétique des situations, l’injustice des réactions et l’imminence des questions d’identité. Le dramatique destin de Vivek, issu de l’aveuglement familial et social, est pourtant un pas en avant vers la connaissance et la compréhension humaines.

Jean-Pierre Longre

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09/07/2023

« Deux histoires sur une plage sans fin »

Roman, francophone, Algérie, Kamel Daoud, Albert Camus, Actes Sud, Jean-Pierre LongreLire, relire... Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Actes Sud, 2014, Babel/Poche, 2016, Folio, 2023

Prix Goncourt du premier roman

La première phrase claque comme une réplique cinglante à celle qui ouvre L’étranger : « Aujourd’hui, M’ma est toujours vivante. ». Le vieil homme qui, sur toute la longueur du livre (exactement la même que celle du roman de Camus), va se confier de soir en soir, de verre en verre, à un jeune universitaire français, se présente comme le frère de l’Arabe anonyme tué par Meursault sur « une plage vibrante de soleil », cet Arabe qui « n’a eu droit à aucun mot dans cette histoire », et qui mériterait la justice des « équilibres ». « L’absurde, c’est mon frère et moi qui le portons sur le dos ou dans le ventre de nos terres, pas l’autre. ».

roman,francophone,algérie,kamel daoud,albert camus,actes sud,jean-pierre longreUn règlement de comptes ? Non. Il s’agit de l’autre histoire, celle de l’inconnu, ou, comme l’indique le titre, d’une « contre-enquête » dans laquelle la langue, la culture, la littérature ont beaucoup à voir. La confession du vieil homme (qui rappelle par sa forme celle de Jean-Baptiste Clamence dans La chute) est un long retour sur lui-même, ce personnage narrateur émouvant auquel on s’attache intimement, un retour sur ce frère qu’il appelle Moussa (mêmes consonances que Meursault), sur leur mère (« Chez nous, la mère est la moitié du monde »), sur la Révolution et l’Indépendance de l’Algérie, sur l’absence de Dieu, sur la présence de la langue « autre » qu’il lui a fallu apprendre. « Les livres et la langue de ton héros me donnèrent progressivement la possibilité de nommer autrement les choses et d’ordonner le monde avec mes propres mots. ». Dans tous les détails du monologue, dans tous les recoins de sa prose, Kamel Daoud explore la complexité de l’âme, de la mémoire et de l’imagination humaines. Au-delà des circonstances (l’histoire de l’Algérie, les aberrations de la colonisation et les ambiguïtés de l’indépendance), c’est de l’identité et de la condition humaines qu’il s’agit, ainsi que de la révolte contre l’absurde de cette condition.

roman,francophone,algérie,kamel daoud,albert camus,actes sud,jean-pierre longreComme chez Camus, dira-t-on. Mais différemment aussi, selon une trame narrative et des points de vue autres, à la manière d’un écho qui prolonge le son et qui, en même temps, crée d’autres harmoniques. À la fois retour critique et hommage au « chef-d’œuvre » reconnu comme tel, rempli de citations plus ou moins reformulées, plus ou moins voilées, Meursault, contre-enquête ne doit rien à personne, sinon à son auteur, qui s’inscrit avec ce premier roman dans la lignée des grands écrivains de langue française – et pour qui le Prix Goncourt eût été largement mérité.

Jean-Pierre Longre

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02/07/2023

Une enfance bulgare

Roman, autobiographie, Allemagne, Bulgarie, Rumjana Zacharieva, Diane Meur, Jean-Pierre LongreRumjana Zacharieva, Sept kilos de camomille, traduit de l’allemand (Bulgarie) par Diane Meur, Belfond, 2023

Née Bulgare en 1950, Rumjana Zacharieva est devenue écrivaine dans la langue du pays où elle vit depuis 1970, l’Allemagne. Mais elle n’a pas oublié le pays de son enfance. Sept kilos de camomille est le roman de cette enfance des années 1960, plus particulièrement de l’été des 12 ans de la fillette passé chez ses grands-parents, qu’elle appelle Maminka et Diado. Une enfance comme beaucoup, avec ses joies et ses chagrins, ses aventures et ses frayeurs, ses élans et ses doutes. Mais une enfance bridée par les particularités du régime qui sévissait en Bulgarie comme dans toute l’Europe orientale : un communisme nourri (à côté des « privilèges » réservés à quelques-uns) des contraintes qui pesaient sur la population.

C’est notamment l’obligation, pour les enfants, de cueillir sept kilos de camomille pendant l’été s’ils veulent obtenir leurs livres scolaires à la rentrée ; c’est l’absence des parents enseignants tenus d’occuper leurs vacances à encadrer des camps de « pionniers » ; c’est la propagande incessante diffusée par les haut-parleurs dans les rues du village, avec cette menace difficile à comprendre de la « guerre froide » – et comme résultat le rêve de devenir une grande patriote, une héroïne, voire une martyre de la résistance contre le fascisme et le capitalisme (quelques doutes tout de même : que sont allés faire en Amérique certains oncles ou autres membres de la famille ?).

À côté de tout cela, il y a la vie villageoise, les petites péripéties et transgressions de l’enfance, les histoires d’autrefois racontées par les parents et les grands-parents, les découvertes des secrets du corps et de la sexualité, les questions sur le bien et le mal, les mots nouveaux appris et soigneusement notés, y compris leurs fausses interprétations, comme en témoigne la liste savoureuse et pleine d’humour qui clôt le livre. Et le récit est l’occasion, pour l’autrice, de se poser des questions essentielles sur les rapports entre le passé et le présent, sur ce qu’il reste à raconter après des dizaines d’années : « La plupart des gens ont cessé de traverser sans effort les frontières entre aujourd’hui et autrefois, aussi exigent-ils une cohérence dans la perspective narrative : le narrateur dans l’ « aujourd’hui », l’enfant dans l’ « autrefois » ; mais le langage ne sera jamais à la mesure du temps. […] Je serai mon actuelle table de travail, je serai ma mère, je serai Maminka et le village, le parfum de camomille et tous ces sept kilos d’été, la guerre froide et l’envie de mourir pour la liberté. » L’autobiographie est certes une construction littéraire complexe, mais le roman de Rumjana Zacharieva, tout en finesse et en sincérité, nous fait vivre la simplicité de l’enfance.

Jean-Pierre Longre

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25/06/2023

Une étrange bâtisse

Roman, francophone, Julien Gracq, éditions Corti, Jean-Pierre LongreJulien Gracq, La Maison, Éditions Corti, 2023

D’abord, la pleine réalité : pendant l’occupation, des trajets réguliers entre deux localités dans un autocar bondé traversant un paysage désolé fait de « fouillis hirsutes », avec « son sol ligneux tapissé de feuilles pourries, les branches tordues et hargneuses des chênes nains qui en barricadaient les profondeurs ». Dans cette « terre gâte », dont la description paraît prémonitoire, le regard du narrateur est attiré par une construction inattendue, délabrée mais comme encore animée, telle une « bête tapie », à la fois repoussante et attirante.

C’est alors que commence le mystère ; il décide un jour de s’approcher de la maison, bravant les obstacles naturels et l’angoisse d’aller à la rencontre d’une façade qu’il perçoit comme un visage humain. Car, singulièrement, tout semble vivant dans cette bâtisse aux allures abandonnées : une vie cachée, énigmatique, dont la vue perçoit des bribes et l’ouïe des sons, étranges et prometteurs. C’est « avec cette sensation de la gorge serrée et de la bouche sèche, et en même temps ce sentiment d’aisance jamais en défaut et de rapidité presque folle » que le narrateur pénètre dans le monde sensuel d’un rêve qui semble pourtant à sa portée.

Ce court récit que Julien Gracq ne publia jamais nous est donné comme un ultime témoignage littéraire du monde de l’écrivain, de son cheminement vers les transformations progressives du réel, de sa pénétration dans l’univers incertain des signes de la puissance de l’imagination. Les éditeurs ont eu la bonne idée de reproduire le plan et les deux états successifs du manuscrit qui montrent combien Julien Gracq travaillait ses textes : ratures, ajouts et repentirs jonchent le premier, tandis que le second ne contient que quelques corrections ponctuelles, précédant l’achèvement complet . Un travail minutieux pour un bref récit tout en tension.

Jean-Pierre Longre

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20/06/2023

Deux femmes d’aujourd’hui

Roman, francophone, Catherine Cusset, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021, Folio, 2023

La définition du bonheur est un roman de notre époque. Je veux dire par là que les deux protagonistes sont confrontées à des sujets qui occupent les esprits et les corps d’aujourd’hui ou d’un hier récent : les femmes victimes d’abus sexuels et de violences physiques, la fidélité et l’infidélité dans le couple, l’éducation ou l’abandon des enfants, la dépression, le besoin de voyager, les difficultés ou l’insouciance financières, le cancer, les secrets de famille, Trump, et en dernier lieu le Covid avec ses conséquences, confinement et précautions sanitaires…

Tout y est, certes, mais ce n’est pas un document journalistique ou historique ; c’est bien un roman, dans lequel Catherine Cusset, femme d’aujourd’hui, utilise des données qu’elle connaît sans doute bien, mais qui pour une écrivaine chevronnée comme elle ne sont qu’un matériau soutenant la fiction, une fiction qui, en retour, attise la compréhension du réel. Disons donc : deux femmes, Ève et Clarisse, aux tempéraments bien différents, aux destinées sans points communs apparents, vont se trouver liées d’une manière insoupçonnée. Avant que le mystère soit levé, nous apprenons dans le prologue qu’Ève est venue en France depuis New-York, où elle réside, pour les funérailles de Clarisse. Puis une longue première partie retrace, depuis 1979, les existences des deux femmes. Existences parallèles, mais éloignées et dissemblables. Comme le montre la clé USB qu’a laissée Clarisse et qu’Ève a retrouvée, « elle entrelaçait nos vies parallèles qui se faisaient écho, si proches et si différentes dans nos expériences de l’amour, du désir, de la maternité et du vieillissement. » Les deux femmes n’ont pas les mêmes occupations et préoccupations, pas les mêmes appétits, pas les mêmes manques, pas les mêmes soucis… mais au plus profond d’elles-mêmes, les affinités qu’elles se découvrent dépassent les disharmonies.

roman,francophone,catherine cusset,gallimard,jean-pierre longreLe roman de Catherine Cusset est, au-delà de sa dimension actuelle, une belle œuvre intemporelle dont la construction est représentative de la vie des deux femmes : de longs chapitres continus pour Ève, de courtes séquences tourmentées pour Clarisse – puis le dernier récit qui opère la jonction. Une belle œuvre qui ne laisse pas de répit aux personnages, entre vie quotidienne et événements décisifs, pas de répit non plus au lecteur, qui se laisse porter par le récit, entre suspens narratif et émotion sincère.

Jean-Pierre Longre

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16/06/2023

Au pays des destins croisés

Roman, francophone, Nicolas Mathieu, Actes Sud, Jean-Pierre LongreLire, relire... Nicolas Mathieu, Connemara, Actes Sud, 2022, Babel 2023

Ils sont nés dans la même localité, à deux pas d’Épinal, où les gens vivent tant bien que mal, végétant dans cette « petite ville peinarde » ou tentant à tout prix de s’en échapper, suivant leur tempérament ou le degré de leurs ambitions. Christophe incarne la première posture, lui qui est resté là, partageant son existence entre les copains et l’équipe de hockey sur glace dont il est l’une des vedettes, attirant irrésistiblement le regard des filles, lui qui vit maintenant, la quarantaine atteinte, avec son père et son fils, vendant de la nourriture pour animaux parce qu’il faut bien vivre. Hélène, quant à elle, a fait des études impeccables, a émigré à Nancy, s’est mariée, a eu deux filles ; une jeune femme moderne, qui apparemment a tout réussi : son couple, ses enfants, sa vie professionnelle dans un cabinet de consultants – ce qui veut tout dire et ne rien dire, vendre du vent ou de véritables conseils ?

On le voit, le destin de ces deux là est aussi éloigné que possible ; ils se sont certes connus dans l’enfance et l’adolescence, Christophe avait même séduit pour un temps la meilleure amie d’Hélène ; mais l’éloignement risquait d’être définitif. Pourtant, ils vont se recroiser. Et là… « Hélène avait voulu conquérir des distances, à coups d’écoles, de diplômes et d’habitudes relevées. Elle avait quitté cette ville pour devenir cette femme de fantasme, efficace et conséquente. Et là, comme une conne, dans un resto franchisé coincé entre un cimetière et un parking, elle venait d’avoir un coup de chaud en apercevant Christophe Marchal. Vingt années d’efforts n’avaient servi à rien. » La brillante carriériste et le sportif resté peuple vont s’apercevoir que leur vie ne leur apporte pas ce qu’ils attendaient, et une attirance mutuelle, amoureuse ou érotique (va savoir), va la rendre plus exaltante, en tout cas pour un temps.

roman,francophone,nicolas mathieu,actes sud,jean-pierre longreNicolas Mathieu nous fait suivre deux destinées qui, partant du même point, se séparent, s’éloignent, se rapprochent, se croisent plus ou moins durablement, et à travers ces deux destinées particulières c’est la France contemporaine qu’il raconte, France d’en-haut et France d’en bas, France superficielle et France profonde. Dans des va-et-vient entre les années 1990 et l’année 2017 (année d’élections dont les enjeux n’échappent pas à la plume ironique de l’auteur), l’adolescence et ses fièvres campées avec finesse et empathie, l’âge adulte et ses illusions vus avec précision et rigueur, tout cela est étalé, disséqué. Le réalisme et la satire socio-politique se combinent dans des descriptions acérées, ce qui n’occulte pas une certaine tendresse pour le peuple. Le langage des cabinets de conseil avec son snobisme pseudo-anglophone fait, par exemple, l’objet d’un humour sans concessions, tandis que les scènes de bistrot populaire, pour burlesques qu’elles soient, attirent la sympathie ; la rengaine de Michel Sardou, qui donne son titre au roman et qui pourrait être moquée sans vergogne, apporte plutôt du liant au récit. Et la longue séquence finale de la noce campagnarde est un morceau d’anthologie naturaliste. Il y a du Zola dans ce roman d’aujourd’hui.

Jean-Pierre Longre

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08/06/2023

Complexes destinées

Roman, Roumanie, Gabriela Adameşteanu, Nicolas Cavaillès, Gallimard, Jean-Pierre LongreGabriela Adameşteanu, Fontaine de Trevi, traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, Gallimard, « Du monde entier », 2022

Letitia voudrait récupérer des biens immobiliers familiaux que le pouvoir communiste avait confisqués. Installée en France avec son mari Petru, ancien journaliste à Radio Free Europe, elle fait pour cela des voyages successifs à Bucarest, retrouvant des amis et de la famille, confrontant ses souvenirs à la réalité présente. Voilà le fil conducteur, le prétexte narratif d’un roman dans lequel on retrouve la protagoniste déjà présente dans les deux précédents (Vienne le jour, Situation provisoire), elle-même cherchant à publier ce qu’elle assume comme une « autofiction ».

On l’a connue jeune étudiante en proie aux difficultés matérielles et morales des années 1950-1960 dans ce pays, puis adulte, cherchant à oublier les contraintes de la vie conjugale et professionnelle, ainsi que les risques politiques, dans une relation amoureuse un peu compliquée… On la découvre maintenant retirée dans une bourgade française, dont elle quitte périodiquement la tranquillité pour se retrouver dans une Roumanie qui, toujours marquée par son passé, a ingurgité les ressorts et les compromissions du capitalisme débridé. Certes, il y a eu la « révolution », dont ses amis Morar, comme d’autres, déplorent la confiscation par les anciens apparatchiks et « sécuristes », et la parole et les déplacements – à condition qu’on en ait les moyens – y sont libres ; d’ailleurs, ceux qui le peuvent ne se privent pas d’aller travailler ou étudier à l’étranger, avec l’espoir d’en revenir mieux lotis (comme ceux qui, jetant une pièce dans la fontaine de Trevi, font le vœu de revenir à Rome). Les souvenirs personnels (amours, famille, amitiés) de Letitia se mêlent aux retours sur un passé collectif auquel le présent renvoie sans cesse, colorant les destinées des espoirs et des désespoirs qui en résultent, ces destinées qui se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît, car tout n’y est jamais tout blanc ou complètement noir.

L’œuvre de Gabriela Adameşteanu n’est pas seulement narrative. Comme dans les fresques épiques, elle campe des atmosphères aussi diverses que le sont les époques décrites, les rues de Bucarest (l’allée Teilor ou les avenues grouillantes) et les maisons de l’allée des Tilleuls, en Touraine (en une évocation digne de Du Bellay), bien d'autres lieux encore, intimes ou publics, familiaux ou professionnels… La multiplicité des événements, les grandes disputes politiques, le foisonnement des personnages (tel que leur triple liste finale est d’une grande utilité), le fond de réalité historique sur lequel ils s’impriment en relief, l’ensemble est d’une écrivaine en pleine maturité de son art, dans la lignée de Balzac, d’un Balzac qui s’exprimerait à la première personne et qui se poserait des questions sur l’ambiguïté de son personnage : « Cette femme que Sorin observe bizarrement, l’esprit ailleurs, est-ce bien moi ? ou le personnage de mon livre ? Est-ce de ma vie que je me souviens, ou bien de celle que j’ai imaginée, à partir de la vraie ? » Disons-le : ce genre de livre, fruit d’un talent et d’un travail littéraires qui n’ont pas leur pareil, ne peut être traduit que par un écrivain, et c’est bien le cas. Nicolas Cavaillès a compris comment entrer et faire entrer les lecteurs dans le monde de Gabriela Adameşteanu, dont l’œuvre entre elle-même largement dans le patrimoine littéraire d’aujourd’hui.

  Jean-Pierre Longre

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01/06/2023

« Je tire mon irrévérence »

Aphorisme, francophone, Belgique, humour, André Stas, Mario Alonso, Christophe Esnault, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreAndré Stas, Je pensai donc je fus, Cactus Inébranlable éditions, 2021

Quel meilleur éloge funèbre que cet aphorisme d’André Stas lui-même, décédé le 26 avril dernier à l’âge de 73 ans ? Et quelle belle inspiration le Cactus Inébranlable, avec la permission de l’auteur, a-t-il eue de publier les « Aphorismes complets, 1993-2023 » de celui qui, comme je l’écrivais naguère, à la fois belge et surréaliste (c’est ô combien compatible), pataphysicien et humoriste, digne successeur de Nougé, Scutenaire, Chavée ou Blavier, est en somme un écrivain qu’on ne se lasse pas de lire !

Et là, on ne risque pas de se lasser : quasiment 380 pages dans lesquelles puiser une infinité de morceaux de littérature – proverbes et dictons détournés, sentences provocatrices, formules satiriques et malicieuses, calembours et contrepèteries… Après les « coups de chapeaux » bien ciblés de plusieurs de ses amis et un beau portrait dessiné par Roland Topor, et avant un ultime chapitre de « rab » dans lequel figurent un certain nombre de citations de congénères du passé et du présent, tels Gorges Brassens, savoureux (« Je suis anarchiste au point de toujours traverser dans les clous afin de n’avoir pas à discuter avec la maréchaussée. ») ou « l’immense Scut » (« Souvent, au lieu de penser, on se fait des idées. »), après et avant, donc, il y a l’œuvre elle-même, rassemblant les aphorismes extraits d’une bonne quantité de recueils, dont les titres sont en eux-mêmes tout un programme de jeux verbaux (voyez, par exemple, « Les Radis artificiels », « Les Bornes reculées », « Le décollement de la routine », « Le pas sage à l’acte » etc.).

Évidemment, Je pense donc je fus ne se lit pas comme un roman, tout d’un trait de la première à la dernière page. Et c’est tant mieux, car il y a de quoi picorer à satiété, dans tous les domaines. Au choix : les aveux d’un pessimiste (« Si mon humour est noir, c’est pour éviter que les idées le soient », « Écrire pour ne pas pleurer ») ou les constats presque définitifs (« D’un point à l’autre, souvent la ligne droite est le chemin le plus emmerdant »), les fausses citations (« - Existentiel mon mari ! Simone de Beauvoir ») ou les maximes larochefoucaldiennes (« Faire de l’esprit n’est pas nécessaire quand on en a », « Pour garder le moral, il faut d’abord rire de soi »), la parodie (« Un seul être vous manque et les bars vous attendent / Un seul être vous manque, mais en voici un autre  |…] ») et, bien sûr, les jeux de mots (« Ineptes scies », « Qui trop embrase, mal éteint », « Mon sport : J’écris, je dessine. Je m’aère au Bic », « Et Dieu créa la flemme (le septième jour) »)… On voudrait en citer d’autres, beaucoup d’autres, quitte à céder à une subjectivité immodérée. Disons donc : il y en a pour tous les goûts, et pour tous ls prolongements possibles. L’œuvre d’André Stas est achevée, elle reste infinie.

Jean-Pierre Longre

 

Parmi les autres parutions récentes du Cactus Inébranlable :

 

Aphorisme, francophone, Belgique, humour, André Stas, Mario Alonso, Christophe Esnault, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreMario Alonso, Bandes réfléchissantes

« Jouant avec les codes du genre aphoristique, Mario Alonso continue de fustiger le petit esprit en dynamitant les idées reçues à la faveur d’une poésie toujours aussi stimulante, tout comme nous avions pu le découvrir dans son premier recueil Lignes de flottaison, paru en 2021. »

 

 

Aphorisme, francophone, Belgique, humour, André Stas, Mario Alonso, Christophe Esnault, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreChristophe Esnault, Hilarité confite suivi de Cas contact de cas social

« Soucieux de santé, ça ne les dérangeait pas trop pourtant au gouvernement, les burn-out et les suicides dans l’Éducation nationale, les grèves de la faim ou les défenestrations des médecins alertant sur le manque de moyens. »

 

 

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